mardi 6 novembre 2018

"Jamais ni la sculpture, ni la peinture ne sont devenues indépendantes chez les Égyptiens. Elles ne semblent faites que pour compléter l'architecture." (Max Dunker)

Piliers osiriaques à Karnak - photo Daniel Csörföly
"Les prêtres d'Égypte avaient aussi la haute main dans les travaux et les œuvres d'art. Ils fournissaient par privilège les plans des édifices, des temples, et ceux des tombeaux, car il s'agissait essentiellement de choses saintes, de mesures et de nombres sacrés. De même que l'architecture, la sculpture et la peinture étaient avant tout au service de la religion. Conformément au caractère du peuple, l'architecture égyptienne vise à la solidité et à la durée. Simples dans leurs grandes lignes, les édifices sont hauts, larges et massifs comme les chaînes de rochers qui bornent l'Égypte. Les plus anciens monuments que porte la terre, les pyramides, nous ont déjà montré jointe à une parfaite simplicité de forme, une habileté remarquable à tailler et à assembler de grandes masses de pierre. Engagée dans cette voie, l'architecture égyptienne y marche, adopte des formes plus riches, recherche l'ornementation, mais reproduit toujours plus ou moins la sévérité et la netteté du plan primitif. Jamais ni la sculpture, ni la peinture ne sont devenues indépendantes chez les Égyptiens. Elles ne semblent faites que pour compléter l'architecture, pour l'aider à fixer et à faire survivre au cours au temps l'image du roi, ses sacrifices et ses exploits, tel ou tel événement de son règne. 
La sculpture égyptienne saisit hardiment les formes par un procédé naïf et sobre, mais intelligent. Elle ne tombe point dans la symbolique de fantaisie. Elle assujettit à des proportions sûres la reproduction de la forme humaine, elle parvient à exprimer le mouvement par des traits caractéristiques ; elle attrape avec plus de bonheur encore la forme et le caractère des animaux. 
Comme l'architecture, elle choisit de préférence pour matériaux les masses les plus dures et les plus indestructibles. Ici comme ailleurs, le type une fois établi, le canon de proportion reçu, le procédé, la méthode et la forme restent et demeurent invariables. Curieuse d'une parfaite exactitude d'exécution, la sculpture semble se complaire à reproduire, sans jamais se lasser, dans la matière la plus rebelle, les mêmes figures plus géométriques pour ainsi dire que naturelles. Mais en dépit de ce caractère typique, il y a des progrès sensibles dans la sculpture et la peinture, comme dans l'architecture.
Si la statuaire du temps des pyramides, des Aménemha et des Sésortosis offre déjà pour l'époque une grande correction de forme, de la vie et de l'énergie dans l'expression de l'action, de la vigueur dans les parties musculeuses, les sculptures du nouvel empire se distinguent par la variété des formes, par la richesse des lignes, par la finesse du contour, par un dessin bien plus délicat des figures, par une grâce qui se soutient jusque dans l'exécution des plus fortes colonnes et des plus gros chapiteaux. Les Touthmosis et les Aménophis, les Séthos et les premiers Ramsès proposèrent ou commandèrent à la sculpture ésyptienne une multitude presque accablante de travaux, et c'est alors quelle atteignit son plus haut point. Mais comme elle ne pouvait pas s'écarter du type consacré, la plupart des œuvres et des sujets furent traités par une méthode de plus en plus conventionnelle, et on finit par se contenter de la précision des contours. La sculpture égyptienne porte ce caractère depuis les temps de Ramsès III jusqu'à ceux de Psammétique. À cette dernière époque elle renaît et brille par une imitation plus fidèle de la nature, par une expression plus aimable des formes du corps."

extrait de Les Égyptiens : histoire de l'antiquité, par Max Dunker (sic pour Duncker) ; traduction Mossmann.
 

