jeudi 29 avril 2021

La description du Caire, par le chirurgien et naturaliste Claude Granger (XVIIIe s.)

illustration de David Roberts (1796-1864)

"Cette ville capitale de l'Égypte a sept milles de circuit, sans y comprendre Boulac, ni le vieux Caire. Sa longitude est quarante-neuf degrés, et sa latitude vingt-neuf et cinquante minutes ; elle est sur la rive droite du Nil. Le nombre de ses habitants est plus grand que celui de Paris, quoique celui des maisons ne soit pas si grand. On compte sept cent vingt mosquées avec minarets et prédicateurs, quatre cent trente qui n'ont ni l'un ni l'autre, et soixante-dix bains publics.
On y voit un collège appelé la Mosquée des fleurs, où l'on enseigne les principes du mahométisme, un peu de logique, d'astronomie, d'astrologie judiciaire, et d'histoire. C'est le siège des quatre pontifes ou chefs des quatre sectes de la Loi, Eschefaii, Maleki, Abali, Hanefi (*), égaux entr'eux, et qui ont beaucoup d'autorité dans la ville. Ce collège est entretenu aux dépens du Grand Seigneur, indépendamment des revenus des legs des bienfaiteurs, dont jouissent les pontifes. Parmi plusieurs sectes qui se sont élevées dans la religion de Mahomet, les quatre dont je viens de parler sont réputées orthodoxes, on peut s'y attacher sans donner atteinte à la foi, selon eux.
La ville est traversée par un canal que Prolomée nomme Trojanus Amnis ; Quinte-Curse Oxius, et les Turcs Merakemi, c'est-à-dire pavé de marbre, il sort du Nil tout auprès du vieux Caire ; ses eaux coulent pendant trois mois, après quoi il devient cloaque ; il forme sept ou huit petits étangs dans la ville et aux environs, arrose les campagnes voisines, et va se jeter dans le lac des Pèlerins à trois lieues du Caire.
Les rues de cette ville sont étroites et sans alignement, non pavées, poudreuses, balayées pourtant et arrosées tous les jours devant les maisons des honnêtes gens. Les maisons sont à plusieurs étages, terrassées, bâties de briques ; les fenêtres qui donnent sur la rue sont grillées et garnies de jalousies, pour que les femmes ne soient pas vues des passants. L'extérieur des maisons n'a rien de beau, et la magnificence des palais des grands consiste à quelques salles pavées de marbre. Dans toute la ville il n'y a qu'une place publique qui est devant le château ; on n'y voit ni arbre, ni fontaine, ni aucun autre embelissement.
Le château est plus vaste que fort, sans régularité. Il est dominé par la montagne du Levant ; la garde en est confiée aux janissaires et aux azabs. C'est le séjour du pacha ; mais il n'y est pas le maître, et la milice l'en fait sortir quand il lui plaît.
Un aqueduc de trois cent vingt arcades conduit l'eau du Nil au château. Cet aqueduc dont parlent Crésias, Diodore de Sicile et Strabon, a été renouvelé par les princes mahométans qui l'ont fait bâtir de pierres taillées en pointe de diamant.
On voit dans le château un puits extraordinaire, nommé vulgairement puits de Joseph et en arabe du Limaçon, à cause de la figure spirale de la descente. C'est un carré de seize pieds de large dans oeuvre sur vingt-quatre de long ; sa profondeur est de deux cent soixante-quatre pieds, mais en deux coupes qui ne sont pas perpendiculaires l'une à l'autre, la premiere coupe a cent quarante-huit pieds, la seconde cent seize. On tire l'eau par le moyen d'une double roue et d'un double chapelet de cruches de terre. Les boeufs employés à faire tourner ces roues descendent à la premiere coupe par une galerie creusée dans le roc qui règne autour du puits du haut en bas ; l'eau de ce puits n'est bonne à boire que dans le temps de l'inondation, après quoi elle est saumâtre, ainsi que celle des autres puits qu'il y a dans la ville.
On compte au Caire sept à huit mille Juifs, plus de vingt mille Coptes, peu de Grecs, d'Arméniens, et de Maronites. Il y a quatre hospices de religieux qui y font la mission et qui n'opèrent pas beaucoup ; ce sont les Cordeliers, les Récollets, les Capucins, et les Jésuites. Il y a deux patriarches d'Alexandrie, l'un pour les Coptes et l'autre pour les Grecs."

(*) on reconnaîtra les quatre écoles sunnites suivantes : chafiisme, malékisme, hanbalisme, hanafisme


extrait de Relation du voyage fait en Egypte en l'année 1730 : ou l'on voit ce qu'il y a de plus remarquable, particulièrement sur l'histoire naturelle, par Claude Granger (16.. - 1737), chirurgien, naturaliste. Son véritable nom était Tourtechot (aucune mention de prénom). Il fit le voyage en Égypte, attiré par son ami M. Pignon, consul de France au Caire, et y fit deux séjours.

L'orthographe de certains mots a été rétablie selon sa forme actuelle.

mardi 27 avril 2021

"Il n'est point d'endroit dans toute l'Égypte où il soit resté tant de beaux monuments, et tant de choses qui méritent d'être vues" (le père Sicard -XVIIIe s.- à propos de Thèbes)

Thèbes : dessin d'André Dutertre (1753-1842)

