Affichage des articles dont le libellé est Barry de Merval (comte du). Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Barry de Merval (comte du). Afficher tous les articles

lundi 3 juin 2019

"La nature était le seul modèle que l'art égyptien pût copier" (comte Barry de Merval)

Philae, vers 1885, auteur non mentionné
 "La solidité est, à proprement parler, le seul principe de l'architecture égyptienne. Tous les autres lui sont subordonnés. C'est une raison de solidité qui fait incliner les murailles extérieures en forme de talus ; une raison de solidité qui dicte l'emploi des piliers et des colonnes ; une raison de solidité enfin qui, proscrivant les ouvertures extérieures, interdit l'usage des fenêtres et restreint celui des portes.
L'idée de grandeur se lie intimement à celle d'éternité. L'éternité est l'immensité dans le temps ; la grandeur est l'immensité dans l'espace. L'idée de grandeur devait logiquement se retrouver au fond de toute construction égyptienne. Celles que nous ont laissées les vingt-cinq premières dynasties, avant que l'influence grecque se fît sentir, nous présentent des dimensions colossales. L'esprit droit et simple des Égyptiens n'était pas propre à saisir des nuances. Il n'a pas compris que l'idée abstraite de la grandeur se traduisait dans une œuvre matérielle par l'ampleur et non par la grandeur réelle de l'ensemble. Pour lui, les deux notions d'ample et de grand se réduisaient à une seule. Cette confusion, dans laquelle sont tombés tous les peuples de la haute antiquité, provient de ce que dans la nature, tout spectacle grandiose se déroule sur une vaste scène ; la vue simultanée de la grandeur et du grandiose leur a fait regarder l'une comme la cause de l'autre. Erreur grave, qui devait les porter, pour reproduire l'impression de grandiose dans leurs monuments, à leur donner des proportions gigantesques.

(...) Les monuments égyptiens des trois premières périodes se ressentent de cette erreur. Leur plan est conçu sur des proportions immenses. Nul édifice ne peut se comparer aux pyramides de Gizeh ; transporté en Égypte, le colosse de Rhodes semblerait la statue d'un enfant auprès des colosses de Memnon, à Thèbes, et le Colisée lui-même, dont les dimensions étonnaient les Romains, semblerait près des ruines de Karnac un monument sans importance. 

(...) La nature était (...) le seul modèle (que l'art égyptien) pût copier. L'horizon droit n'y est limité par aucune ligne courbe. Le palmier, qui forme presque à lui seul la végétation de l'Égypte, pousse son tronc verticalement hors du sol. Les lignes horizontales et verticales sont les seules que présentent les paysages de la vallée du Nil : ce sont les seules que nous retrouvons dans l'architecture égyptienne. Nous avons déjà eu occasion de dire que le peuple égyptien n'était pas observateur et qu'il n'analysait pas ses impressions. Pour lui, chaque partie de l'horizon était limitée par une ligne droite. Pour les Grecs, au contraire, cette ligne tracée par la jonction apparente du ciel et de la terre, était courbe, et chaque fraction de cette ligne devait l'être aussi, quoique l'œil ne puisse s'en apercevoir. À strictement parler, on ne rencontre dans la nature aucune ligne droite : on ne devait en retrouver aucune dans les monuments. La courbe invisible des lignes des temples grecs est le secret, longtemps ignoré de nos archéologues, de leur extrême légèreté. Les Égyptiens n'eurent jamais recours à cet ingénieux procédé : les lignes horizontales de leurs monuments sont complétement droites : elles leur donnent plus de lourdeur, mais accentuent en même temps davantage leur caractère de solidité. Elles sont obtenues par une série de linteaux de pierre, qui forment les plafonds. L'emploi de ces linteaux était commandé par le système d'architecture qui proscrivait les lignes courbes, et non par la nécessité de recourir à eux pour relier deux colonnes l'une à l'autre. Les Égyptiens connaissaient en effet la voûte : ils l'employèrent de bonne heure dans les édifices où le plafond était masqué à l'extérieur. On en trouve de nombreux exemples dans les petites pyramides surmontant des tombes à Abydos, qui remontent jusqu'à la sixième dynatie, et où leur emploi a permis d'économiser la brique. On en rencontre aux hypogées de la dix-huitième dynastie, à Kournah-Murayi, près de Thèbes, où elles recouvrent la paroi de calcaire friable qui forme le plafond. On les trouve enfin dans les pyramides de Meraoui, qui doivent remonter à la fin du nouvel empire. L'emploi du cintre n'était donc pas inconnu, mais rejeté systématiquement."



