lundi 26 novembre 2018

"La merveille de l'Égypte par excellence, sans contredit, c'est Thèbes" (Auguste Baron)


"La merveille de l'Égypte par excellence, sans contredit, c'est Thèbes, Thèbes aux cent portes, la ville illustrée par Homère le poète divin, le Diospolis Magna des Grecs, la cité aux ruines immenses et grandioses que l'armée française salua de ses acclamations quand elle en découvrit de loin les splendeurs. 
En effet, quand on approche du bassin dont elles hérissent la surface, et qu'on voit au loin les ruines colossales projetant leur ombre immense çà et là dans la plaine, qui se développe dans une étendue à peu près égale sur les deux rives du Nil, on se rappelle aussitôt les magnificences décrites par tant d'auteurs et d'historiens fameux.
Une douzaine de villages agglomérés remplaçant la brillante capitale des Pharaons, se sont formés de ses débris. Les plus remarquables sont Louqsor et Karnac sur la rive droite, et, sur la rive gauche, Medinet-Abou, Kournah, El-Beyrat, etc. Ces villages ne s'abritent pas sous des palmiers ou d'autres arbres, mais ils gisent à l'ombre de fûts solitaires, de colosses, de sphinx, de pylônes, de colonnades et d'obélisques, débris de merveilles encore à moitié debout et qui font rêver à la grandeur du peuple qui dort maintenant sous la poussière de la vallée.
Karnac fut l'un des plus beaux palais de Thèbes : ses ruines s'élèvent sur une éminence factice qui se dresse au centre d'une plaine cultivable d'au moins deux lieues de circuit. On est frappé tout d'abord de la grandeur imposante du tableau. Une longue avenue de sphinx, de pylônes, de propylées et d'obélisques, qui aboutissait au fleuve, saisit encore d'admiration et commande le respect. De ces prodiges de l'art, deux sphinx sont seuls debout, distants l'un de l'autre de quatre coudées, couchés, les jambes de devant étendues, celles de dessous repliées. Ils ont des têtes de béliers placées sur des corps de lions, avec une coiffure symbolique qui, couvrant la tête, retombe sur le dos et sur la poitrine.
Au bout de l'avenue des Sphinx se rencontre un pylône, dans un développement de trois cent quarante-huit pieds, sur une hauteur de cent trente-quatre. La porte avait soixante pieds d'élévation. C'est la plus grande construction de ce genre que l'on trouve en Égypte. (...)
Le prodige de Louqsor est au niveau de celui de Karnac. De quelque point qu'on y arrive, les ruines de cet autre palais dominent et s'estompent en gris sur le brillant ciel d'Égypte, comme une demeure de géant. (...)
Je ne parlerai ni du temple ni du palais de Medinet-Abou, non plus que du Memnonium ou Amenophium, et des autres magnificences de Thèbes.
Je rappellerai seulement qu'après la Thèbes des vivants, il y avait la Thèbes des morts, que l'on peut visiter encore. Pour arriver à ces hypogées, il faut gravir des sentiers étroits creusées dans le roc libyque.
Le nombre des galeries qui se présentent en tous sens est incalculable, mais leur intérieur est dans un horrible état de dévastation. Les momies ne sont plus à leur place ni dans leurs boîtes, mais elles jonchent le sol en tout sens. On marche sur elles, et comme le pied enfonce sur leurs débris, on éprouve quelque peine à le retirer. Il est difficile de séjourner dans ces hypogées, car l'air y est saturé d'exhalaisons bitumineuses. On trouve partout dans ces galeries funéraires des statuettes en granit, en bronze, en albâtre, en terre cuite, en bois peint et doré de petites images de momies, de figurines votives, d'images d'hommes d'animaux, de dieux, des lampes, des vases, des tubes, des boules percées."



extrait de Les merveilles de l'ancien monde et du nouveau : descriptions scientifiques, historiques et pittoresques de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique - 3e édition, 1880, par Auguste Baron (18..-19..?), auteur de récits de voyages

"Le temple de Karnak était en quelque sorte le monument national par excellence" (Jacques Siegfried)