"Que n'a point dit toute l'antiquité de Thèbes, autrement Diospolis Magna ? ll n'est pas un auteur qui n'en ait parlé comme d'une ville dont la grandeur et la beauté étaient au-dessus de toute expression. Diodore veut que son circuit fût de cent quarante stades, qui font six lieues, à quelque chose près. Strabon lui donne même quatre-vingts stades de longueur. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il fallait que son étendue fût prodigieuse, puisqu'elle fut nommée la ville à cent portes. Non seulement elle fut la capitale de l'Égypte, mais sous Sésostris elle était même la capitale de l'Orient. Sa situation était d'autant plus commode et plus avantageuse pour nourrir les milliers d'habitants qu'elle contenait, que le terrain des environs est admirable, et que le Nil traversait la ville. 
Or cette superbe ville a eu le même sort qu'Alexandrie et que Memphis : on ne la connaît plus que par ses ruines, mais avec cette différence que, malgré les malheurs où elle a été exposée, malgré les efforts qu'ont faits les Carthaginois (Ammien. l. 17.), le roi Cambyse, les Romains, sous Cornelius Gallus, pour la détruire de fond en comble, après l'avoir pillée et saccagée, il n'est point d'endroit dans toute l'Égypte, où il soit resté tant de beaux monuments, et tant de choses qui méritent d'être vues.
Par exemple, à l'est du Nil, on voit six portes entières du château dans lequel était renfermé le palais des rois de Thèbes ; ce sont autant de chefs-d'œuvre de la plus parfaite architecture.
Au sortir de chaque porte, on trouve une longue avenue de sphinx et de toutes sortes de statues de marbre qui conduisait au palais. Cela n'est rien en comparaison du grand salon de ce palais : il est soutenu de cent douze colonnes, qui ont soixante et douze pieds de haut, et douze pieds et un tiers de diamètre, toutes couvertes de figures en relief et peintes. Les murailles et le plancher sont peints aussi hors du salon en différents péristyles ; l'on peut compter jusqu'à mille colonnes, quatre colosses de marbre, et plusieurs obélisques, dont deux sont de porphyre, et quatre de granit. 
Un peu plus loin est le chateau et le sépulcre du roi Osymandyas, dont parle Diodore ; la chambre du sépulcre est encore entière.
Pour ce qui est du château, il est réduit à deux pièces avancées presque en demi-lune, sur lesquelles sont représentés les combats et les triomphes de ce prince. De tous côtés on y trouve des colonnes, les unes avec des bas-reliefs, et les autres non sculptées, plusieurs temples à demi ruinés, et les débris de la bibliothèque.
Ce qui est au couchant du Nil n'est pas moins curieux que ce qui est à l'orient. Sans parler des temples de Vénus et de Memnon, des galeries pleines d'hiéroglyphes, des colonnes, il y a des choses que l'on peut dire être uniques dans le monde, savoir : les sépulcres des rois de Thèbes et trois statues colossales. Les deux premières, dont a tant parlé Strabon, sont remplies d'une vingtaine d'inscriptions, soit grecques, soit latines ; la troisième est la statue du roi Memnon, laquelle, selon la tradition des anciens Égyptiens, rendait un son au lever du soleil.
L'on prétend qu'il y a eu jusqu'à quarante-sept sépulcres des rois de Thèbes. Il paraît que sous le règne de Ptolémée-Lagus, il n'en restait déjà plus que dix-sept. Diodore dit que du temps de Jules César le nombre en était encore diminué ; aujourd'hui il en reste dix, cinq entiers, et cinq à demi ruinés, ce qui suffit pour donner
l'idée que l'on doit avoir d'une chose aussi singulière que celle-là, et qui ne cède en rien à la magnificence des tombeaux des rois de Memphis, c'est-à-dire des pyramides.
Les sépulcres de Thèbes sont creusés dans le roc, et d'une profondeur surprenante. On y entre par une ouverture qui est et plus haute et plus large que les plus grandes portes cochères. Un long souterrain, large de dix à douze pieds, conduit à des chambres, dans l'une desquelles est un tombeau de granit élevé de quatre pieds ; au-dessus est comme une impériale qui le couvre, et qui donne un véritable air de grandeur à tous les autres ornements qui l'accompagnent.
Salles, chambres, tout est peint depuis le haut jusqu'en bas. La variété des couleurs, qui sont presque aussi vives que le premier jour, font un effet admirable ; ce sont autant d'hiéroglyphes qu'il ya de figures d'animaux et de choses représentées ; ce qui fait conjecturer que c'est là l'histoire de la vie, des vertus, des actions, des combats, des victoires des princes qui y sont inhumés.
Mais il en est des hiéroglyphes des Égyptiens, comme des caractères de quelques peuples anciens, qu'il nous est à présent impossible de déchiffrer. S'il arrive jamais que quelqu'un parvienne à en avoir l'intelligence, on aura l'histoire de ces temps-là, qui nous est inconnue, et qui vraisemblablement n'a jamais été mise par écrit.
Outre l'histoire du temps, on aura l'abrégé des superstitions des Égyptiens ; car il y a quelques-unes de ces chambres, où l'on voit différentes divinités représentées sous des figures humaines ; les unes ayant des têtes de loup, les autres de chien, de singe, de bélier, de crocodile, d'épervier. En d'autres endroits, ce sont des corps d'oiseaux avec des têtes d'hommes ; dans d'autres chambres, ce sont des sacrifices qui sont peints, les sacrificateurs avec leurs habits bizarres, les esclaves les mains liées derrière le dos, ou debout, ou couchés par terre ; tous les instruments qui servaient aux sacrifices. Dans d'autres, ce sont les instruments de l'astronomie, des arts, du labourage, de la navigation, des vaisseaux qui ont pour proue et pour poupe des becs de grue et d'ibis, et pour voiles des soleils et des lunes."


texte extrait de Description de l'Égypte, par le père Sicard.

Claude Sicard (1670 ou 1677-1726), membre de la Compagnie de Jésus, est envoyé au Caire en 1712 (date approximative) comme supérieur de la mission jésuite, après un séjour de six ans en Syrie, au cours duquel il apprend langue arabe.
En Égypte, il parcourt tout le pays - avec la mission de “convertir les Coptes” ! - et s'attache à le décrire, en identifiant les lieux antiques et bibliques. Ce voyage a pour but de retracer l’itinéraire de l’Exode et de la traversée de la mer Rouge par les Hébreux. 
Jean-Marie Carré, dans son ouvrage Voyageurs et écrivains français en Égypte, 1956, souligne la "documentation sûre", l' "esprit scientifique", la "curiosité critique" et la "longue expérience de l'Égypte" de cet auteur.

samedi 24 avril 2021

Description du vieux Caire, par Paul Lucas (XVIIe - XVIIIe s.)

Carte du vieux Caire - 1736 - par Richard Pococke

"Pendant que je restai dans cette ville je fus au vieux Caire visiter le lieu où l'on dit que Notre Seigneur, la sainte Vierge et saint Joseph ont demeuré. 
Le vieux Caire est loin du nouveau environ d'un mille et demi. L'on passe dessous un grand aqueduc qui conduit l'eau du Nil dans le château, et ensuite devant les greniers que Joseph fit bâtir pour mettre le blé. Les Turcs en font encore aujourd'hui le même usage ; et je crois que c'est le seul de tous les bâtiments antiques qu'ils ont soin de réparer. 
Le vieux Caire est tout plein de ruines : tous les habitants en sont Coptes et Grecs, et ces deux sectes y ont chacune une église. Celle des Grecs est en manière de dôme, et n'a rien de particulier : elle est dédiée à saint George. Il y a un couvent de filles grecques attaché à cette église ; elles sont toujours au nombre de cent, et n'y sont point reçues qu'elles n'aient près de cinquante ans.
L'église des Coptes est assez belle, et bâtie au-dessus de la chambre qui a servi d'habitation à Jésus-Christ et à la sainte Vierge. C'est dans cette église à côté du choeur que l'on va par une allée à la chambre de la sainte Famille. Il faut descendre quelques degrés d'environ deux pieds de large, et l'on se trouve sous une voûte de vingt pieds de long, et dix de large. C'est donc en ce petit lieu, qui est tout simple, que l'on dit que Jésus, la Vierge et Joseph ont demeuré pendant deux années. Cette petite voûte ne reçoit de jour d'aucun endroit. À main gauche en entrant l'on voit une pierre, où l'on dit que la sainte Vierge lavait les linges de l'enfant Jésus ; et devant il y a comme une espèce de petit four, et une avance qui sert d'autel. En se retournant dans un coin, entre la voûte et la pierre du mur, il y a un gros morceau de bois que les Coptes croient être de l'arche de Noé. Après que j'eus fait mes prières dans ce saint lieu, je remontai à l'église de dessus.
L'on me fit remarquer que dans la nef de cette église il y avait plusieurs Francs enterrés. Quand il en meurt quelques-uns au Caire, on les y apporte à la pointe du jour sur un brancard sans grande cérémonie. Tout le reste de la nation se rend au bout d'une heure à l'église, et l'on fait les funérailles du défunt. Les Coptes prennent deux piastres pour la place de la fosse. 
Nous sortîmes de cette église, dont la porte comme toutes celles des autres Chrétiens en Orient est très basse. Cet usage n'est, à ce qu'on me dit, que pour empêcher les Turcs d'y entrer à cheval, ce que les Chrétiens même observent dans leurs maisons particulières.
Un jour j'accompagnai M. le Consul à l'audience du Pacha ; le Consul va à cheval, et six janissaires mitrés marchent devant lui. Il y a six grands valets en habits uniformes, qui marchent trois de chaque côté. Toute la nation va ensuite montée sur des bourriques, car il n'est permis qu'au Consul d'aller à cheval ; encore les gens murmurent-ils quand ils le voient passer. J'entendis dire à un marchand qui était à la porte quand nous passions : Ah ! pauvre cheval, quel péché as-tu commis pour avoir mérité la peine de porter un infidèle ? car dans toute la Turquie ils traitent ainsi tous les Chrétiens de jiaours, qui veut dire infidèles." 


