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vendredi 24 juin 2022

"Il garde encore malgré ses blessures une sérénité puissante et terrible qui frappe et saisit jusqu'au fond du cœur" (G. Gaillot, XIXe s., à propos du Sphinx)

photo de Félix Bonfils (1831-1885)

"On traverse le Nil au vieux Caire, près de l'ile Rodah, tout éclatante de verdure, et on aborde à Gizeh, à quelque distance du village d'Embabeh où les Mamelucks furent si rudement culbutés par l'infanterie française.
L'herbe verte pousse partout dans les plaines et sous les palmiers qui abritent les dômes blanchis de quelques cheiks vénérés.

Tout à coup, la verdure cesse brusquement et le sable commence ; on aperçoit les pyramides, à mesure que l'on s'en approche, elles grandissent et on en distingue les assises ; le sphinx apparaît. Enfoui jusqu'au poitrail, rongé, camard, dévoré par l'âge, tournant le dos au désert et regardant le fleuve, ressemblant par derrière à un incommensurable champignon et par devant à quelque divinité précipitée sur terre des hauteurs de l'Empyrée, il garde encore malgré ses blessures une sérénité puissante et terrible qui frappe et saisit jusqu'au fond du cœur.
Les Arabes l'appellent "le Père de l'épouvante". Avant-garde de pyramides, impassible sous le ciel, que fait-il là depuis 50 siècles au milieu des solitudes ? Les Pharaons, les Ethéopiens (sic), les Perses, les Romains, les conquérants Arabes, les Mamelucks, les Turcs, les Français ont dormi sous son ombre ; les temps, les nations, les religions, les mœurs, les lois ont défilé devant lui ; chaque mot de l'histoire a frappé sa large oreille entourée de bandelettes sacrées ; on est tenté de lui dire : Oh ! si tu pouvais parler.
Est-il la muette sentinelle du désert de Libye ?  Est-il l'immobile gardien de ces montagnes bâties à mains et à existence d'hommes ?
Est-il le symbole toujours cherché et toujours introuvé de l'inconnu qui nous sollicite et nous attend ? Ou n'est-il seulement qu'un fantôme grandiose et majestueux d'un roi des temps passés qui voulait perpétuer son nom que nul ne sait plus aujourd'hui ? Enraciné aux rochers de la chaine de Libye dans lesquels on l'a taillé en abaissant les terrains voisins de toute sa hauteur, il disparaît chaque jour sous les sables envahissants, sa croupe, son dos, ses pattes en sont couverts ; devant lui à son ombre, les Bédouins viennent souvent s'étendre et les vautours fatigués se reposent sur sa tête.
On est frappé d'admiration à la vue des pyramides, écrasé devant leur masse dont les mesures mathématiques peuvent seules donner une idée."

extrait de Le Nil, l'Égypte et la Nubie, 1881, par G. Gaillot, capitaine au 1er régiment de chasseurs à pied, capitaine à l'Institut cartographique militaire de Bruxelles.