Maximilian Wolfgang Duncker (1811-1886) était un historien et homme politique allemand

lundi 5 novembre 2018

"Au sens moderne du mot, aucune science de la composition. Aucun sens de la perspective. Le dessin égyptien est une écriture qu'il faut apprendre." (Élie Faure)

tombe de Rekhmirê - via Osiris.net
 "Quoi qu'il en soit, c’est la foule et rien qu'elle qui a répandu sur le bois des sarcophages, sur le tissu compact des hypogées, les fleurs pures, les fleurs vivantes, les fleurs colorées de son âme. Elle a chuchoté sa vie dans les ténèbres pour que sa vie resplendît à la lumière de nos torches quand nous ouvririons les sépulcres cachés. 
La belle tombe était creusée pour le roi ou le riche, sans doute, et c'était sa fastueuse existence qu'il fallait retracer sur les murs, en convois funèbres, en aventures de chasse ou de guerre, en travaux des champs. Il fallait le montrer entouré de ses esclaves, de ses travailleurs agricoles, de ses animaux familiers, dire comment on faisait pousser son pain, comment on dépeçait ses bêtes de boucherie, comment on pêchait ses poissons, comment on prenait ses oiseaux, comment on lui offrait ses fruits, comment on procédait à la toilette de ses femmes. Et la foule des artisans travaillait dans l'obscurité, elle croyait dire le charme, la puissance, le bonheur, l'opulence de la vie du maître, elle disait surtout la misère mais aussi l'activité féconde, l'utilité, l'intelligence, la richesse intérieure, la grâce furtive de la sienne.
Quelle merveilleuse peinture ! Elle est plus libre que la statuaire, presque uniquement destinée à restituer l'image du dieu ou du défunt. Malgré son grand style abstrait, elle est familière, elle est intime, quelquefois caricaturale, toujours malicieuse ou tendre, comme ce peuple naturellement humain et bon, peu à peu écrasé sous la force théocratique et descendant en lui de plus en plus pour regarder son humble vie. 
Au sens moderne du mot, aucune science de la composition. Aucun sens de la perspective. Le dessin égyptien est une écriture qu'il faut apprendre. Mais, quand on la connaît bien, comme toutes ces silhouettes dont les têtes et les jambes sont toujours de profil, les épaules et les poitrines toujours de face, comme toutes ces raides silhouettes remuent, comme elles vivent ingénument, comme leur silence se peuple d'animations et de murmures ! Un extrême schéma, sûr, décisif, précis, mais tressaillant. Quand la forme apparaît, surtout la forme nue ou devinée sous la chemise transparente, l'artiste suspend en lui toute sa vie, pour ne laisser rayonner de son cœur qu'une lumière spirituelle qui n'éclaire que les plus hauts sommets du souvenir et de la sensation. 
Vraiment ce contour continu, cette unique ligne ondulante, si pure, si noblement sensuelle, qui dénonce un sens si discret et si fort du caractère de la masse et du mouvement a l'air d’être tracé dans le granit avec la seule intelligence, sans le secours d’un outil. Là-dessus des coulées brillantes, légères, jamais appuyées de bleus profonds, d'émeraudes, d'ocres, de jaunes d’or, de vermillons. C'est comme une eau tout à fait claire où on laisserait tomber, sans l'agiter d'un frisson, des couleurs inaltérables qui ne la troubleraient pas et permettraient d’apercevoir toujours les plantes et les cailloux du fond. (...)