extrait de Voyage du sieur Paul Lucas au Levant, 1731

Paul Lucas (1664 - 1737), marchand, naturaliste, médecin et antiquaire normand, effectua son voyage au Levant de juin 1699 à juillet 1703. Ses observations "sont à la fois le résultat d'une interprétation personnelle souvent très fantaisiste et d'une compilation d'ouvrages contemporains ou antérieurs. (...) Paul Lucas est loin d'être un guide absolument sûr. Mais il est le premier vulgarisateur." (Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, 1956)

L'orthographe de certains mots a été rétablie selon sa forme actuelle.

jeudi 22 avril 2021

Description du Caire, par Jean de Thévenot (XVIIe s.)

Carte du Caire par Matteo Pagano, publiée dans Civitate Orbis Tarrarum par Braun et Hogenberg, 1572.


"Il y a tant de choses à voir au Caire qu'on en pourrait faire un assez gros volume, et comme j'y ai fait un séjour assez considérable, j'en ai vu une bonne partie ; c'est pourquoi je les mettrai ici selon l'ordre du temps auquel je les ai vues. (...)
Cette ville est mal située, car elle est au pied d'une montagne sur laquelle est le château, de sorte que cette montagne la couvre, et lui ôte tout l'air, en arrêtant le vent, et c'est cela qui fait la grande chaleur étouffante qu'on y souffre, qui engendre tant de maladies, au lieu que si elle était à la place du vieux Caire, premièrement on aurait la commodité du fleuve, qui est de si grande importance, quand ce ne serait que pour boire, car il faut porter l'eau par tout le Caire dans des outres sur des chameaux, qui la vont quérir à Boulac qui est à plus de demi-lieue de la ville, et qui est le lieu le plus proche : d'où vient qu'on boit tant de méchantes eaux au Caire, parce que ceux qui la vont quérir sur leurs chameaux, pour faire plus de voyages, la prennent dans des 'birques' ou mares puantes, qui sont plus proches que la rivière, et (...) ils la vendent bien cher. 
Ils auraient encore l'avantage du vent, qui leur viendrait de tous côtés le long du fleuve, de sorte qu'on serait beaucoup moins incommodé de la chaleur ; de plus, le commerce en recevrait grande commodité, en ce qu'on n'aurait pas la peine et le coût de charger les marchandises sur des chameaux, pour les porter de la ville au port, ou du port à la ville. Aussi les anciens avaient bien pris la situation de Memphis sur le bord du fleuve de l'autre côté de l'eau, et depuis on a bâti encore le vieux Caire sur le bord du fleuve en delà l'eau vis à vis de Memphis, et les derniers qui devaient corriger les fautes des autres, s'il y en avait, ont le plus manqué, car je ne trouve point d'autres raisons pourquoi ils aient pris cette incommode situation, sinon peut-être pour joindre leur ville au château, afin d'être sous sa protection.
Le Caire est une fort grande ville remplie de canaille. Il est en forme de croissant, peu large, et c'est à tout que plusieurs se sont persuadés que le Caire fut plus grand que Paris. J'ai fait une fois avec deux ou trois autres Français le tout de la ville et du château ; nous étions sur des ânes, n'osant aller à pied, crainte d'être maltraités, mais nous allions doucement, accommodant le mieux que nous pouvions le pas de nos ânes à celui des hommes, et nous mîmes deux heures et un quart à faire ce tout, qui est d'un peu plus de trois lieues, mais non pas quatre lieues. (...)
Plusieurs personnes ont écrit que le Caire n'a point de murailles, et c'est peut-être ce qui les a fait confondre le Caire avec Boulac et avec le vieux Caire, mais ils n'y ont pas  bien regardé, car le Caire est tout entouré de murailles fort belles, et assez épaisses : elles sont bâties de belle pierre encore si blanche qu'on dirait qu'elles seraient bâties tout de nouveau, si on ne connaissait par les grandes crevasses qu'il y en a plusieurs parts, qu'elles sont fort anciennes. Ces murailles sont fort bien garnies de beaux créneaux, et à l'intervalle de moins de cent pas il y a de fort belles tours, capables de tenir beaucoup de gens ; elles ont été bâties fort hautes, mais elles sont présentement toutes couvertes de ruines, qui sont si hautes que j'ai y passé en des endroits où elles cachent les murailles tout à fait (...).
Il est bien vrai que toutes les rues du Caire sont fort courtes et étroites, excepté la rue du bazar et le 'khalij', qui n'est sec qu'environ trois mois de l'année, et encore peu de gens y passent-ils. Il n'y a pas une belle rue au Caire, mais quantité de petites, qui sont des tours et détours ; ce qui fait bien connaître que toutes les maisons du Caire ont été bâties sans aucun dessin de ville, chacun prenant tous les lieux qui leur plaisaient pour bâtir, sans considérer qu'ils bouchaient une rue ou non.
Pour les mosquées, je crois bien qu'il y en a 23 mil, mais de ces vingt-trois mil, il; y en a une bonne partie qui ne sont que de petits trous ou chapelles, n'ayant pas dix pas en carré. Ce n'est pas aussi qu'il n'y ait plusieurs belles grandes mosquées, bâties superbement, et ornées de fort belles façades et portes, et de minarets fort hauts. La plus belle est 'Dgemiel-azem'.
Les maisons du Caire sont à plusieurs étages, bâties en terrasse, comme par toute la Turquie, et on y prend le frais quand le soleil s'est retiré, et même plusieurs personnes y couchent en été. Elles ne paraissent toutes rien par dehors, mais par dedans vous n'y voyez qu'or et azur, au moins dans celles des gens de condition, et la plupart des salles sont ouvertes au milieu du plancher d'une ouverture ronde, par laquelle on reçoit beaucoup de frais, qui est une chose bien précieuse en ce pays-là, et ordinairement au-dessus de cette ouverture est un petit dôme ou 'coupe', où il y a plusieurs fenêtres à l'entour, pour laisser passer le vent."