"J'ai hâte, du reste, d'en arriver à Karnak, le joyau des ruines de Thèbes" - photo Marie Grillot 

"Nous sommes arrivés à Thèbes par un beau coucher de soleil. L'emplacement de l'antique ville aux cent portes occupe une vaste plaine verdoyante, bordée des deux côtés par de hautes montagnes rocheuses et traversée par le fleuve très large en cet endroit, et dont les eaux relativement calmes reflétaient, au moment de notre arrivée, les teintes dorées des derniers instants du jour. C'était un beau spectacle et bien fait pour diriger nos rêveries vers ces temps reculés où la civilisation égyptienne brillait du plus vif éclat, alors que toute l'Europe était encore plongée dans l'ignorance et dans la barbarie. (...)
Nous avons consacré deux journées aux monuments de Thèbes, et pour graduer l'intérêt de nos excursions, nous avons réservé pour le dernier jour les splendeurs de Karnak. Nous avons commencé par les tombeaux des rois. Ces hypogées sont creusés dans le roc au fond d'une vallée aride que l'on croirait faite exprès pour disposer l'esprit au recueillement. Chacun des rois faisait commencer le sien dès son avènement au trône ; on y travaillait pendant toute sa vie, et l'étendue en était donc proportionnelle à la durée de son règne.
C'est ainsi que Sésostris, dont les deux dates extrêmes sont 1407 et 1341 avant Jésus-Christ, se trouve avoir une tombe de 145 mètres de longueur.
Ces tombeaux ne se composent pas d'une seule salle, c'est une série de chambres et de couloirs dont les parois et les plafonds sont entièrement recouverts de peintures et d'inscriptions relatives les unes aux hauts faits du roi, les autres aux coutumes de son peuple. La fraîcheur de ces peintures est telle qu'on les dirait achevées d'hier, malgré leur durée de trente-trois siècles, et il s'y trouve les révélations historiques les plus authentiques et les plus intéressantes qu'il soit donné à l'homme de consulter, depuis que le génie de Champollion a permis de comprendre les hiéroglyphes qui en précisent le sens.
Les tombeaux des rois sont malheureusement vides, ils ont été pillés par les derniers des Ptolémées, et les sarcophages de granit ou d'albâtre que l'on y a encore trouvés de nos jours ont été tous transportés dans les musées d'Europe. Il n'en est pas de même des tombes des simples particuliers, et nous nous sommes trouvés, au Deïr-el-Bâhri, marcher sur un immense amas de momies parfaitement conservées. 

Une remarque fort curieuse à faire à ce sujet et qui prouve combien les anciens Égyptiens avaient su adapter leur religion aux principes pratiques de l'hygiène, c'est que, dans ce pays où les inondations périodiques et la chaleur constante accélèrent la décomposition, on n'a eu à se plaindre de la peste qu'à partir du moment où les Pères de l'Église défendirent aux nouveaux chrétiens, sous peine de damnation éternelle, de continuer à embaumer les morts, et ordonnèrent de les enterrer purement et simplement.
Au milieu des ruines si intéressantes mais si nombreuses de Thèbes, j'aimerais à parler avec quelques détails du palais de Ramesseïon, du temple de Medinet-Abou et de son magnifique péristyle, des colosses de Memnon et de l'immense réputation qu'ils ont eue anciennement à cause des vibrations sonores qui, dit-on, les agitaient quelquefois au lever du soleil ; je voudrais enfin dire quelques mots de Louqsor, mais mes amis me trouveraient peut-être trop long, et j'ai hâte, du reste, d'en arriver à Karnak, le joyau des ruines de Thèbes.  