Ce que (l'artiste égyptien) conte, c'est sa vie même. Les ouvriers à la peau tannée, aux épaules musculeuses, aux bras nerveux, aux crânes durs, travaillent de bon cœur, et même quand le bâton parle, ils gardent leur douce figure, leur figure glabre à pommettes saillantes, et ce n'est pas sans une sorte de fraternelle ironie que l'artisan décorateur ou statuaire qui s'est représenté lui même si souvent, les montre affairés à leur besogne, rameurs suant, bouchers coupant et sciant, maçons assemblant des briques de limon cuit, gardeurs de troupeaux conduisant leurs bêtes passives, accouchant les femelles, pêcheurs, chasseurs, valets de ferme goguenards soupesant les canards éperdus par la base des ailes, les lapins soubresautant par les oreilles, gavant les oies obèses, portant dans leurs bras des grues dont ils serrent le bec à pleine main pour les empêcher de crier.
Tout est moutonnements, trots roulants et serrés, bêlements, meuglements, bruits d'ailes. Les bêtes domestiques, les bœufs, les ânes, les chiens, les chats ont leur allure massive ou paisible ou joyeuse ou souple, leurs ruminations infinies, leurs frissons de peau ou d'oreilles, leurs ondulations rampantes, leurs allongements de pattes silencieux et sûrs. Les panthères marchent sur du velours, tendant leur tête plate. Les canards et les oies boitillent, les becs spatulés fouillent en clapotant. Les poissons stupides bâillent dans les filets tendus, l'eau qui tremble est transparente et les femmes qui viennent la recueillir dans leurs jarres ou les animaux qui s'y plongent sont pénétrés de sa fraîcheur. Les oranges, les dattes pèsent dans les corbeilles soutenues par un bras aussi pur qu'une jeune tige, et balancées comme des fleurs. Les femmes, quand elles se parent ou mouillent leurs pinceaux fins pour farder leurs maîtresses, ont l'air de roseaux inclinés p
our chercher la rosée dans l'herbe. Le monde a le frisson silencieux des matins. 
Cette poésie naturelle, ardente au fond, et familière, les Égyptiens la portent dans tout ce qui sort de leurs doigts, dans leurs bijoux. leur petite sculpture intime, ces bibelots innombrables qui encombraient leur sépulture où ils suivaient le mort auquel ils avaient appartenu, dans les objets domestiques de la cuisine et de l'atelier. Toute leur faune, toute leur flore y revit avec ce même sentiment très sensuel et très chaste, immobile et vivant, cette même profondeur pure. Bronze ou bois, ivoire, or, argent, granit, ils conservaient à la matière travaillée sa pesanteur et sa délicatesse, sa fraîcheur végétale, son grain minéral. Leurs cuillers ressemblent à des feuilles abandonnées au fil de l’eau, leurs bijoux taillés en éperviers, en reptiles, en scarabées ont l'air de ces pierres colorées qu'on ramasse dans le lit des fleuves, ou au bord de la mer et dans le voisinage des volcans. L'Égypte souterraine est une mine étrange. Elle nourrit des fossiles vivants qui sont comme la cristallisation des multitudes organiques."


