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samedi 29 avril 2023

"J'ai trouvé à Saqqarah l'art grec au nid" (princesse Bibesco)


photo extraite de Wikimedia commons
auteur non mentionné

"Grande nouvelle : j'ai trouvé à Saqqarah l'art grec au nid ! Des colonnes doriques sont sorties depuis peu du sable. Imothep (sic), l'architecte du roi Zozer (sic), dont c'est l'ouvrage, fut le premier Égyptien qui employa la pierre de taille.
L'inscription annonce qu'il a été placé au rang des dieux, après avoir achevé ces deux temples. On le serait à moins. Ils sont divins, petits, parfaits, plus beaux que celui de la Victoire Aptère, sur l'Acropole, auquel ils ressemblent, avec quelque chose de plus fini, de plus serré dans le grain de la perfection.
Ils datent d'environ trois mille ans, trente siècles avant Phidias. Je n'en sens que plus vivement l'ordre aristocratique qui règle l'héritage humain. La préséance est à l'Égypte. Ceux qui ont opposé l'art libre des Grecs à l'art esclave des Égyptiens sont bien quinauds, avec Taine, depuis qu'on a découvert les colonnes de Sagqarah.
La première colonne fut en terre glaise. De gros roseaux du Nil, en fascines, furent dressés autour, pour la faire tenir debout, jusqu'à ce que de limon eût séché.
L'empreinte de ces roseaux, en creux, a donné les rainures de la colonne cannelée.
Pourquoi m'être fâchée, à Ratislava (sic), contre le ciment qui imite la pierre, puisque les plus fameuses architectures du monde ne sont que l'imitation, marbre ou en pierre, des architectures de bois ou de boue séchée ? Tout est transposition, transfiguration.
Mes idées toutes faites sont à refaire."

extrait de Jour d'Égypte, par Marthe Lucie Lahovary (1886-1973), par mariage princesse Bibesco, également connue sous le pseudonyme de Lucile Decaux, femme de lettres française d'origine roumaine.

jeudi 3 septembre 2020

Visite de la tombe de Toutankhamon, avec Howard Carter, par la Princesse Bibesco


photo Harry Burton (The Griffith Institute)

"La Vallée des Rois, mardi 26 janvier.
Visite à Howard Carter, qui va me conduire à la tombe du roi Vivant, the poor little man Tut, comme disent, familières, les Américaines du Winter Palace.
Il m'avait écrit pour me demander mon heure. Je suis allée le chercher dans sa maison du désert. Un cube de boue. Le jardin rectangulaire formé par l’ombre de la maison. La vitre pure du studio ouvre sur le jour. C’est ici qu’il lit Balzac.
Dans la nécropole de la Montagne, je suis admise d’abord aux honneurs du laboratoire. C’est une tombe vide, peinte à fresques, meublée de tables de bois, d’un réchaud, d’une lampe à souder. Carter y travaille à débarrasser son trésor de la résine qui le couvre.
L'aide de laboratoire, M. Lucas, passe à la flamme le harnais d’or de la momie, pour faire fondre les aromates qui l’encrassent. C’est un long travail patient.
Ce sage à lunettes me montre sur une plaque d’or, pas plus grande que l’ongle de mon petit doigt, un oiseau. L’orfèvre a employé cinq émaux différents pour peindre son plumage.

Voici le petit roi Tut et les objets trouvés avec lui ! Il y en a deux sortes, les indifférents et les très beaux.
Les bijoux. Ils sont de deux espèces très distinctes. D’abord ceux confectionnés comme les meubles du musée du Caire, par l’entreprise des pompes funèbres. Passé l’étonnement de les voir intacts, ils sont d’un modèle courant, et ne me plaisent point ; et puis, les autres, les vrais, choisis parmi les objets qui lui ont appartenu, dont il s’est servi, qu'ils a portés pendant sa vie. Ceux-là, on les reconnaît à ce quelque chose de splendide qu’il faudrait appeler leur réalité.
Qui les a jetés là, dans son cercueil, à la dernière minute, contre les règles, enveloppés comment, comme un don furtif d’amour, frustrant l’héritage royal des bijoux vrais du Roi vivant ?
Il y a cinq bagues et deux poignards, un diadème et des boîtes à fards d’une beauté singulière, objets de toilette à fermeture hermétique, lesquels supposent un bon valet de chambre.
Sur le cachet de l’une des bagues, Carter m'explique que ce que je vois c'est : - The swift-soul and the setting sun. L’âme, représentée par cette plus grosse hirondelle que nous nommons un martinet, accolée au soleil des morts, le soleil couchant, si beau, si pur, si nu, en cornaline sanguine. Allusion délicate à l’oiseau qui se montre le soir, ici comme en Europe, à l'heure où le soleil disparaît.Ces bijoux ne ressemblent à rien, ou plutôt ressemblent à ce qu’il y a de plus beau dans d’autres époques, dans d’autres pays. Ils sont beaux au point d’avoir perdu tout caractère national.
Le diadème ressemble à un bijou carlovingien : les poignards rappellent les plus parfaites orfèvreries des Renaissants italiens. Il y a des objets qu’on pourrait croire d'inspiration chinoise, d’autres hindous, d’autres persans ou français. Il y a des cannes qui ressemblent à celles de Marie-Antoinette.
Les différences nationales s’effacent dès qu’on dépasse un certain niveau de beauté. Toujours le mot si fier de Montaigne : "J’ay veu ailleurs des maisons ruynées, et des statues, et de la terre, et du ciel : ce sont toujours des hommes."

On me montre une canne, un simple jonc à pomme d’or qui porte cette inscription : "Ceci n’a aucune valeur, mais en a beaucoup pour le Roi. Ce petit roseau a été coupé des mains de Sa Majesté, au bord de son lac préféré."
Il y a deux interprétations : La première, la plus sentimentale : Sa Majesté sous-entend : la Reine. Et l’autre, que je préfère : La cueillaison du petit roseau par le Roi lui-même, événement mémorable dans la vie d’un bel adolescent gardé et servi, qui ne faisait jamais rien de ses mains.

On m’a montré son bouquet ; je l'ai tenu dans mes mains : un bouquet qu’ils ont trouvé en ouvrant sa tombe, posé debout au pied du sarcophage.
Il est composé de branches d’olivier et de saule, de bluets, de nymphéas bleus et de baies de belladone, qui ont gardé leur forme, et n ’ont pas même tout à fait perdu leurs couleurs.

Après avoir vu ses bijoux, ses cannes, ses poignards, son bouquet, nous l’avons vu, lui, l’Image-Vivante-de-Dieu, dans son cercueil de bois provisoire, sous le voile de gaze d’hôpital qui le couvre. Sa petite figure, "so sad", si triste, dit Carter ; ses dents qui gardent sa jeunesse, et lui font un douloureux sourire, sa petite figure qui est à lui, vivant, tel que je l’ai vu dans le masque du Caire, ce qu’est à une figue sèche la figue gonflée d’eau, de pulpe, de sucre.
Et son sourire de mort, je l’ai revu, jusque dans la glace de la Ford qui nous ramène à l’embarcadère, sourire douloureux du petit chauffeur nubien qui lui ressemble comme un frère."

extrait de Jour d'Égypte, par Marthe Lucie Lahovary (1886-1973), par mariage princesse Bibesco, également connue sous le pseudonyme de Lucile Decaux, femme de lettres française d'origine roumaine.