extrait de Relation d'un voyage fait au Levant : dans laquelle il est curieusement traité des Estats sujets au Grand Seigneur, par Jean de Thévenot (1633-1667), voyageur parisien
"Avec Jean de Thévenot commence la grande époque des voyages, apparaît le type du voyageur professionnel, de celui que nous appellerions aujourd'hui l'explorateur. (...) Cette relation de voyage n'est ni bien écrite ni bien composée. Mais elle reste savoureuse par sa franchise et par la vérité de ses impressions. C'est un tableau pittoresque de l'Égypte, après un siècle et demi de domination turque. L'auteur ne se préoccupe ni de démontrer, ni de coordonner ses notations. Il raconte, et c'est tout..." (Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, 1956)
L'orthographe a été rétablie selon sa forme contemporaine.

mercredi 21 avril 2021

Lettre de Mr de Monconys à un de ses amis sur les Pyramides et les Momies d'Égypte (février 1647)

Une pyramide et le Sphinx tels que se les représentait François Le Gouz de la Boullaye (1623-1668)

"Douze jours après mon arrivée au Caire, je fus voir les Pyramides : elles sont presque à l’opposite de cette ville (qui leur demeure au nord-est [...]) éloignées de deux grandes lieues à l’extrémité d'une campagne qui, depuis le Nil jusques au commencement du roc sur lequel elles font situées, a la largeur de deux lieues, et règne ainsi tout le long de ce fleuve, tant en descendant, que du côté de sa source. Ce roc qui borne la campagne presque parallèlement avec le Nil a environ cent pieds d'éminence, et continue bien avant dans les déserts comme une plate-forme toute couverte des sables que les vents y ont apportés ; sur le bord sont situées ces grandes masses de pierre, qui ayant subsisté si longtemps semblent vouloir discuter leur durée avec la sienne, et mériter en cela utilement le nom de Merveilles qu’elles possèdent seules à présent.
Entre une quantité qu’il y en avait pendant cinq ou six lieues de long, et qui étaient grandes ou petites, suivant le pouvoir et la magnificence du Prince qui les faisait construire : en remontant le long du fleuve, on en voit deux grandes en cet endroit, qui ont toujours été les plus estimées. La petite qui ne cède guère à la grande, et n'en est éloignée que de cent pas, est beaucoup ruinée, et je parie qu’elle est faite en sorte qu'on n’y peut monter, et qu'il n'y a point d'ouverture pour entrer dedans ; on ne la contemple pas si curieusement, et on se contente de prendre exactement les particularités de la grande.
Voici ce que j’en ai remarqué avec les mauvais instruments que j’ai pu trouver, et les fils dont je me suis servi par deux fois que j’y ai été sans m’en ennuyer, étant prêt d’y retourner à la première commodité qui s'offrirait, tant on en trouve la vue admirable.
Elle a cinq cent vingt pieds de hauteur, et six cent quatre vingt et deux pieds de face. Elle est parfaitement carrée, et a ses faces opposées aux quatre parties du monde. Elle est faite en degrés de très gros quartiers de pierre, chacun ayant deux pieds et demi de haut, quelques-uns plus, quelques-uns moins, et font en tout deux cent huit degrés qui se terminent en une plate-forme de seize pieds en carré, que composent douze très grosses pierres, la plupart rompues aussi bien que bonne quantité de degrés. Le temps en fait une plaisante métamorphose en petites lentilles dont elles sont toutes pleines, mais si bien faites qu'il n'y a que la dent qui puisse juger quelles sont de pierre.
Sur le seizième degré presque au milieu de la face qui est tournée au Nord, est l’entrée qui a trois pieds six pouces de haut, et trois pieds trois pouces de large, et qui va continuant septante-six pieds et demi de long en pente d'un angle de soixante degrés. Au bout de cette allée est un lieu vaste et rempli de ruines, et de grosses pierres rompues qui bouchent des endroits par lesquels on allait en quelques chambres, et il ne reste qu’une ouverture vis-à-vis de celle par où l'on est descendu, qui vous conduit en remontant par une pareille allée de semblable pente à celle par où l’on est descendu, mais qui a cent onze pieds de long. Au lieu où cette seconde allée aboutit, il en commence une autre qui a six pieds quatre pouces de large, et qui va toujours montant par la même inclination de soixante degrés à la longueur de cent soixante-deux pieds et trois pouces.
La voûte de cette allée est extrêmement haute au prix de l'autre, et à la fin elle touche le haut de la porte de la chambre où l’on arrive. Au fond d'iceIle on trouve un tombeau de ces pierres qu'on dit fondues. Il a trois pieds et un pouce de large, trois pieds et quatre pouces de haut, et sept pieds deux pouces de long. Il n'y a point de couverture, et l'on croit que c’était là où Pharaon devait être enterré : c'est le vulgaire qui le dit. Cette chambre aussi bien que toutes les autres, avec les allées et les murailles, a le pavé, et le plancher ou voûte tout de grandes pierres. Elle a trente-un pieds de long, dix-neuf de haut, et seize de large, et neuf pierres en travers forment son plancher.
Je ne vous ennuierai point davantage dans la description d’une autre chambre qui est au-dessous de celle-là, où l’on va par une allée de plain-pied. Au commencement de cette dernière de cent soixante-deux pieds, l’on voit l’ouverture d’un puits carré qui est fort profond, et où on ne descend point à cause des chauves-souris et autres animaux venimeux qu’il y peut avoir, dont il y a une bonne quantité dans toutes les chambres, car il n’y a aucune autre ouverture que celle de l’entrée.
L’on tient que ce puits va sous terre jusques à une Idole qui reste encore aujourd’hui environ à trois cents pas de la Pyramide, (...) : c’était une hyène couchée dont il ne reste que la tête sur son col, assez maltraitée, ayant le nez et le menton cassés ; mais ce qui reste est fort beau à voir, et l’on y remarque l’adresse d’un habile sculpteur qui ne cédait pas à ces Grecs qu’on admire par leurs ouvrages. Elle a vingt-six pieds de haut, et depuis les oreilles jusques au menton, quinze pieds. La tradition est que les prêtres venaient sous cette Idole par le puits de la Pyramide, et y rendaient les oracles. Il y a aussi un trou au-dessus de la tête, où un homme peut demeurer debout sans être vu, qui peut-être servait encore à la fourberie.
Quelques jours après, je fus aux Momies qui commencent depuis le lieu des Pyramides décrites ci-dessus. Quoique le village où l’on va en soit éloigné d’environ quatre lieues, néanmoins ce rocher est creusé jusques-là, et encore bien plus de deux lieues plus haut et garni de Pyramides ruinées, et d’autres qui restent encore assez entières, et une entre autres qui ne cède guère à celle que j’ai décrite, et dont je remets la description à notre première vue de peur de vous ennuyer.
Tout ce rocher, comme j’ai dit, est creusé comme les catacombes de Rome ; et des pierres qu’on en tirait, on en bâtissait à mon avis les Pyramides qui servaient de sépulture pour les Princes, au-dessous desquelles dans les lieux qu’on avait vidés l’on enterrait les particuliers."