Extrait de Études sur l'architecture égyptienne, 1873, par le comte du Barry de Merval (18..-19..)

vendredi 21 septembre 2018

"Jamais en Égypte la sculpture ne s'est affranchie de l'architecture" (comte Barry de Merval)

Statue en grauwacke représentant le roi Mykérinos
entouré de la déesse Hathor (à sa droite)
et d'une déesse personnifiant un nome (à sa gauche)
Musée égyptien du Caire
"Le caractère le plus accentué de la statuaire égyptienne est la raideur. Elle résulte du rôle secondaire que la sculpture jouait dans l'architecture égyptienne, comme dans l'architecture de tous les peuples de la haute antiquité. L'architecture est un art concret, qui contient en lui les germes de la peinture et de la sculpture. Ces deux éléments de l'architecture ne s'en sont séparés qu'à la longue pour devenir des arts indépendants. Ils n'étaient dans le principe que des arts décoratifs. Ceci nous explique pourquoi les œuvres les plus anciennes de sculpture sont toujours dénuées de mouvement et de vie : destinées à orner un édifice, dont elles étaient une partie intégrante, elles devaient participer à son immobilité.
Nous trouvons encore ici la raison des formes droites et carrées affectées par la sculpture égyptienne. Elle devait être en rapport avec le style architectural dont elle était le complément. Les statues devaient présenter dans leur ensemble des lignes droites, verticales et horizontales, comme les monuments. Le corps ne doit être incliné ni à droite ni à gauche ; les bras ne doivent pas s'écarter du corps sur les côtés, pour que la largeur de la statue n'excède pas la ligne des épaules. La tête est droite ; le cou raide ; le personnage est le plus souvent représenté debout ; s'il est assis, le buste et les jambes sont placés verticalement. L'usage de ne jamais sculpter une tunique pour les hommes, même sous les dynasties qui l'ont adoptée, de n'employer qu'une robe collante pour les femmes, accuse le dessin qu'a le sculpteur de ne pas vouloir cacher, par l'ampleur du vêtement, la ligne droite du corps.
En un mot, jamais en Égypte la sculpture ne s'est affranchie de l'architecture : elle ne s'y est jamais élevée à la hauteur d'un art indépendant. C'est donc au point de vue purement architectural que nous devons l'étudier. Nous trouverons peut-être alors sa raideur moins disgracieuse, parce qu'elle ne nous apparaîtra plus comme le résultat d'un manque d'habileté, mais comme un parti pris, parfaitement motivé. (...)
Malgré les nombreux rapports qui existent entre la peinture et la sculpture, celle-ci a eu dans la haute antiquité un avantage marqué sur l'autre, celui de la simplicité. La matière sur laquelle le sculpteur travaille, a une épaisseur qui lui permet de rendre en relief les saillies du corps. Les plans sont réellement distancés les uns des autres. Le fond sur lequel le peintre met de la couleur ne lui présente, au contraire, qu'une surface ; les saillies qu'il voudra indiquer ne seront que simulées ; les plans qu'il voudra tracer ne seront que figurés."
 

extrait de Études sur l'architecture égyptienne, 1873, par le comte du Barry de Merval (18..-19..). 
Aucune information fiable à notre disposition sur cet auteur sinon, comme il explique dans l'avant-propos de son livre, qu'il n'est pas archéologue, mais touriste de profession et qu’il s'adresse aux simples touristes.