mardi 27 avril 2021

"Il n'est point d'endroit dans toute l'Égypte où il soit resté tant de beaux monuments, et tant de choses qui méritent d'être vues" (le père Sicard -XVIIIe s.- à propos de Thèbes)

Thèbes : dessin d'André Dutertre (1753-1842)

"Que n'a point dit toute l'antiquité de Thèbes, autrement Diospolis Magna ? ll n'est pas un auteur qui n'en ait parlé comme d'une ville dont la grandeur et la beauté étaient au-dessus de toute expression. Diodore veut que son circuit fût de cent quarante stades, qui font six lieues, à quelque chose près. Strabon lui donne même quatre-vingts stades de longueur. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il fallait que son étendue fût prodigieuse, puisqu'elle fut nommée la ville à cent portes. Non seulement elle fut la capitale de l'Égypte, mais sous Sésostris elle était même la capitale de l'Orient. Sa situation était d'autant plus commode et plus avantageuse pour nourrir les milliers d'habitants qu'elle contenait, que le terrain des environs est admirable, et que le Nil traversait la ville. 
Or cette superbe ville a eu le même sort qu'Alexandrie et que Memphis : on ne la connaît plus que par ses ruines, mais avec cette différence que, malgré les malheurs où elle a été exposée, malgré les efforts qu'ont faits les Carthaginois (Ammien. l. 17.), le roi Cambyse, les Romains, sous Cornelius Gallus, pour la détruire de fond en comble, après l'avoir pillée et saccagée, il n'est point d'endroit dans toute l'Égypte, où il soit resté tant de beaux monuments, et tant de choses qui méritent d'être vues.
Par exemple, à l'est du Nil, on voit six portes entières du château dans lequel était renfermé le palais des rois de Thèbes ; ce sont autant de chefs-d'œuvre de la plus parfaite architecture.
Au sortir de chaque porte, on trouve une longue avenue de sphinx et de toutes sortes de statues de marbre qui conduisait au palais. Cela n'est rien en comparaison du grand salon de ce palais : il est soutenu de cent douze colonnes, qui ont soixante et douze pieds de haut, et douze pieds et un tiers de diamètre, toutes couvertes de figures en relief et peintes. Les murailles et le plancher sont peints aussi hors du salon en différents péristyles ; l'on peut compter jusqu'à mille colonnes, quatre colosses de marbre, et plusieurs obélisques, dont deux sont de porphyre, et quatre de granit. 
Un peu plus loin est le chateau et le sépulcre du roi Osymandyas, dont parle Diodore ; la chambre du sépulcre est encore entière.
Pour ce qui est du château, il est réduit à deux pièces avancées presque en demi-lune, sur lesquelles sont représentés les combats et les triomphes de ce prince. De tous côtés on y trouve des colonnes, les unes avec des bas-reliefs, et les autres non sculptées, plusieurs temples à demi ruinés, et les débris de la bibliothèque.
Ce qui est au couchant du Nil n'est pas moins curieux que ce qui est à l'orient. Sans parler des temples de Vénus et de Memnon, des galeries pleines d'hiéroglyphes, des colonnes, il y a des choses que l'on peut dire être uniques dans le monde, savoir : les sépulcres des rois de Thèbes et trois statues colossales. Les deux premières, dont a tant parlé Strabon, sont remplies d'une vingtaine d'inscriptions, soit grecques, soit latines ; la troisième est la statue du roi Memnon, laquelle, selon la tradition des anciens Égyptiens, rendait un son au lever du soleil.
L'on prétend qu'il y a eu jusqu'à quarante-sept sépulcres des rois de Thèbes. Il paraît que sous le règne de Ptolémée-Lagus, il n'en restait déjà plus que dix-sept. Diodore dit que du temps de Jules César le nombre en était encore diminué ; aujourd'hui il en reste dix, cinq entiers, et cinq à demi ruinés, ce qui suffit pour donner
l'idée que l'on doit avoir d'une chose aussi singulière que celle-là, et qui ne cède en rien à la magnificence des tombeaux des rois de Memphis, c'est-à-dire des pyramides.
Les sépulcres de Thèbes sont creusés dans le roc, et d'une profondeur surprenante. On y entre par une ouverture qui est et plus haute et plus large que les plus grandes portes cochères. Un long souterrain, large de dix à douze pieds, conduit à des chambres, dans l'une desquelles est un tombeau de granit élevé de quatre pieds ; au-dessus est comme une impériale qui le couvre, et qui donne un véritable air de grandeur à tous les autres ornements qui l'accompagnent.
Salles, chambres, tout est peint depuis le haut jusqu'en bas. La variété des couleurs, qui sont presque aussi vives que le premier jour, font un effet admirable ; ce sont autant d'hiéroglyphes qu'il ya de figures d'animaux et de choses représentées ; ce qui fait conjecturer que c'est là l'histoire de la vie, des vertus, des actions, des combats, des victoires des princes qui y sont inhumés.
Mais il en est des hiéroglyphes des Égyptiens, comme des caractères de quelques peuples anciens, qu'il nous est à présent impossible de déchiffrer. S'il arrive jamais que quelqu'un parvienne à en avoir l'intelligence, on aura l'histoire de ces temps-là, qui nous est inconnue, et qui vraisemblablement n'a jamais été mise par écrit.
Outre l'histoire du temps, on aura l'abrégé des superstitions des Égyptiens ; car il y a quelques-unes de ces chambres, où l'on voit différentes divinités représentées sous des figures humaines ; les unes ayant des têtes de loup, les autres de chien, de singe, de bélier, de crocodile, d'épervier. En d'autres endroits, ce sont des corps d'oiseaux avec des têtes d'hommes ; dans d'autres chambres, ce sont des sacrifices qui sont peints, les sacrificateurs avec leurs habits bizarres, les esclaves les mains liées derrière le dos, ou debout, ou couchés par terre ; tous les instruments qui servaient aux sacrifices. Dans d'autres, ce sont les instruments de l'astronomie, des arts, du labourage, de la navigation, des vaisseaux qui ont pour proue et pour poupe des becs de grue et d'ibis, et pour voiles des soleils et des lunes."


texte extrait de Description de l'Égypte, par le père Sicard.

Claude Sicard (1670 ou 1677-1726), membre de la Compagnie de Jésus, est envoyé au Caire en 1712 (date approximative) comme supérieur de la mission jésuite, après un séjour de six ans en Syrie, au cours duquel il apprend langue arabe.
En Égypte, il parcourt tout le pays - avec la mission de “convertir les Coptes” ! - et s'attache à le décrire, en identifiant les lieux antiques et bibliques. Ce voyage a pour but de retracer l’itinéraire de l’Exode et de la traversée de la mer Rouge par les Hébreux. 
Jean-Marie Carré, dans son ouvrage Voyageurs et écrivains français en Égypte, 1956, souligne la "documentation sûre", l' "esprit scientifique", la "curiosité critique" et la "longue expérience de l'Égypte" de cet auteur.

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