C'est un type de grandeur et de majesté que je n'avais rencontré encore qu'à Baalbec. Un premier pylône, aussi haut que la colonne Vendôme, mais dont la façade présente un développement de plus de 100 mètres sur une épaisseur de 45 pieds, et qui, sans doute, était précédé par une avenue de sphinx en rapport avec ces proportions gigantesques, prépare dignement l'esprit aux splendeurs que lui réserve l'intérieur du temple. À ce premier pylône succèdent trois autres portails, séparés chaque fois par d'immenses cours. L'une d'entre elles était et est encore couverte, et son plafond, composé de dalles massives, est supporté par 134 colonnes de 10 mètres de circonférence ; c'est tout simplement prodigieux ! Mais ce n'est pas tout, car, continuant à suivre l'axe du monument et après avoir passé entre des statues colossales, des obélisques de granit et des cariatides de toutes sortes, on arrive enfin au sanctuaire, entièrement bâti de gros blocs de granit rouge, et quand, après tout cela, on se croit au bout, on se trouve en face d'un nouveau palais, celui de Touthmès III.
Mais aussi dix-neuf siècles s'étaient écoulés entre le moment où Ousertesen avait fondé le sanctuaire, 2800 ans avant Jésus-Christ, et celui où les rois de la XXIIe dynastie achevèrent le dernier pylône. Le temple de Karnak était en quelque sorte le monument national par excellence, et il est resté debout comme un témoignage de ce que peut faire le bon accord d'un peuple avec ses chefs lorsque, comme cela se faisait en Égypte, contrairement à quelques idées modernes très vivaces dans certain pays de ma connaissance, la nation poussait son roi vers le bien en lui prodiguant ses témoignages de confiance et en l'exaltant continuellement, plutôt qu'en croyant trouver un levier tout-puissant dans une opposition systématique.
Le seul reproche que l'on puisse faire au temple de Karnak, c'est d'être au niveau de la plaine environnante ; la plate-forme élevée sur laquelle se trouvent les ruines de Baalbec les fait ressortir bien plus et leur assure peut-être l'avantage." 
 


extrait de Seize mois autour du monde, 1867-1869, et particulièrement aux Indes, en Chine et au Japon, par Jacques Siegfried (1840-1909), banquier, entrepreneur et collectionneur français

mercredi 21 novembre 2018

"Les Égyptiens voulaient que leurs monuments fussent éternels" (Charles Seignobos)

illustration extraite de l'ouvrage
"Les rois égyptiens ont été de grands bâtisseurs, ils mettaient leur gloire à élever des monuments énormes, surtout des temples pour leurs dieux et des tombeaux pour eux-mêmes. Ils le pouvaient, ayant à leur disposition de bons matériaux et autant d'hommes qu'il leur en fallait.
Quand un Pharaon voulait faire bâtir, il envoyait ses architectes chercher la pierre dans la chaîne de montagnes qui longe le Nil. On prenait presque toujours, pour bâtir les murs, du calcaire blanc ou du grès ; ce sont des pierres qu'il est facile de tailler. Pour les colosses, les obélisques, les cercueils, on allait chercher dans les roches qui entourent la cataracte du Nil, à Syène, des blocs énormes de granit rose ou bleu.
La pierre était amenée jusqu'au bord du Nil, au moment de l'inondation, quand le fleuve atteignait le pied de la montagne ; on la chargeait sur un radeau qui descendait le Nil et on allait débarquer le plus près possible de l'emplacement où l'on voulait construire.
On rechargeait alors la pierre sur un traîneau ; des troupes d'hommes, conduites par des contremaîtres armés de bâtons, s'y attelaient avec des cordes et le traînaient sur un plancher frotté de graisse. Pour les gros blocs, on attelait à la fois plusieurs centaines d'ouvriers ; c'étaient ou des sujets du roi ou des prisonniers de guerre.
Dans les monuments les plus anciens, comme les Pyramides, la pierre était taillée avec beaucoup de soin, les blocs se tenaient sans être unis par aucun ciment, et leur surface était polie. Les monuments de Thèbes, au contraire, étaient recouverts tout entiers d'une couche de stuc peinte de couleurs éclatantes, de façon à cacher partout la pierre. Aussi ne se donnait-on plus la peine de tailler et de polir les blocs.
Les Égyptiens voulaient que leurs monuments fussent éternels, ils évitaient tout ce qui aurait pu les rendre moins solides. Ils savaient faire des voûtes (on en a trouvé dans des constructions très anciennes) ; mais ils savaient aussi qu'une voûte finit toujours par fléchir parce qu'elle est poussée des deux côtés. Aussi, dans les beaux monuments, n'ont-ils jamais construit de voûtes. C'est avec des blocs de pierre posés horizontalement qu'ils recouvraient les murs, ou les colonnes.

