Affichage des articles dont le libellé est de Forbin (Louis Nicolas Philippe Auguste). Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est de Forbin (Louis Nicolas Philippe Auguste). Afficher tous les articles

samedi 21 décembre 2019

Tentyra (Dendérah) "est incontestablement le plus admirable et le mieux conservé de tous les monuments égyptiens" (comte de Forbin)

temple de Dendérah, par David Roberts
"Le temple de Tentyra est situé à une demi-lieue du Nil , et à un mille environ d'une chaîne de rochers assez escarpés. Les vestiges d'une ville copte entièrement déserte l'entourent et couvrent sa plate-forme. Ces petites maisons, construites en briques de terre cuites au soleil, sont du même genre que les ruines de Medynet-Abou ; mais le temple est beaucoup mieux conservé que ceux de Thèbes. Les peintures qui ornent le plafond du péristyle sont encore brillantes : on y remarque ce fameux zodiaque, dont la publication apporterait, dit-on, de si grands changements dans la chronologie religieuse qui a été adoptée jusqu'à nos jours. 
Le temple de Tentyra est d'une beauté de proportions à la fois majestueuse et simple ; c'est incontestablement le plus admirable et le mieux conservé de tous les monuments égyptiens, dont il est le type et le modèle. Le soleil près de l'horizon dorait les colonnes de ce parvis, qu'il éclaire depuis tant de siècles, et les ténèbres s'emparaient déjà de ces voûtes immenses. Le silence de ce lieu, la brise du soir agitant les bruyères, tout ce paysage avait quelque chose de triste et d'enchanté. 
Nous retournâmes au bateau sans nous parler ; je laissais mon imagination errer dans le passé et rêver l'ancienne Tentyra, la crédulité de ses habitants, la jonglerie de ses prêtres, son opulence, ses fêtes et sa chute."


extrait de Voyage dans le Levant, par Louis Nicolas Philippe Auguste de Forbin (1777-1841), peintre, écrivain archéologue, successeur de Vivant Denon en 1816 comme directeur général du musée du Louvre.

dimanche 6 janvier 2019

"Les Égyptiens cachaient leur magnificence dans des souterrains" (Auguste de Forbin)

aquarelle de Lindsay, Jane Evelyn Lady (1862 - 1948)
 "J'entre ensuite dans la vallée sacrée : je vais interroger ces innombrables catacombes ; je descends dans les sépulcres des rois. Des peintures brillantes me disent les usages et le culte de ce peuple ingénieux, me montrent les triomphes de ces princes dont tous les sarcophages sont vides. Ainsi tout me rappelait à l'idée de la brièveté de la vie ; tout disait autour de moi que l'homme n'est quelque chose que par son âme : roi par la pensée, frêle atome par son enveloppe, l'espoir seul d'une autre vie peut le rendre vainqueur dans cette lutte continuelle entre les misères de son existence et le sentiment de son origine céleste. 
Je pénétrais dans les entrailles de la terre, dans des palais souterrains, distribués, divisés avec art, soutenus par des piliers, recouverts de stuc et de peintures d'un fini admirable. Ces hiéroglyphes, ces figures, sont sans doute l'histoire des connaissances humaines : les prêtres de l'Égypte ne les confièrent aux abîmes que pour les soustraire au bouleversement du globe. Des salles se succédaient, et la dernière contenait un sarcophage d'albâtre, aujourd'hui veuf des restes qu'on y renferma. Il est gravé, couvert de caractères symboliques, et d'une étonnante conservation. Dans ces lieux de ténèbres, je me croyais sous la puissance d'Aladin, sous un charme magique : il semblait que je fusse guidé par la lumière de la lampe merveilleuse, et au moment d'être initié à quelque grand mystère. Le Bédouin qui nous suivait, expliquait facilement ces travaux surnaturels. Après le déluge, disait-il, les montagnes étaient plus tendres, les hommes plus puissants, les pierres plus légères : voilà comment furent creusés ces puits de la mort, comment furent élevées ces grandes mosquées qui couvrent notre désert. Le génie des anciens Égyptiens était spécialement consacré aux tombeaux, tandis que le génie des Grecs sacrifiait aux grâces, à la valeur, à la beauté. Les Égyptiens cachaient leur magnificence dans des souterrains : le granit, le sombre basalte, étaient les matériaux qu'ils employaient le plus habituellement. Les Grecs, au contraire, construisaient des temples de marbre blanc sur des promontoires élevés ou dans les sites les plus riants. (...)
Près de là, dans la plaine, sont deux colosses places à côté l'un de l'autre, tous deux assis, le visage tourné vers l'orient. Je considérais avec une sorte d'épouvante ces montagnes taillées par la main de l'homme, qui leur imprima son image. L'aurore trouve à présent silencieuse cette statue qui la saluait jadis par des sons harmonieux. Des inscriptions dans toutes les langues rappellent la surprise et la vénération des voyageurs frappés de ce prodige." 

extrait de Voyage dans le Levant, par Louis Nicolas Philippe Auguste de Forbin (1777-1841), peintre, écrivain archéologue, successeur de Vivant Denon en 1816 comme directeur général du musée du Louvre.