extrait de Histoire de l'art : l'art antique, 1909, par Élie Faure (1873-1937), historien de l'art et essayiste français. Son Histoire de l'art reste une des références dans cette discipline.

dimanche 4 novembre 2018

"Dans l'art, les Égyptiens puisaient leurs inspirations directement aux sources de la nature" (Owen Jones)

illustration extraite de l'ouvrage d'Owen Jones
"Dans l’art égyptien nous ne voyons aucune trace d’enfance ou d'influence étrangère ; d'où il faut conclure que les Égyptiens puisaient leurs inspirations directement aux sources de la nature.
Cette vue est confirmée surtout par l'examen de l'ornement égyptien ; les types en sont peu nombreux, et ils sont tous des types naturels ; et la représentation ne s'écarte du type que très légèrement.
Mais plus nous descendons l'échelle de l'art, plus nous trouvons qu'on s'éloigne des types originaux ; à tel point que dans bien des ornements, tels que les ornements arabes et mauresques, il est difficile de découvrir le type original d'où l'ornement a été développé par les efforts successifs de l'esprit.

Le lotus et le papyrus qui croissent aux bords de leur rivière, symboles de la nourriture du corps et de l'esprit ; les plumes d'oiseaux rares qu’on portait devant le roi, comme emblèmes de la souveraineté ; le rameau du palmier, avec la corde torse faite de ses tiges : tels sont les types peu nombreux qui forment la base de cette immense variété d'ornements avec lesquels les Égyptiens décoraient les temples de leurs dieux, les palais de leurs rois, les vêtements qui couvraient leur personne, leurs articles de luxe ainsi que les objets modestes destinés à l'usage journalier, depuis la cuiller en bois, avec laquelle ils mangeaient jusqu'au bateau qui devait porter à travers le Nil à la vallée des morts, leur dernière demeure, leurs corps embaumés et ornés de la même manière.
En imitant ces types, les Égyptiens suivaient de si près la forme naturelle qu'ils ne pouvaient guère manquer d'observer les mêmes lois que les œuvres de le nature déploient sans relâche ; c'est pourquoi nous trouvons que l’ornement égyptien, tout en étant traité d'une manière conventionnelle, n'en est pas moins toujours vrai. Nous n'y voyons jamais un principe naturel appliqué mal à propos ou violé.
D'un autre côté, les Égyptiens ne se laissaient jamais porter à détruire la convenance et l'accord de la représentation par une imitation du type par trop servile.
Un lotus taillé en pierre, formant le couronnement gracieux du haut d'une colonne, ou peint sur les murs comme une offrande présentée aux dieux, n'était jamais un lotus tel qu'on pourrait le cueillir, mais une représentation architecturale de cette plante, représentation on ne peut mieux adaptée, dans un cas comme dans l'autre, au but qu'on avait en vue, car elle ressemblait suffisamment au type pour réveiller dans ceux qui la contemplaient l’idée poétique qu’elle devait inspirer, mais sans blesser le sentiment de la convenance. (...)

L'architecture des Égyptiens est parfaitement polychromatique, il n’y a rien qu'ils n'aient peint : c'est pourquoi nous avons beaucoup à apprendre d'eux sous ce rapport. Ils se servaient de teintes plates, et n'employaient aucune ombre ; et cependant ils ne trouvaient aucune difficulté à réveiller dans l'âme l'identité de l’objet qu'ils voulaient représenter. Ils employaient les couleurs comme ils employaient les formes, d'une manière conventionnelle.
Comparons la représentation du lotus avec la fleur naturelle ; avec quel charme les traits caractéristiques de la fleur naturelle sont reproduits dans la représentation ! Remarquons comme les feuilles extérieures sont distinguées par un vert sombre, et les feuilles abritées de l'intérieur par un vert plus clair ; tandis que les tons pourprés et jaunes de l’intérieur de la fleur sont représentés par des feuilles rouges flottant dans un champ de jaune, ce qui nous rappelle parfaitement le jaune éclatant de la fleur originale.
Nous y voyons l'art allié à la nature, et ce qui ajoute à notre plaisir, c’est la perception de l'effort de l'esprit qu'il a fallu pour l’accomplir.

Les couleurs dont les Égyptiens se servaient principalement, étaient : le rouge, le bleu, et le jaune, avec du noir et du blanc, pour définir les couleurs nettement et distinctement ; le vert s'employait généralement, mais point universellement, comme une couleur locale, pour les feuilles vertes du lotus par exemple.
Ces feuilles cependant se coloriaient, sans distinction, soit en vert soit en bleu ; le bleu dans les temps les plus anciens, et le vert pendant la période ptoléméenne : à cette époque, on ajoutait même le pourpre et le brun, ce qui ne servait du reste qu'à affaiblir l'effet. Le rouge qu'on trouve sur les tombeaux et sur les caisses à momie de la période grecque ou romaine, est plus faible de ton que celui des temps anciens ; et c’est, à ce qu'il paraît, une règle universelle que, dans toutes les périodes archaïques de l'art, les couleurs primaires, bleu, rouge, jaune, sont les couleurs qui prédominent et qui sont employées avec le plus d'harmonie et de succès. Tandis que dans les périodes où l'art se pratique traditionnellement, au lieu de s'exercer instinctivement, il y a une tendance à employer les couleurs secondaires ainsi que toutes les variétés de teintes et de nuances, mais rarement avec le même succès."

extrait de Grammaire de l'ornement : Illustrée d'exemples pris de divers styles d'ornement, 1865, par Owen Jones (1809-1874), architecte britannique, auteur de découvertes sur l’utilisation au cours des âges de la couleur dans la décoration.