Le diplomate français Balthasar de Monconys (1611-1665) était physicien et magistrat. Dans le but de remonter aux sources des enseignements de Pythagore, de Zoroastre et des alchimistes grecs et arabes, il effectua de nombreux voyages en Europe et en Orient, accompagné du fils du duc de Luynes, dont il était le précepteur.
En plus de ses ouvrages où il relata ses voyages à travers l'Europe et en Égypte, il publia quelques chroniques sur le peintre Johannes Vermeer qu'il rencontra en 1663. 
Le texte ci-dessus est extrait de son ouvrage Journal des voyages de Monsieur de Monconys, première partie, où il se présentait lui-même comme “Conseiller du Roy en ses conseils d’État et privé, et lieutenant criminel (sic) au Siège présidial de Lyon”.
Pour une plus grande facilité de la lecture, j’ai rétabli globalement l’orthographe actuelle, tout en respectant  l’agencement des phrases.
Même succinct, et tributaire d’une science archéologique encore embryonnaire, ce texte révèle un enthousiasme qui mérite d’être souligné.

mardi 20 avril 2021

La description du Nil, par Vincent de Stochove (XVIIe s.)

Vue d'un village sur la rive gauche du Nil : dessin d'André Dutertre (1753-1842)

"Plusieurs ont la croyance que le Nil est une des quatre rivières qui sortent du Paradis terrestre, mais j'estime que cette opinion est plutôt fondée sur la beauté de ce fleuve, comme étant un des principaux du monde, que sur aucune raison qu'il y ait en elle ; car il est certain qu'il prend sa source au lac de Zanibara, situé au pied des hautes montagnes de la Lune, et environ au douzième degré au-delà de l'Équinoxe, puis passant par une grande étendue de pays, il continue son cours au travers de l'Éthiopie, jusques aux Cataractes qui sont de grands rochers par où cette rivière se vient précipiter de l'Éthiopie, et qui est un  pays fort haut dans les plaines d'Égypte ; l'on nous a assuré que les eaux tombant par ces précipices font tant de bruit que les habitants de ces endroits sont la plupart sourds.
Ce fleuve amène tant de limon qu'il engraisse toutes les terres d'Égypte ; c'est pourquoi ce pays est appelé don du Nil, parce que par son bénéfice ce pays est le plus abondant et fertile du monde ; la terre même qui produit si largement tant de sortes de biens, y est apportée par cette rivière, plusieurs étant d'opinion que jadis l'Égypte inférieure était couverte de la mer, et que cette rivière peu à peu a apporté tant de terre que ce pays s'est rendu habitable, ce qu'on connaît en creusant bien avant dans la terre, où l'on trouve des coquilles de mer ; de plus l'on remarque que d'année en  année, le terroir se hausse, car où il a fallu autrefois douze pieds pour inonder plusieurs terres éloignées de son lit, il en faut maintenant une fois autant.
Cette rivière a la propriété d'inonder une fois par an tout le pays, ce qui est trouvé étrange de plusieurs et tenu comme miracle de nature, et principalement que ce débordement vient en été, lorsque d'ordinaire les eaux se tarissent et sont au plus bas ; mais il faut savoir que dans le pays qui est entre la ligne équinoxiale et le tropique du Capricorne, lorsque le soleil en est reculé et s'approche vers l'Équateur, qui est environ le mois d'avril, les pluies y sont continuelles jusques vers le mois de septembre ; ces pluies sont si grosses qu'elles inondent presque tout le pays, qui se décharge par les rivières, dont le Nil est la principale.
Il commence à croître vers la mi-juin et va toujours augmentant jusques environ la mi-septembre, puis il ne s'arrête point dans son plein, mais il commence aussitôt à décroître tant qu'il soit dans son lit ordinaire.
Ils connaissent le commencement de sa crue par une certaine rosée qui tombe du ciel qu'ils appellent la goutte, laquelle ne manque jamais de tomber vers la mi-juin, et pour connaître qu'elle est tombée, ils prennent de la terre sur le bord de la rivière qui est humide et baignée et en pèsent trois ou quatre livres, puis la mettent la nuit au serein, laquelle le lendemain étant trouvée plus pesante, ils tiennent pour signe infaillible que cette rosée est tombée et que la rivière commence à croître.
Tout vis à vis de Boulac et du vieux Caire il y a une petite île où il y a une mosquée, dans laquelle est enfermée une colonne où ils mesurent journellement combien la rivière est crue, à quoi ils prévoient la fertilité ou la stérilité de l'année future ; que si elle croît à vingt et deux pieds et demi, ou à vingt et trois pieds, c'est signe de grande abondance ; si elle n'arrive qu'à vingt un pieds, c'est signe de grande stérilité ; si elle monte jusques à vingt et quatre pieds ou environ, c'est signe infaillible de peste et grande mortalité, d'autant que l'eau étant en trop grande abondance et ne pouvant être sitôt desséchée, y cause de mauvaises vapeurs qui infectent l'air et engendrent plusieurs maladies. (...)
Cette rivière est si abondante en poissons qu'elle ressemble à un réservoir, en ayant une si grande quantité que sitôt que les pécheurs y ont jeté leurs rets, ils les retirent tout pleins ; il y en a de plusieurs sortes de grands et petits, mais tous différents en forme et goût de ceux de nos rivières ; lorsque la rivière est haute, (le poisson) est grandement bon, mais étant dans son lit ordinaire, il sent la boue. (...)
Au reste l'eau de cette rivière est grandement trouble et bourbeuse, mais étant mise dans un vase de terre avec une amande douce dedans, en une nuit elle devient claire comme du cristal, elle est extrêmement bonne à boire, ou encore que l'on en prenne par quantité, elle ne donne aucune oppression, crudité, ni indigestion dans l'estomac ; elle est la plus médicinale du monde, car ayant quelque mauvaise humeur dans le corps, elle fait sortir comme de petites rougeoles qui passent du jour au lendemain, sans que l'on en reçoive aucune incommodité ; l'on trouve peu de vérole dans l'Égypte, ce qu'on estime procéder de la bonté de cette eau, laquelle est la boisson ordinaire de tous ceux du pays ; elle passe par la ligne et devant que d'arriver au Caire, elle est cuite et recuite au soleil, outre qu'à ses bords il y croît quantité de plantes médicinales (...) qui ne peuvent que la rendre très saine."



Vincent de Stochove (1605-1679), sieur de Sainte Catherine, gentilhomme flamand, fut un grand voyageur. En mars 1630, il se rendit à Rouen (France) pour y retrouver trois amis (Gilles Fermanel, conseilleur au Parlement de Normandie, Robert Fauvel, maître des comptes en ladite province, sieur d'Oudeauville, et Baudouin de Launay), avec lesquels il entreprit un voyage en Orient, qui dura deux ans et demi.
Le récit de ce périple, sous le titre Voyage du Levant du Sieur de Stochove, ne sera publié qu’en 1643. Le texte qui précède en est extrait. 