L'Égypte était couverte de monuments ; il y en avait dans toutes les villes. Mais, dans la Basse-Égypte, presque tous ceux qui s'élevaient au-dessus de terre ont été détruits à la longue par les habitants ; il n'est resté que les Pyramides.
Les monuments de Thèbes, au contraire, n'ont pas été détruits ; le pays était devenu si désert que les moines chrétiens s'y retiraient pour vivre seuls. Plus tard, des fellahs sont venus au milieu des temples bâtir de misérables huttes, qui ont formé les deux villages de Karnak et de Louqsor."



extrait de l'Histoire ancienne narrative et descriptive de l'Orient et de la Grèce, 1903, par Charles Seignobos (1854-1942), historien français, "un des acteurs majeurs de l'histoire méthodique, qui repose sur la lecture critique des sources manuscrites".  

La vie sociale et privée des anciens Égyptiens, selon Paul Gaffarel

Tombe de Nébamon, vers 1350 avant notre ère, British Museum
"Mieux encore que la vie politique, nous connaissons, grâce aux monuments et aux témoignages antiques, la vie sociale et privée des Égyptiens. Il y aurait un livre à composer sur leurs festins, leurs jeux et leurs divertissements. Nous voyons leurs enfants jouer aux billes, aux dés, aux volants, à saute-mouton. Nous assistons aux réunions des hommes, où, paraît-il, la tempérance n'était pas toujours rigoureusement observée, car les monuments figurent de gais compagnons, que leurs amis sont obligés de soutenir ou même de porter sur leurs épaules. On s'invitait à des soirées pour entendre des concerts ou voir des danses aussi voluptueuses que celles des modernes aimées. Les orchestres se composaient d'instruments variés, harpes, guitares, flûtes, trompettes et castagnettes. On applaudissait comme aujourd'hui. Des jeunes filles passaient des rafraîchissements et des éventails aux invités des deux sexes, assis sur des chaises et des fauteuils semblables aux nôtres. Les femmes étaient parées de riches étoffes, ornées de beaux dessins brodés à l'aiguille. Elles étaient élégamment coiffées. Elles recouraient même déjà aux artifices des ornements postiches, car on conserve dans nos musées des perruques blondes et tressées. Elles portaient des colliers et des ceintures brillantes, et leurs doigts étaient chargés de bagues.
Nous pouvons aussi suivre, dans l'exercice de leurs professions, les divers corps de métiers. Les tisserands font aller leurs navettes, les cordonniers sont à leur échoppe, les collecteurs de grains amassent les provisions. Ici un médecin tue ses malades d'après l'ordonnance, et un fabricant de caisses à momies prépare leurs dernières demeures : là les potiers façonnent des ustensiles, et des portefaix, attachés à des câbles ; traînent avec effort un colosse de pierre, pendant que leurs aides humectent les cordages et graissent le sol factice sur lequel roule la pesante masse. Ce qui frappe surtout dans la représentation de ces travaux manuels, c'est la ressemblance des procédés. Il semble que les mêmes besoins aient toujours abouti à des résultats identiques. 

À ne considérer que les apparences, l'existence des Égyptiens paraît douce et facile, et pourtant la condition des classes ouvrières était des plus dures. Ils gagnaient à peine de quoi nourrir leur famille. "J'ai vu le forgeron à ses travaux, écrivait un vieux scribe du temps de la douzième dynastie, à la gueule du four. Ses doigts sont comme des objets en peau de crocodile. Il est puant plus qu'un œuf de poisson. La nuit, quand il est censé être libre, il travaille encore après tout ce que ses bras ont fait...
Le tailleur de pierres cherche du travail... ses genoux et son échine sont rompus. Le barbier rase jusqu'à la nuit... Il se rompt les bras pour emplir son ventre... Quant au maçon, ses deux bras s'usent au travail, ses vêtements sont en désordre, il se ronge lui-même, ses doigts lui sont des pains ; il ne se lave qu'une fois par jour... Le tisserand est plus malheureux qu'une femme. Ses genoux sont à la hauteur de son cœur; il ne goûte pas l'air libre... Le cordonnier mendie éternellement. Sa santé est celle d'un poisson crevé. Il ronge le cuir pour se nourrir, etc." 