samedi 3 novembre 2018

"On aurait beau réunir les ruines de tout âge dont s’enorgueillit l'Europe, elles n’égaleraient, ni en étendue ni en grandeur, celles de cette seule ville d'Égypte" (Samuel Manning, à propos de Thèbes)

illustration extraite de l'ouvrage de S. Manning
 "Nous approchons maintenant de Thèbes, la capitale de l'ancienne Égypte, le centre de sa splendeur et de sa magnificence.
Pendant les douze siècles de sa suprématie, les Pharaons ont consacré à son embellissement leurs richesses, et employé à la construction de ses temples et de ses palais les peuples vaincus et asservis. Chaque génération a ajouté quelque chose à sa beauté. Ses édifices gigantesques témoignent de la grandeur du peuple qui les a élevés.
La plaine de Thèbes offrait l'emplacement convenable à une telle cité. Les chaînes arabique et libyque, qui bornent à l'est et à l’ouest la vallée du Nil, revêtent ici des formes grandioses qu’elles n'ont plus dans leur partie septentrionale et forment on s'écartant du fleuve, un vaste amphithéâtre où s’élevaient ces immenses édifices, dont les ruines étonnent et effrayent le voyageur. 

Des avenues de statues et de sphinx, de plusieurs kilomètres, s’allongent sur la plaine, conduisant à des propylônes de trente mètres de haut, par où les rois, les guerriers, les prêtres et les courtisans se rendaient aux temples et aux palais. Au-dessus de tout cela s’élevaient les statues colossales des Pharaons, surveillant, comme de gigantesques gardiens, la ville et la plaine immense. 
On aurait beau réunir les ruines de tout âge dont s’enorgueillit l'Europe, elles n’égaleraient, ni en étendue ni en grandeur, celles de cette seule ville d'Égypte."


extrait de La terre des Pharaons : Égypte et Sinaï, 1890, par Samuel Manning
(1822-1881), ministre baptiste ; traduit librement de l'anglais par E. Dadre

vendredi 2 novembre 2018

"Choses" vues en Égypte par Edith Louisa Butcher

sakieh  - photo datée de 1875 - auteur non mentionné
"À ne considérer que l'aspect extérieur de ce pays, on peut dire que l'Égypte est avant tout une terre lumineuse. On ne saisit pas du premier coup toute la valeur et tout le charme que donne au paysage égyptien la lumière transparente qui risque de plus en plus d'être étouffée sous les brouillards et les fumées de notre civilisation occidentale. Le touriste qui, avec un bruit de tonnerre, traverse pour la première fois le Delta dans son express à wagons-couloirs ne trouvera peut-être point très belles les longues lignes monotones de la plaine couleur de boue où le vert sombre des récoltes met çà et là des taches. Mais dès que le soleil brille, toute la scène se transforme. Les minces canaux étincellent comme des rubans d'argent sur la terre pourpre, le champ de jeune trèfle se change en un miroitement d'émeraude translucide, et les petits enfants vêtus d’extraordinaires étoffes aux tons rouges, jaunes et roses ont l'air de papillons quand ils courent au-devant de leurs pères aux chemises bleues et de leurs mères aux voiles noirs. 
Sous la lumière magique, la chaîne lointaine de basses collines revêt des nuances de rose et de safran que l'on ne saurait décrire, et le bouquet de palmiers, tout là-bas, devient bleu par contraste. (...)
Il ne semble pas, à première vue, que de grands changements soient survenus ici depuis un demi-siècle. Malgré qu'on ait importé les pompes à vapeur et autres machines occidentales, le chadouf et la sakieh fonctionnent partout dès que le Nil baisse et qu'il faut élever l'eau jusqu’au niveau des champs. On se sert de la sakieh tout le long de l’année, mais beaucoup de chadoufs ne sont mis en mouvement que quand le Nil est très bas.
Le touriste en peut voir alors trois ou quatre érigés l'un au-dessus de l’autre : chacun est manœuvré par un ou deux hommes, qui ne portent souvent en été d'autre vêtement qu'un morceau d'étoffe presque invisible autour des reins. Ils tirent sur la corde pour faire monter le seau d’eau jusqu'au vase qui se trouve à l'étage au-dessus, d'où un ou deux autres hommes élèvent le liquide par le même moyen. 