Quand cela semblait nécessaire, l’orthographe a été rétablie selon sa forme actuelle.

vendredi 16 avril 2021

"Parce que chacun en a ouï parler... aller voir les Pyramides comptées de tout temps entre les sept miracles du monde" (Henry de Beauvau - XVIIe s.)

illustration datée du XVIIIe s (source : Gallica)

"Après avoir vu cette ville (Le Caire), nous allâmes à la Meteree (Matariya), à six milles de là, et pour cet effet, il nous fallut monter sur des ânes, d'autant que les Égyptiens ne permettent point aux Chrétiens de monter à cheval disant qu'ils en sont indignes. La Meteree est le lieu où la Vierge se sauva avec son cher fils fuyant la persécution d'Hérode.
L'on voit là un figuier tout ouvert et fendu, qu'on dit s'être mis en cet état pour recevoir Jésus Christ, et tout auprès sortit miraculeusement une fontaine, laquelle court encore pour le jourd'huy. Les Maures mêmes la tiennent pour sainte et croient qu'étant bénie, elle guérit de la fièvre. L'on nous montra aussi, enchâssée dans une muraille une pierre sur laquelle la Vierge s'assoit ordinairement, et en dessous, il y a un autel, avec un petit oratoire où nous ouîmes la messe.
En cet endroit est le jardin, où cette tant précieuse goutte de baume est recueillie, de la coupe de certains petits arbres qui ne se trouvent que là, mais parce que chacun en a ouï parler, nous nous en retournerons à la ville pour puis après aller voir les Pyramides comptées de tout temps entre les sept miracles du monde. (...)
Continuons à cette heure notre dessein : (...) nous passâmes trois fois l'eau à cause du susdit débordement, passant au dessus d'une digue, nous vînmes au pied de ces trois Pyramides, vraiment admirables à cause de leur hauteur et grosseur.
Le plus haute a par le pied trois cents pas de "carrure", qui font douze cents de tour. Sa hauteur peut avoir six cents pieds. L'on dit qu'elle fut bâtie par Pharaon durant la captivité des enfants d'Israël, qu'il employa au travail de cette grande pièce. Les pierres dont elle est construite sont quasi égales, ayant trois pieds de long et deux de large, at autant d'épaisseur. Le sommet, encore que pour sa hauteur il paraisse en pointe, si est-il fait en terrasse de 21 pieds de "carrure".
Nous entrâmes dedans descendant premièrement cinquante pas, puis remontant environ quarante nous tirâmes par une allée large de quatre pieds et cinq de haut, et longue environ de trente pas, qui a au bout une petite chambre carrée environ de huit pas, mais toute ruinée et pleine d'ordures, et retournant par la même allée, nous vîmes à main droite la bouche d'une citerne fort profonde et grande, et montant soixante-six marches, nous entrâmes une chambre fort haute revêtue de marbre, longue de quarante pieds et demi, large de vingt et un, où l'on voit une grande pierre creuse de marbre thébaïque, qui est épaisse de trois ou quatre doigts, longue de douze pas, large de cinq, et profonde de cinq et demi. La pierre en est si fine, que touchant dessus avec une autre, elle sonne clair comme une cloche.
La seconde pyramide est un peu moindre que l'autre, et ne monte on au dessus à cause qu'elle était toute couverte de marbre y en restant encore par le haut environ quatre pieds.
La troisième beaucoup plus petite que celle-ci fut bâtie par Rodolphe pour lui servir de sépulture.
Tant d'auteurs écrivent de la rareté et excellence de ces édifices que nous n'en parlerons plus. Mais avant que retourner à la grande ville, nous irons voir les momies, choses aussi rares et remarquables.
À un mille de là, nous vîmes une tête taillée et attachée au roc, qu'ils appellent la tête de Pharaon, ayant le visage de la hauteur au moins de douze pieds, et la largeur proportionnée à cela. Puis laissant beaucoup d'autres petites pyramides, avec le lieu des Momies derrière nous, et à dix milles des grandes pyramides, allâmes coucher cinq milles plus loin, en un village où se tiennent ceux qui ont coutume de montrer lesdites momies."

(Pour la commodité de la lecture, l'orthographe de nombreux mots a été établie selon sa configuration moderne)

extrait de Relation journalière du voyage du Levant faict et descrit par haut et puissant seigneur Henry de Beauvau, 1615, par Henry baron de Beauvau et de Manonville (15..-1630), seigneur de Fleuville, général et diplomate, conseiller d'État et chambellan du duc de Lorraine.
Il accompagna de Paris à Constantinople Monsieur de Salignac dépêché par le roi Henri IV en tant qu’ambassadeur auprès de la Sublime Porte pour y remplacer François Savary de Brèves. Après être resté dans la capitale ottomane jusqu’au 17 mai 1605, il fit un long voyage en passant par quelques îles de la Mer Égée, Chypre, le Moyen Orient, l’Égypte... en remontant le Nil jusqu’au "Grand Caire, monstre des Villes".

jeudi 15 avril 2021

Les pyramides "sont des ouvrages admirables, qui épouvantent ceux qui les regardent" (François Savary de Brèves - XVIIe s.)

illustration : André Dutertre (1753-1842)

"Nous traversâmes un champ marécageux, dont l’eau s’était écoulée, et où passait force bétail. Et de là, nous entrâmes dans une campagne sablonneuse, au bout de laquelle se hausse une colline, où sont bâties les pyramides. Il y en a trois de différente grandeur, assez voisines l’une de l’autre, dont la moyenne paraît à ceux qui la regardent de loin, beaucoup plus haute que la grande, à cause qu’elle est bâtie en lieu plus haut, bien qu’elle soit moindre.
Au reste, ce sont des ouvrages admirables, qui épouvantent ceux qui les regardent, pour leur extrême hauteur, et qui ressemblent plutôt à des montagnes qu’a autre chose : aussi les Turcs les appellent en leur langue Pharaon daglaré, (ce) qui signifie montagnes de Pharaon.
Ces pyramides donc, étant par chaque face (un) triangle parfait, sont aussi hautes que larges, et la plus grande a par chacune de ses faces, d’un angle à l’autre, quatre cents pas de largeur, qui sont seize cents de circonférence ; et de terre jusqu’à la sommité, il y a deux cent douze, ou deux cent quatorze pierres, aucunes larges et épaisses de quatre pieds, et aucunes de trois, mais plus longues.
On monte jusques à la cime, par un des angles, sans danger de tomber, mais non sans travail, de pierre en pierre, comme de degré en degré, et n’y a homme si gaillard qu’il soit que de la pointe tirant une pierre puisse arriver à son pied.
Il y a apparence qu’elles n’ont jamais été parachevées, et qu’elles attendaient encore quelque dernière main, vu même qu’au milieu du coin de la pyramide, par où l’on monte, a été laissé un grand espace (*), pour dresser quelques engins à porter les matériaux ; et en cet espace, qui est la moitié de sa hauteur, se reposent et rafraîchissent ordinairement ceux qui la montent, et pour cet effet, est appelée de nous autres la taverne.
Sur la cime de cette pyramide, manque la pointe, qui fait un autre espace, lequel espace n’est pas uni, y ayant des pierres, les unes hautes, et les autres basses. Elle a vingt et un pieds de carrure, où peuvent demeurer soixante-dix ou quatre vingts hommes, encore que de loin, cela paraisse pointu.
Et après que nous l'eûmes regardée par dehors, assez longtemps, avec toute la curiosité et étonnement que la nouveauté d’un si étrange et merveilleux ouvrage nous apportait, nous entrâmes dedans avec des flambeaux, par une ouverture carrée, faite au milieu de la face qui regarde la ville, descendant l’un après l’autre, courbés et baissés, cinquante pas, sous une voûte de marbre carrée, large et haute de cinq pieds, mettant nos pieds dans des trous faits à force de ferrements, qui servent de degrés. car tous les escaliers qui sont dans ladite pyramide n’ont point de degrés, ains (mais) sont tous unis et lissés, comme du verre.
Au fond de cette descente, (il) y a un espace à main gauche, duquel se voit une autre descente, qui va beaucoup plus bas sous la pyramide, mais l’entrée en est murée. Et après avoir grimpé, avec les pieds et les mains, sur une roche droite, haute de douze ou quinze pieds, nous entrâmes courbés dans une allée, haute et large de cinq pieds, et longue de trente pas, au bout de laquelle (il) y a une chambre carrée, longue (de) huit ou dix pas.
Retournant par la même allée, nous vîmes à main droite la bouche d’un puits, ou citerne, fort profonde et obscure, et montâmes sous une voûte haute et large de cinq pas, toujours baissés (comme dessus avons dit) l’espace de soixante pas. Puis la voûte venant à se hausser et élargir, continuâmes à monter tout droit et plus commodément, l’espace de quatre-vingt cinq pas, et après nous passâmes, à quatre pieds, sous une petite allée, large et haute (de) quatre pieds, et longue de quatorze pas, et entrâmes dans une chambre où est la sépulture de Pharaon, longue de quarante pieds et large de vingt, haute de trente, toute bâtie de grandes pierres très dures, d’un certain marbre, mêlé de petites taches rouges, noires et blanches, si bien conjointes qu’entre les commissures, on n’y peut mettre que difficilement la pointe d’une aiguille. Le solier est fait de huit pierres seulement, de même marbre. À un des bouts de ladite chambre, à main droite en entrant, est ladite sépulture, découverte, longue de neuf pieds, large de 4 et profonde de cinq, épaisse de quatre doigts, faite d’un porphyre de plusieurs couleurs, si fin qu’en le touchant avec les mains ou d’une pierre, il sonne comme une cloche.
La seconde pyramide est tout de même, mais un peu moindre. On n’y monte point, ni moins l’entrée en est connue.
La troisième est beaucoup plus petite.
Non loin desdites pyramides, se voit une grande tête, qu’on appelle la Sphinge, de la hauteur d’une grande pique, et plus, faite d’un rocher qui s’élève hors de terre. On dit que c’était anciennement un oracle qui donnait réponse à ceux qui lui parlaient et demandaient son avis et conseil, en beaucoup de choses."