Ces portraits sont sans doute trop chargés. D'ailleurs sous la salutaire influence de la religion, et grâce à l'activité de l'administration, sans parler de la beauté du climat et de la fécondité du sol, les Égyptiens oubliaient qu'ils n'étaient pas libres et ne s'occupaient que d'assurer leur bien-être."

extrait de Histoire ancienne des peuples de l'Orient jusqu'au premier siècle avant notre ère, 1879, par Paul Gaffarel (1843-1920), historien français, auteur de nombreuses publications sur Marseille et l’histoire coloniale, professeur à la faculté des lettres de Dijon.
Son Histoire ancienne des peuples de l'Orient jusqu'au premier siècle avant notre ère, éditée en 1879, fut adoptée par le Conseil de l’Instruction Publique pour les bibliothèques scolaires.

"Les Égyptiennes avaient le désir de préciser leur beauté naturelle par les merveilleux artifices de la coiffure" (Stéphane, coiffeur)

Peinture de la chambre funéraire de "Userhet"
 "Il y a des milliers d'années, les Égyptiennes avaient le désir de préciser leur beauté naturelle, par les merveilleux artifices de la coiffure et de ses attributs. Déjà donc, dans la vieille Égypte, la toilette était, pour la femme de haut rang, d'un intérêt aussi puissant que pour la grande élégante de nos jours. (...)
La coiffure était la partie la plus riche de l'habillement. Sa préparation constituait une laborieuse opération. En premier lieu, la coiffure exigeait certainement que la chevelure fût coupée à différentes longueurs bien étagées. Ensuite, elle était séparée en centaines de petites mèches que l'on formait en nattes. L'ensemble obtenu par ces fines petites tresses - partant toutes du sommet de la tête - grâce à la coupe préalable, se disposait naturellement en chute verticale et étagée, couvrant le front, les tempes et les épaules.
La coiffure, dans la pratique, connut certainement d'autres dispositions. Nous retrouvons une coiffure aux cheveux roulés en spirales et formant de longues boucles, toutes d'épaisseur égale et très nettement roulées. Elles tombent droites, presque rigides autour du visage et sur la nuque. Le dessus de la coiffure épouse la conformation de la tête.
En raison de la longue préparation que nécessitait la réalisation d'une coiffure avec des cheveux naturels, généralement très abondants, la perruque fut d'un usage presque général. Cette chevelure fausse est d'un poids considérable. Il s'en fit de couleur bleue. La perruque était en laine chez les pauvres, en cheveux de coupe chez les riches.(...)

On piquait dans les cheveux, des peignes décoratifs - en bois - à dents très courtes, ornés parfois à la partie supérieure de figures d'animaux. (...)
Chez ce peuple industrieux, la fabrication des fleurs artificielles était aussi courante que de nos jours. Les coiffures étaient agrémentées de ces imitations florales, éclatantes de couleurs.
Il est certain que, dès ces temps reculés, la chevelure était considérée comme la plus précieuse des parures naturelles et que l'offrir en sacrifice était un présent digne des divinités.
Bérénice, reine d'Égypte, pendant une campagne entreprise par son mari, et craignant pour sa vie, fit vœu de consacrer ses cheveux à Aphrodite. Le roi ayant triomphé, elle sacrifia sa chevelure. Mais celle-ci disparut du temple de la Déesse. L'astronome Conon persuada la reine que sa chevelure avait été emportée au ciel et changée en astre. Il donna à une constellation de sept étoiles - qu'il venait de découvrir - le nom de "Chevelure de Bérénice". Les poètes chantèrent cette métamorphose.
Les habitants de la contrée du Nil, pour résister à l'éclat extraordinaire du soleil, durent se protéger de ses rayons brûlants et portèrent des bonnets dénommés "Claft". Mais l'éveil du bon goût féminin fit de ces couvre-chefs des coiffures riches et variées ; certains furent combinés à la chevelure, avec beaucoup de recherche et d'originalité.
La moindre parure était la bandelette. Pour les grandes cérémonies les ornements étaient plus importants et les coiffures étaient rehaussées de diadèmes d'or. Certains de ceux-ci comportaient des garnitures importantes figurant des pintades, des oiseaux aux plumes de couleurs vives, des têtes de faucons, d'éperviers, des plumes d'autruches montées très droites et très hautes, ou encore des riches parures cloisonnées d'or, serties de lapis, de grenats, de turquoises ou enfin des fleurs de lotus.
Les coiffures royales étaient seules à être surmontées du reptile sacré des Égyptiens : la vipère, attribut des Pharaons. (...)
Bien que l'art égyptien fût un art libre et aisé, il ne nous laisse qu'une idée imprécise du faste de la parure des reines égyptiennes, dans leur luxe éblouissant."



