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mardi 10 mars 2020

Coucher de soleil sur Le Caire, par Georges Montbard


photo des frères Zangaki (actifs vers 1870-1875 et 1880-1899)


"À ce moment ils étaient sur la terrasse (*): la vue était unique, féerique, par ce splendide soleil couchant. 
À leurs pieds s'étendait la ville, immense ; au premier plan, on apercevait distinctement la mosquée du sultan Hassan, celle de Touloun avec son étrange minaret, plus loin les casernes de la place Qarameidan ; puis, dans une poussière d'or, dans un fourmillement lumineux, une confusion infinie de terrasses, de dômes, de coupoles, de minarets ; et, parmi tout cela, quelques lignes noires indiquant l’enchevêtrement des rues. Le massif de l'Esbekieh faisait une tâche verte sur cette étendue blonde, vaporeuse, terminée par la lisière des maisons européennes du riche quartier d’Ismaïlieh, qui se déployait jusqu'à Boulaq ; et c'était le Nil qui luisait comme une lame d'argent dans une verte ceinture et, au dernier plan, se détachant sur le fond bleuâtre et brumeux du désert, les larges silhouettes d'un bleu plus foncé des Pyramides. 
Le soleil descendait lentement sur l'horizon. À un moment, avant de disparaître, il y eut comme un éblouissement prodigieux, une sorte d’auréole gigantesque qui emplit le ciel, illuminant l’espace ; et la cité, toute ruisselante de lumière, resplendit avec des scintillements infinis sous cette avalanche éclatante, faite de pourpre et d'or ; le Nil flamboya ; les champs devinrent subitement d'un vert plus intense ; un instant, les minarets brillèrent comme des aiguilles de feu ; les coupoles étincelèrent, les dômes rayonnèrent dans un embrasement général. Puis, l’orbe de feu disparut à l'horizon et instantanément tout pâlit ; le ciel verdit, les rayonnements s'éteignirent ; la gamme hardie des couleurs s’adoucit brusquement ; les ors et la pourpre de tout à l'heure se transformèrent en tons oranges, violets, puis bleus ; l'air fraîchit tout à coup, les ombres augmentèrent d'intensité ; et bientôt, presque sans transition, tout s'abîma dans une grande teinte sombre, et la nuit vint ! 
- Brrr.... dit Onésime frissonnant en mettant son paletot, ça se passe lestement ici ; le soleil est pressé, il n'aime pas à lanterner des heures sur l'horizon, à crépusculer comme il le fait chez nous ; il n'y va pas par quatre chemins ; dès qu'il a fini sa besogne, bonsoir, la compagnie ! Il vous tire un grand coup de chapeau et tourne les talons… puis, s'adressant à Jacques :
- Te voilà content, toi, tu t’es payé ton coucher du soleil !
- Oui ; et c'est ton tour maintenant ; voilà la nuit ; tu vas bientôt pouvoir continuer ton somme si bien commencé dans la mosquée.
Quand ils retrouvèrent leurs âniers sur la place Roumeilieh, la nuit était complète."


(*) de la Citadelle, au Caire

extrait de En Égypte - Notes et croquis d'un artiste, par Georges Montbard (1841-1905), pseudonyme de Charles Auguste Loye, caricaturiste, dessinateur, artiste peintre et aquafortiste français

mercredi 8 janvier 2020

Le Sphinx, "sentinelle avancée de l'Égypte qui, de son mystérieux regard, sonde éternellement les profondeurs du désert" (Georges Montbard)

dessin de Georges Montbard

"... Jacques et le docteur s'arrêtaient pour contempler le Sphinx. Le monstre, à tête humaine, au corps de lion, taillé à même dans le roc, repose accroupi dans sa pose calme et puissante... enseveli jusqu'aux épaules dans son linceul de sables ; la tête seule émerge, empreinte de cette sérénité imposante qu'on retrouve partout sur les visages des Dieux, dans la statuaire égyptienne. Sa face placide, à laquelle le nez mutilé, une profonde entaille au front et les larges balafres qui sillonnent les joues donnent un aspect redoutable, contemple l'Orient, fouillant le désert de son regard morne ; sa bouche, aux lèvres fortes, aux coins légèrement relevés, a ce vague et long sourire résigné des fellahs ; sa large oreille semble écouter tous les murmures, et, sur sa nuque de géant, retombent en plis rigides les bandelettes royales qui ornent son front. Cette figure étrange, "l'œuvre merveilleuse des Dieux", est effrayante dans son immobilité solennelle ; on se sent frissonner devant ce gardien muet de tombeaux cyclopéens, sentinelle avancée de l'Égypte qui, de son mystérieux regard, sonde éternellement les profondeurs du désert, écoutant impassible dans le lointain le bruit sourd des peuples en marche se ruant sur la terre des Pharaons, comme il avait écouté les gémissements et les malédictions désespérées des ouvriers qui construisirent les Pyramides.
Le flux et le reflux des invasions sont venus battre sa poitrine de pierre ; sans l'ébranler, le temps l'a oublié... et, depuis plus de six mille ans, le sombre visage du génie de l'Afrique continue à fixer l'Orient et à recevoir le baiser du matin d'Horus. 
C'est l'aïeul, défiguré par des pygmées, de cette race muette de Titans, taillés sommairement dans le granit, avec des délicatesses étonnantes de ciseau, regardant passer les siècles, figés dans leurs poses raides. 
C'est "le père de l'Épouvante" des Arabes, qui s'enfuient devant cette tête énorme surgissant de terre.
C'est enfin l'énigme monstrueuse de l'histoire de l'Égypte qui, au fur et à mesure qu'on cherche à en pénétrer le mystère, recule de plus en plus les bornes d'un passé historique, qui se perd toujours plus profondément dans la nuit des âges.
 - N'était-il pas un symbole ? Ne personnifiait-il pas Horus ? demanda Jacques.
- Oui, pour les Égyptiens, c'était Har-Em-Kou, Horus dans le soleil brillant. Les Grecs l'appelaient Harmachis, Horus sur l'horizon, et aussi Agathodémon ; il symbolisait la victoire d'Horus sur Typhon, de la lumière sur les ténèbres, et personnifiait l'idée réduite à sa plus simple expression, mais hautement formulée de la résurrection. Il était enduit autrefois d'une couche de couleur rouge, dont il reste encore quelques traces. À l'époque de Chéops, on le restaurait, ce qui lui donne déjà à cette époque un âge assez respectable, mais on ne sait encore à qui en attribuer la fondation. Les fouilles qui ont lieu en ce moment donneront-elles le secret de l'énigme ? Y a-t-il autre chose entre les pattes du Sphinx que l'autel, le petit édicule et le lion découverts par le capitaine Caviglia au commencement du siècle, et le temple de granit trouvé par Mariette dans les environs ? C'est ce que l'avenir nous dira." 


extrait de En Égypte - Notes et croquis d'un artiste, par Georges Montbard (1841-1905), pseudonyme de Charles Auguste Loye, caricaturiste, dessinateur, artiste peintre et aquafortiste français