(*) l’auteur emploie ce mot au féminin, avec les accords qui correspondent.
Pour la commodité de la lecture, de nombreux mots de cet extrait ont été "modernisés", adaptés à l'orthographe actuelle.

extrait de Relation des voyages de Monsieur de Brèves, tant en Grèce, Terre saincte et Aegypte, qu’aux Royaumes de Tunis et Alger.
François Savary de Brèves (1560-1628) fut ambassadeur de France à la Porte (empire ottoman) de 1592 à 1605, avant d’être nommé à Rome pour cette même fonction, en 1607. Fervent défenseur des relations de son pays avec l’Orient, il a rassemblé une importante collection de manuscrits turcs et persans qui sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France. Il travailla également à la création d’une école de langues orientales, mais ce projet en resta au stade embryonnaire..
Le récit de ses voyages fut rédigé par Jacques du Castel, l’un de ses secrétaires, et édité en 1628 par Nicolas Grasse.

vendredi 9 avril 2021

"Tout le triangle d'Égypte, qu'on appelle le Delta, n'est qu'une vaste plaine, grasse et fertile au delà de l'imagination" (chevalier d'Arvieux - XVIIe s.)

Carte ancienne et comparée de la Basse-Egypte, rédigée par le colonel Pierre Jacotin (1765-1827) et par Edme-François Jomard (1777-1862)

"Notre bateau allait à la voile, tant que le vent nous était favorable, et quand il cessait de l'être, à cause des sinuosités du fleuve, nos matelots le tiraient la cordelle, marchant sur le bord du rivage, nus de la ceinture en bas, sans aucune honte de montrer ce que la pudeur oblige de cacher ; quoiqu'ils rencontrassent souvent des passants, et même des femmes qui lavaient leurs linges dans le fleuve, et malgré tout ce que je pouvais leur faire entendre du scandale que cela donnait à M. Bercandié.
Nous naviguâmes ainsi fort à notre aise pendant quatre jours. Nous avions le plaisir de voir un très beau pays uni, bien cultivé, et si rempli de villages, qu'il semble qu'ils se touchent et ne fassent qu'une ville de plusieurs lieues de longueur, des deux côtés de la rivière. Tout ce pays fourmille de monde : les villages paraissent bien bâtis, avec des mosquées bien blanches, et de hautes tours qu'on appelle minarets, sur lesquelles les officiers de la mosquée montent pour appeler le peuple à la prière.
J'avais grande envie de savoir les noms de ces villages, et je ne manquais pas de les demander au patron et à ses matelots ; mais quoique je m'expliquasse assez bien en turc, nous ne nous entendions presque pas parce qu'ils ne parlaient qu'un arabe corrompu, auquel je n'entendais rien. Je l'ai entendu depuis, quand j'ai possédé la langue arabe dans sa perfection.
Tout le triangle d'Égypte, qu'on appelle le Delta, n'est qu'une vaste plaine, grasse et fertile au delà de l'imagination ; coupée de plusieurs canaux, par le moyen desquels, et des roues à godets qui élèvent l'eau, on l'arrose tant que l'on veut. Ce pays, comme je viens de le dire, est extrêmement peuplé, et produit presque sans culture toutes fortes de fruits, de graines et de légumes. Il est vrai qu'il manque absolument de bois, car il ne faut pas compter sur les arbres fruitiers ; ce serait une ressource mal entendue, et peu avantageuse. Les maisons de tous les villages ne sont que de terre ; il est vrai que c'est une terre grasse et de bonne tenue : elles sont couvertes de paille de riz assez proprement mais elles n'ont que l'étage du rez de chaussée. Les mosquées seules sont bâties de brique à chaux et sable, aussi bien que les villes de Rosette, Mansoura, et Damiette. Le bois de chauffage pour les fours et les cuisines, vient de dehors : ce sont les saïques qui l'apportent quand elles viennent se charger de blé, de riz, de légumes, et d'autres marchandises. On vend le bois et le charbon à la livre, et assez cher, en comparaison des autres choses nécessaires à la vie, qui y sont à très grand marché."


extrait de Mémoires du chevalier d'Arvieux, envoyé extraordinaire du Roy à la Porte, consul d'Alep, d'Alger, de Tripoli et autres Échelles du Levant : contenant ses voyages à Constantinople, dans l'Asie, la Syrie, la Palestine, l'Égypte et la Barbarie... Tome 1 / recueillis de ses Mémoires originaux et mis en ordre par le R. P. Jean-Baptiste Labat.
L'auteur, Laurent d'Arvieux (1635-1702), était négociant marseillais, passionné d'orientalisme scientifique et nommé diplomate.
Il voyagea à plusieurs reprises au Levant, puis en Afrique du Nord où, en tant qu'envoyé extraordinaire du roi de France, il fit notamment libérer des esclaves à Tunis. Ses connaissances historiques et linguistiques se retrouvent dans ses Mémoires, et apparemment jusque dans les turqueries du Bourgeois Gentilhomme de Molière.