extrait de L'art de la coiffure féminine : son histoire à travers les siècles, 1932, par Stéphane (19..?-....), coiffeur. Aucune information à notre disposition sur cet auteur.

mardi 20 novembre 2018

"Thèbes est peut-être la ville la plus intéressante d’Égypte" (Edith Louisa Butcher)

Illustration extraite de l'ouvrage

"Thèbes, aujourd'hui appelée Louqsor, est peut-être la ville la plus intéressante d’Égypte. Là est le superbe temple de Karnak, dont la construction se poursuivit pendant plus de deux mille ans et qui mit ensuite deux mille ans à tomber en ruine. Les ruines en sont encore debout, et elles nous présentent l'histoire d’Égypte, gravée sur la pierre, depuis Usertesen, de la douzième dynastie, jus-qu'au jour où l'empire florissant de jadis devint une province romaine. 
On y peut contempler les grandes routes qui reliaient entre eux ces merveilleux temples ; elles étaient bordées de sphinx dont les restes mutilés ornent encore maintenant le bord du chemin. Des processions somptueuses traversaient le fleuve, allant des temples situés sur la rive orientale à ceux qui couvraient la rive opposée. Elles couchaient dans les flancs de ces collines stériles les morts puissants, et aujourd'hui, le voyageur venu des lointaines contrées de l'Occident, dont l'existence était presque ignorée à l'époque où les Pharaons régnaient sur le Nil, va profaner d'un regard curieux ces dépouilles exposées dans des vitrines. 
Là aussi se dresse, sur la rive occidentale, le temple de la plus grande reine d’Égypte ; il porte, gravée sur ses murailles, la longue histoire de son règne plein de magnificence. C'est dans une des châsses de ce temple que fut trouvée la vache Hathor qui orne actuellement le Musée égyptien. 
On a écrit bien des livres savants sur les ruines émouvantes et superbes de Thèbes aux cent portes ; mais elles sont d'un intérêt si profond et si pathétique que, même s'il avait lu tous ces livres, le visiteur aurait besoin de plusieurs semaines pour pouvoir étudier avec fruit ces splendeurs écroulées. Or les compagnies de bateaux à vapeur pour touristes lui accordent tout juste quatre jours."


extrait de En Égypte : choses vues, 1913, par Edith Louisa Butcher (1854-1933). Née Edith Louisa Floyer, elle a épousé, le 26 juin 1896, à l’âge de 42 ans, le révérend Charles Henry Boucher, chapelain de l'église anglicane All Saints Church à Ezbekiyya au Caire



 

"L’œuvre de la nature reste infiniment supérieure, en Égypte, à l’œuvre de l'art" (J. de Beauregard)