La sakieh est une lourde roue dentée, en bois de sycomore ; on emploie, pour la faire tourner, une vache ou un jeune bœuf à qui on met un bandeau sur les veux afin de les maintenir dans un cercle invariable. La roue dentée en actionne une autre qui forme avec elle un angle droit et sur laquelle sont fixées des jarres en terre ; cette dernière roue plonge dans l’eau, amène en l’air les vases pleins et fait descendre ceux qui sont vides. Certaines de ces sakieh font encore fonction de cadrans solaires. On plante dans le sol des morceaux de bois tout autour du cercle, et l'ombre qui se déplace marque l'heure pour les paysans du voisinage." 

extrait de En Égypte : choses vues, 1913, par Edith Louisa Butcher (1854-1933). Née Edith Louisa Floyer, elle a épousé, le 26 juin 1896, à l’âge de 42 ans, le révérend Charles Henry Boucher, chapelain de l'église anglicane All Saints Church à Ezbekiyya au Caire 

jeudi 1 novembre 2018

"L'Art sacré égyptien est devenu, au Moyen Âge, l'alchimie et, de nos jours, la chimie" (Ernets Bosc)

tombe de Rekhmirê
 "... il existait en Égypte une science hermétique occulte qu'à tort ou à raison on a nommé Art sacré.
L'origine de cet art se perd dans la nuit des temps, on ne pourrait donc nommer son promoteur, son inventeur, mais dès l'époque historique, cet art eut pour premiers adeptes les prêtres de l'Égypte, les Initiés de Thèbes et de Memphis. C'est dans les dépendances du temple qu'ils avaient leurs laboratoires, car l'Art sacré de l'Égypte n'est que l'alchimie du moyen âge, notre chimie moderne. À cette époque lointaine la philosophie et la science marchaient ensemble la main dans la main, le laboratoire fournissait le fait, la science du prêtre créait la théorie. L'initié à l'Art sacré avait des pouvoirs très étendus sur les forces de la nature, c'était une sorte de démiurge ou Dieu créateur. (...)

Aujourd'hui, nous savons ou croyons savoir, du moins, beaucoup de chimie, mais qui nous dit que les Égyptiens n’en savaient pas plus que nous ? Quel serait le chimiste moderne assez osé pour prétendre que les Égyptiens ne connaissaient pas les procédés de la coupellation, eux dont les rois vivaient au milieu de la profusion de l'or et de l'argent, comme nous le savons. S'ils connaissaient la coupellation, ils savaient, comme nous, que si l'on calcine dans des coupelles (faites en os pulvérisé) du plomb argentifère, par exemple, le plomb se réduit en cendres et disparaît dans la substance même de la coupelle, et, à la fin de l'opération, il reste un petit résidu, un petit macaron ou lingot d'argent pur, de l'argent coupellé.
Or, une simple opération, telle que nous venons de la décrire, faite dans le laboratoire d'un temple, cette opération devait, aux yeux de l'initié, passer pour une transmutation véritable.
Du reste, dans les résultats de leur distillation et de tous leurs travaux du laboratoire, les Égyptiens ne voyaient que la réalisation de cette théorie, à savoir que la terre, l'eau, l'air et le feu formaient les quatre éléments du monde, tous susceptibles de transformations. Le résidu de la distillation, résidu solide (charbon), représentait la terre, les liquides, l'eau et les esprits (gaz), l'air.
Quant au feu, ils le considéraient soit comme action ou moteur de l'opération, soit comme purificateur, soit enfin comme l'âme ou lien invisible de tous les corps en général.
L'Art sacré était entouré d’un grand respect ; ce qui contribuait à augmenter, à exagérer même ce profond respect, c'est que les prêtres d'Isis et les initiés, en général, entouraient de mystères les expériences ; de plus, le langage symbolique en usage pour les travaux rendait obscures, pour le profane, les opérations à l'aide desquelles on les accomplissait. Aussi ces travaux n'étaient-ils compris que des seuls initiés, et il était défendu, sous peine de mort, de révéler ces mystères aux profanes. (...)