Les grands Sphinx, "impassibles gardiens des croyances passées" (Léon Dierx)

Sphinx d'albâtre, Memphis - auteur et date du cliché non mentionnés

Le dieu, source de vie et de chaleur féconde,
Qui déverse à flots d’or ses bienfaits sur le monde,
Le grand Phré, brûle. Il tend son disque au haut des cieux.
Le zénith embrasé s’environne de flamme.
Le Nil, père des eaux, reluit comme une lame,
Épanchant son limon sur le berceau des dieux.

Partout le sable aveugle et le désert flamboie.
Pas un homme ne passe et pas un chien n’aboie
Dans les villes aux blocs d’édifices carrés.
Depuis le vert delta jusqu’à Thèbe aux cent portes
Dont les temples sous eux cachent des cités mortes,
Tout se tait et s’endort sous les rayons sacrés.

Comme une nécropole, elle aussi, dans la brume
Memphis là-bas s’étend près du désert qui fume,
Muette, et l’on dirait un silence éternel.
Sur les pylônes peints dressant sa silhouette,
L’ibis dans son jabot gonflé plonge la tête
Et sur un pied médite, en découpure au ciel.

Un plus lourd ennui plane, et tout travail fait trêve.
Les palmiers vers le sol d’où nul vent ne s’élève,
Penchent leurs longs cheveux dans l’air de diamant.
Les aiguilles de marbre en grêles colonnades
Jaillissent par milliers, et sur les esplanades
On peut voir s’avancer leurs ombres nettement.

Aux pourtours des palais, auprès des pyramides,
Ces monstrueux défis aux nations timides,
Les grands sphinx accroupis ouvrent leurs yeux sereins.
Trapus, le corps perlé d’une sueur divine,
S’enveloppant au loin d’une poussière fine,
Ils songent aux secrets qui font ployer leurs reins ;

Et scellés à jamais dans leur morne posture,
Sentinelles du temps, regardent la nature
Sous le pschent de granit dont s’ombrage leur front.
Rien ne doit les sortir de leurs longues pensées ;
Impassibles gardiens des croyances passées,
Ils sont les durs rêveurs qu’aucun bruit n’interrompt.

Ils contemplent l’Egypte avec leurs yeux énormes ;
Frères de tous ses dieux aux impossibles formes,
Ils portent sur leur dos toute l’éternité.
Seuls, quelques caïmans se traînent dans la fange ;
Et parfois flotte et glisse au cours droit d’une cange
Un chant marin qui meurt par le fleuve emporté.

extrait de "Souré-Ha", recueil Poèmes et poésies, de Léon Dierx (1838 - 1912), poète parnassien et peintre académique français.

mercredi 7 avril 2021

"L'Égypte était le plus beau pays de l'univers" (Jacques-Bénigne Bossuet - XVIIe s.)

Les deux pyramides et le temple sur le lac Moeris, par J.-B. Fisscher, 1721-1750

"Une des choses qu’on imprimait le plus fortement dans l'esprit des Égyptiens était l'estime et l'amour de leur patrie. Elle était, disaient-ils, le séjour des dieux : ils y avaient régné durant des milliers infinis d'années. Elle était la mère des hommes et des animaux, que la terre d'Égypte, arrosée du Nil, avait enfantés pendant que le reste de la nature était stérile. Les prêtres, qui composaient l'histoire d'Égypte de cette suite immense de siècles, qu'ils ne remplissaient que de fables et des généalogies de leurs dieux, le faisaient pour imprimer dans l'esprit des peuples l'antiquité et la noblesse de leur pays. Au reste, leur vraie histoire était renfermée dans des bornes raisonnables ; mais ils trouvaient beau de se perdre dans un abîme infini de temps qui semblait les approcher de l'éternité.
Cependant l'amour de la patrie avait des fondements plus solides. L'Égypte était, en effet, le plus beau pays de l'univers, le plus abondant par la nature, le mieux cultivé par l'art, le plus riche, le plus commode, et le plus orné par les soins et la magnificence de ses rois.
Il n'y avait rien que de grand dans leurs desseins et dans leurs travaux. Ce qu'ils ont fait du Nil est incroyable. Il pleut rarement en Égypte ; mais ce fleuve, qui l'arrose toute par ses débordements réglés, lui apporte les pluies et les neiges des autres pays. Pour multiplier un fleuve si bienfaisant, l'Égypte était traversée d'une infinité de canaux d'une longueur et d'une largeur incroyable. Le Nil portait partout la fécondité avec ses eaux salutaires, unissait les villes entre elles, et la grande mer avec la mer Rouge ; entretenait le commerce au dedans et au dehors du royaume, et le fortifiait contre l'ennemi ; de sorte qu'il était tout ensemble et le nourricier et le défenseur de l'Égypte. On lui abandonnait la campagne ; mais les villes, rehaussées avec des travaux immenses, et s'élevant comme des îles au milieu des eaux, regardaient avec joie, de cette hauteur, toute la plaine inondée et tout ensemble fertilisée par le Nil. Lorsqu'il s'enflait outre mesure, de grands lacs, creusés par les rois, tendaient leur sein aux eaux répandues. Ils avaient leurs décharges préparées ; de grandes écluses les ouvraient ou les fermaient, selon le besoin ; et les eaux ayant leur retraite ne séjournaient sur les terres qu'autant qu'il fallait pour les engraisser.
Tel était l'usage de ce grand lac, qu'on appelait le lac de Myris ou de Moris : c'était le nom du roi qui l'avait fait faire. On est étonné quand on lit (ce qui néanmoins est certain ) qu'il avait de tour environ cent quatre-vingts de nos lieues. Pour ne point perdre trop de bonnes terres en le creusant, on l'avait étendu principalement du côté de la Libye. La pêche en valait au prince des sommes immenses ; et ainsi, quand la terre ne produisait rien, on en tirait des trésors en la couvrant d'eaux. Deux pyramides, dont chacune portait sur un trône deux statues colossales, l'une de Myris, et l'autre de sa femme, s'élevaient de trois cents pieds au milieu du lac, et occupaient sous les eaux un pareil espace. Ainsi elles faisaient voir qu'on les avait érigées avant que le creux eût été rempli, et montraient qu'un lac de cette étendue avait été fait de main d'homme sous un seul prince. 
Ceux qui ne savent pas jusques à quel point on peut ménager la terre, prennent pour fable ce qu'on raconte du nombre des villes d'Égypte. La richesse n'en était pas moins incroyable. Il n'y en avait point qui ne fût remplie de temples magnifiques et de superbes palais. L'architecture y montrait partout cette noble simplicité et cette grandeur qui remplit l'esprit. De longues galeries y étalaient des sculptures que la Grèce prenait pour modèles. Thèbes le pouvait disputer aux plus belles villes de l'univers. Ses cent portes, chantées par Homère, sont connues de tout le monde. Elle n'était pas moins peuplée qu'elle était vaste ; et on a dit qu'elle pouvait faire sortir ensemble dix mille combattants par chacune de ses portes. Qu'il y ait, si l'on veut, de l'exagération dans ce nombre, toujours est-il assuré que son peuple était innombrable. Les Grecs et les Romains ont célébré sa magnificence et sa grandeur, encore qu'ils n'en eussent vu que les ruines : tant les restes en étaient augustes."

extrait de Discours sur l'histoire universelle, de Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), évêque de Meaux, prédicateur et écrivain français