Jean Pascal Sebah, Statue de Ramsès

"Entre son lac, le désert, et le fleuve, Memphis régnait superbe, avec ses six lieues de pourtour : elle pouvait se croire sûre de l'avenir. Mais non : Memphis est là, au contraire, avec Babylone, Ninive, Balbeck, et vingt autres gigantesques cités aux constructions cyclopéennes, pour proclamer que l'avenir se rit des créations humaines, et n'appartient qu'à Dieu ! Au XIIe siècle, quand Abdallatif visitait les ruines de Memphis, elles étaient encore assez considérables pour qu'il ait pu dire qu'elles "confondent la raison". Depuis, on a bâti le Caire, avec leurs débris : mais la nature réparatrice a fait à Memphis une sépulture digne d'elle ; le Nil a recouvert la plaine de son limon ; et une forêt de palmiers a poussé dessus, qui balancent, au sommet de troncs énormes, leurs palmes gracieuses sur la nécropole à jamais endormie. Au surplus, pareille à un des bois sacrés de la mythologie antique, cette forêt garde un trésor qui en dit plus, sur l'âme de l’Égypte et la nature de son génie, que ne le feraient peut-être, si elles existaient encore, les ruines accumulées des palais et autres monuments granitiques de la capitale : c'est le colosse de Ramsès II, le plus glorieux des Pharaons (...). Couchée maintenant sur le dos, sous de verts ombrages, la statue de Ramsès a été trouvée, presque intacte, il y a quelques années, dans le lac de Bédrachein : seuls, les pieds ont disparu. Or, l'illustre Pharaon la fit élever en souvenir de la victoire qu'il venait de remporter, à Kadesch, en Palestine, sur les Kétas et autres peuples de l'est. (...)
... cette tête qui porte la double tiare des Pharaons et qui rappelle, par la courbe du nez et la grosseur des lèvres, le type sémitique, a une incroyable expression de jeunesse héroïque ; la bouche s'épanouit dans un noble sourire ; et une grande pensée dilate ces yeux pleins d'un clair courage : c'est un portrait parlant ! Le sculpteur inconnu, dont le ciseau inspiré a fait jaillir du granit ce monumental chef-d’œuvre, a donc réellement exprimé ici l'idéal d'un Pharaon, c'est-à-dire, d'après la pensée antique, d'un roi de justice et de vérité, d'un héros qui s'identifie avec le dieu national qu'il manifeste. Pour une fois, l'art égyptien a donc brisé, à Memphis, sa gaîne hiératique : il s'est affranchi des lourdes préoccupations tombales qui, partout ailleurs, lui ont brisé les ailes, en l'emprisonnant dans l'implacable donnée des Pyramides ; et ainsi, pour une fois, il a magnifiquement devancé l'art grec et moulé l'idéal dans la vie. Certes, je ne nie point que les Pyramides, le Sphinx, et les temples laissés par les Pharaons ne témoignent éloquemment de leur puissante imagination, et n'affirment bien haut leur goût prodigieux pour les édifices grandioses. Ils avaient indiscutablement le sentiment du beau et l'attrait du colossal ; ils l'ont même poussé à un degré extrême, au point de stupéfier, par leurs procédés de constructions, nos plus émérites architectes modernes, qui s'avouent impuissants à dégager l'inconnue de ces invraisemblables problèmes de balistique. Mais, tout compte fait, l’œuvre de la nature reste infiniment supérieure, en Égypte, à l’œuvre de l'art.
Quelque belles et imposantes que soient, par elles-mêmes, les masses de pierres, elles le sont encore davantage par le cadre enchanteur qui les enserre, par les sites incomparables dans lesquels des artistes épris du beau les ont placées : sans doute, ici, l'on admire les temples et les cônes cyclopéens ; mais on est plus ébloui encore par les spectacles insoupçonnés que la nature donne de ces merveilles, en les montrant sous des couleurs inconnues. Au contraire, avec cette statue de Ramsès, l'Art reprend tous ses avantages : elle en dit plus, à elle seule, que toutes les pyramides et tous les pylônes, parce que, encore un coup, dans ce pays où le côté pittoresque séduit plus que le côté architectural, on éprouve, en face de l'admirable colosse, la sensation du grand Art, tel que le conçurent les sculpteurs du roi Menés, devanciers, cette fois seulement, des Phidias et des Praxitèles."


extrait de
Parthénon, Pyramides, Saint-Sépulcre : Grèce, Égypte, Palestine, par J. de Beauregard (1844-1929), pseudonyme de l’abbé James Jean-Pierre Condamin, professeur de littérature étrangère et de littérature romane à l’Institut catholique de Lyon (France).