... l'Art sacré égyptien est devenu, au moyen âge, l'alchimie et, de nos jours, la chimie. Ce qui démontre une fois de plus que la science, toujours une, toujours la même, revêt des formes diverses pour chacune des périodes qu'elle traverse. Cette filiation montre aussi combien notre chimie moderne doit à l'alchimie, et par suite à l'Art sacré égyptien. (...)
Honneur donc aux alchimistes, les dignes disciples de l'Art sacré égyptien ! (...)
Revenant à l'Art sacré des Égyptiens, nous dirons, en manière de conclusion, qu'il est aujourd'hui parfaitement démontré que les prêtres de l'Égypte connaissaient l'alchimie et la transmutation des métaux, ou tout au moins le moyen de faire de l'or. L'histoire nous apprend que Dioclétién, comme tous les empereurs romains, du reste, abusant de sa victoire en Égypte, y fit rechercher et brûler tous les anciens livres de chimie qui traitaient de la fabrication de l'or, afin d'appauvrir les rois égyptiens, qui ne soutenaient la lutte contre Rome qu'à cause du secret qu'ils possédaient de faire de l'or."


extraits de Isis dévoilée, ou l'égyptologie sacrée, 1897, par Ernest Bosc (1837-1913)

Connu sous son pseudonyme J.Marcus de Vèze, cet architecte fut un écrivain prolixe, à qui l’on doit un Dictionnaire raisonné d'architecture et des sciences et arts qui s'y rattachent, un Dictionnaire de la curiosité et du bibelot, un Dictionnaire général de l'Archéologie et des Antiquités chez les divers peuples, un Traité complet théorique et pratique du chauffage et de la ventilation des habitations privées, et des édifices publics, des Études sur les hôpitaux et les ambulances, un Dictionnaire d'orientalisme, d'occultisme et de psychologie... Il était tout particulièrement intéressé par l’alchimie, l’ésotérisme, les sciences occultes, sans oublier les drogues dont les facultés hallucinogènes créent des liens entre les mortels et les puissances occultes. 

"Le principal caractère de l'art égyptien est, avec le goût de l'exactitude, la puissance du sentiment" (Alexandre Max de Zogheb)

Peinture tirée des tombeaux de l'Assassif à Thèbes
"(L'art égyptien), quelque conventionnel qu'il soit, quelque original qu'il puisse paraître, n'en est pas moins remarquable par la puissance de son style aussi expressif que réaliste (...).
Le principal caractère de l'art égyptien est, avec le goût de l'exactitude, la puissance du sentiment. L'artiste se contentait de copier ; mais ce qu'il rendait était expressif autant que fidèle ; il sacrifiait la beauté, conservant cependant la noblesse des formes.
On commença sous l'époque thébaine à exécuter de grandes statues, le style s'en ressentir et devint conventionnel : les poses ne furent plus qu'uniformément compassées, l'expression calme, grave, et les membres rigoureusement symétriques. Ces colosses n'étaient pas du reste créés par un seul artiste : on divisait le bloc en quatre parties : dont on confiait l'exécution à divers ouvriers ; aussi toutes les œuvres de cette époque péchèrent-elles par le défaut de variété dans les attitudes et par le manque de vivacité. En se rendant complètement maîtres des matières plastiques les plus rebelles, les Égyptiens obtinrent enfin, vers la XIXe dynastie, cette remarquable habileté, cette minutie qui transforma leur art en une science de détail.
À l'ornementation compliquée de cette époque succéda bientôt un relâchement dans l'art sous les dominations assyriennes et persanes ; mais, avec les Prolémées, grâce à de nouvelles méthodes, le style se perfectionna et acquit l'élégance qui lui manquait."


extraits de L'Égypte ancienne : aperçu sur son histoire, ses mœurs et sa religion, 1890, par Alexandre Max de Zogheb, 
consul du Portugal à Alexandrie, chargé d'affaires, membre correspondant de l'Institut égyptien, présenté par Maspero en ces termes : "M. de Zogheb n'est pas un savant de profession : c'est un de ces Alexandrins dont le nombre augmente chaque jour, que se passionnent pour l'histoire
leur ville et qui enlèvent aux affaires des heures qu'ils consacrent à l'étude du passé."