dimanche 30 septembre 2018

Surprise, stupeur et admiration du comte de Forbin devant la Grande Pyramide de Guizeh

 
photo de Zangaki
"Après avoir traversé le Nil à Fostat (le vieux Caire), que le voyageur Norden a pris si improprement pour l'ancienne Memphis, on marche presque directement vers la grande pyramide de Gyzeh. Nous fîmes deux lieues à travers les prairies et les jardins que le Nil venait de rafraîchir et de féconder. La végétation cesse tout-à-coup à un quart de lieue des pyramides : citadelles immenses, éternelles, elles sont assises sur les confins du désert comme sur les frontières de l'empire de la mort. Les efforts du temps, la fureur des orages, se brisent contre les pyramides, comme les flots de la mer contre le rocher que Dieu lui assigne pour limite.
Rien ne saurait rendre les impressions qui s'emparèrent exclusivement de moi, à mesure que j'approchais des plus grands monuments élevés par la main des hommes. Lorsqu'on est au pied pied de ces masses énormes, que l'on ne peut comparer à rien, l'âme est d'abord frappée d'une sorte de surprise, de stupeur, qui ne fait place que longtemps après au sentiment de l'admiration. J'étais tenté de croire, avec le Tarykh Tabary, que ce qui s'offrait alors à ma vue était l'ouvrage des pery, des fées qui gouvernèrent le monde pendant deux mille ans, après lesquels Eblis, envoyé de Dieu pour les chasser, les confina dans la partie du monde la plus reculée.
Ces pyramides, que l'auteur arabe nomme el-Ahrâm [les décrépites], sont-elles l'ouvrage de Djihân ben-Djihân, ce roi des génies, avant la création de l'homme ? (...) Je ne suivis pas la marche ordinaire ; je n'écoutai point les avis de mes guides : j'éprouvais le besoin d'arriver au sommet de cette montagne artificielle et merveilleuse ; ses angles forment des escaliers très élevés, mais assez faciles. Lorsque j'eus atteint la plate-forme qui termine la pyramide, je crus voir l'univers entier se dérouler devant moi. (...) 

Il serait inutile d'entrer dans de grands détails relativement aux pyramides : Maillet, de Pauw, Niebuhr, Norden, Savary, le P. Sicard, Volney, Denon, et l'ouvrage de la Commission d'Égypte ne laissent rien à désirer ; les critiques les plus éclairés ont tout dit à ce sujet. (...)
Il me paraît bien prouvé que les pyramides n'ont jamais été des observatoires, que jamais les recherches astronomiques n'ont pu être le but de cette construction gigantesque. Ces tombeaux, élevés sans doute avec des matériaux apportés de carrières éloignées, ne sont point le résultat du nivellement du terrain sur lequel ils sont assis ; ce qui supposerait l'existence d'une montagne dans un lieu où rien ne porte à croire qu'il en ait jamais pu exister. 

Les souverains sont quelquefois peuple en fait de croyance : les dogmes religieux des Égyptiens faisaient espérer à leurs rois qu'ils reprendraient leur corps après quatre mille ans, si cette enveloppe se trouvait alors préservée de la corruption ; cela explique comment un roi a fait souffrir tout un peuple, pour cacher sa misérable dépouille mortelle sous un amas de rochers. Mais quel fut ce roi ? le voile le plus épais couvre cette partie de l'histoire. Il est difficile d'ajouter foi aux exactions tyranniques de Chéops, aux prostitutions de sa fille, qui payaient ces immenses travaux. (...) 
Nous déjeunâmes, avant d'entrer dans la pyramide, sur une énorme pierre qui sert de fronton à la porte. Plus de cinquante Arabes se disputaient à qui servirait de guide dans les détours des pyramides. Après que le nombre et l'ordre de notre escorte furent déterminés, on alluma des flambeaux, et, le corps très courbé, nous entrâmes dans un corridor d'environ trois pieds de hauteur. Ce chemin , qui descend avec assez de rapidité, est encombré de morceaux de pierre détachés des murailles ou apportés de l'intérieur, dans les dernières fouilles que M. Salt, consul général d'Angleterre, vient d'y faire faire conjointement avec MM. Kabitzsch et Caviglia, et qui furent couronnées du succès : ils parvinrent jusqu'à la communication du grand puits avec ce que l'on croit être la chambre sépulcrale du roi ; ils ont en outre découvert une chambre dans la partie la plus basse de la pyramide ; mais on sait qu'ils n'ont trouvé ni sarcophages ni bas-reliefs, ni statues, pas même des médailles.
Après être descendu et monté environ l'espace de soixante pas, aidé par un Arabe, j'arrivai, le visage battu par les chauves-souris, jusqu'à la chambre du roi : on n'y voit autre chose que le sarcophage de granit brisé. J'éprouvais une oppression presque insupportable. Nous redescendîmes toujours courbés, étouffés par la fumée des flambeaux, et chacun atteignit avec grand plaisir la porte de ce labyrinthe terrible, dont le séjour produit l'impression d'un mauvais rêve."


extrait de Voyage dans le Levant, par Louis Nicolas Philippe Auguste de Forbin (1777-1841), peintre, écrivain archéologue, successeur de Vivant Denon en 1816 comme directeur général du musée du Louvre.