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dimanche 13 mars 2022

Un cérémonial d'embaumement dans l'Égypte ancienne, par Pierre-Sylvain Maréchal (XVIIIe s.), prêtant sa plume à Pythagore de Samos (VIe siècle av. J.-C.)

A Mummy factory
The Miriam and Ira D. Wallach Division of Art, Prints and Photographs: Picture Collection
The New York Public Library

"Pythagore. Fils de Gaphiphe ! que dis-tu ? Je me proposais de te demander l'hospitalité que tu m'offres. Je la préfère à celle d'Amasis. Je voulais encore te prier d'être mon guide.
Ce bon jeune homme me répondit, en me serrant dans ses bras, et me conduisit dans les foyers paternels. Une branche de sycomore dressée contre la porte nous annonça qu'il s'y passait quelque sinistre événement. Son père, sa soeur et son frère entouraient le lit de douleur où la mère de famille semblait n'attendre, pour expirer, que l'instant de voir encore une fois son fils premier-né et de lui dire le dernier adieu. Le sacrifice qu'on avait fait aux trente-six cnats (décans), génies qui président aux trente-six parties du corps humain, n'avait apporté aucun soulagement. 
La scène fut courte, mais déchirante, et ma présence de quelqu'utilitė. Je partageai la douleur commune. Une larme d'un étranger est un baume consolateur pour une famille au désespoir. Je ne quittai pas mon guide d'un seul instant. Il avait besoin d'épancher l'amertume du sentiment qu'il éprouvait ; heureusement nous étions fatigués de nos dernières courses. Je l'invitai à se jeter sur sa couche, et pour l'y déterminer, je la partageai avec lui. Un rézeau est tendu autour, contre l'importunité des moucherons.
Il exigea de moi, à son tour, que je l'aidasse à gouverner sa maison dans ces premiers moments. Le surlendemain au soir, on alla avertir les embaumeurs : une loi assez nouvelle portée contre l'incontinence de ces hommes exige la révolution de trois journées entre l'heure du trépas et celle de la sépulture. Ils vinrent le matin suivant, et demandèrent auquel des trois prix fixés pour leur ministère on voulait s'arrêter. On se dėtermina pour le prix moyen. Ils se mirent aussitôt à l'œuvre, en face du soleil : je fus témoin de leurs operations. Mon jeune guide m'en ayant prié, afin de leur en imposer par ma présence : souvent ils négligent leurs fonctions, quand on ne les surveille pas. 
Ils étaient trois ; ils ne furent bientôt plus que deux ; celui d'entre eux chargé d'ouvrir le corps par une incision au côté gauche du cadavre, avec une pierre d'Éthiopie, fuit et disparaît pour éviter les malédictions qu'on est dans l'usage de prononcer contre lui ; les Égyptiens pensant mal d'un homme qui peut, de sang-froid et par métier, déchirer le corps de son semblable, même après son trépas. À l'aide de divers instruments, on enleva de l'intérieur du cadavre tout ce qui présente un aliment à la putréfaction, excepté le cœur et les reins qui furent lavés dans du vin de Palme. On y injecta à la place, à l'aide d'un chalumeau, de la résine de cèdre ; puis on le déposa, dans le natron (sel alkali fixe) pour y rester comme enseveli, l'espace de deux mois ; pendant ce temps, la famille vêtue de deuil se montre dans les différents quartiers de la ville, pour recevoir les consolations accoutumées. J'accompagnai mon jeune guide en tous lieux.
Quant aux entrailles, voici ce qu'elles devinrent ; on les renferma dans un vase consacré à cet usage ; puis j'entendis sortir de la bouche de l'embaumeur, la prière suivante faite au nom du défunt : "Ô soleil ! notre Dieu ! toi qui donnes la vie aux hommes, reprends-moi. T'ant que j'ai vécu, j'ai honoré ceux qui ont engendré mon corps. Je n'ai tué aucun homme ; je n'ai point violé de dépôt. Si quelquefois j'ai bu ou mangé des choses défendues par la loi, la faute en est à ce qui est renfermé dans ce vase."
Et le vase, tandis que l'on proférait les dernières paroles de la prière, fut jeté dans le Nil.
Au bout de soixante jours, les embaumeurs revinrent pour dessécher les chairs avec du nitre, jusqu'a ce qu'il ne restât plus du cadavre que la charpente osseuse recouverte de la peau seulement. Ils enveloppèrent le corps de la tête aux pieds avec des bandelettes de toile enduites de komi (c'est une gomme d'Arabie ) en observant de lui croiser les bras, les mains tournées vers le visage.On apporta un coffre de bois de figuier d'Égypte (espèce de sycomore) et de forme humaine, pour y renfermer ce triste et cher dépôt. Les Égyptiens appellent le cercueil dardarot ou maison éternelle, et la mort muth. Mon jeune guide peignit lui-même dessus plusieurs figures hiéroglyphiques dont je lui demandai l'explication : hélas ! me dit-il ; tu vois un coq étendre ses ailes sur trois petits poussins dont un n'est encore qu'à moitié sorti de sa coquille. Une poule est couchée sur le côté, à l'écart et toute nue ; il ne lui reste plus une seule plume sur tout le corps : naïve image de ma famille infortunée ! Ma pauvre mère est cette poule jadis féconde et bienfaisante. À présent ses enfants sont obligés d'aller se réfugier sous l'aile de leur triste père. J'ai peint ce tableau de famille, monument éternel de ma douleur, avec de l'émail pulvérisé.
Il m'ajouta : "Nous ne sommes point d'avis de porter le corps de notre mère dans les catacombes publiques, hors de la ville. Mon père consent à le garder avec nous, sous le même toit. Nous allons dresser ce cercueil contre les parois de l'appartement le plus honorable de la maison. Nous ne cesserons d'être sous les yeux de notre mère ; elle présidera toujours à ce qui se fera ici et chacun de nos repas sera terminé par une libation en son honneur."
Des voyageurs envieux ont indignement travesti cet usage. Ils racontent que les Égyptiens, pour égayer leurs banquets, placent au bout de leur table l'anatomie sèche d'un homme, afin que le spectacle de leur anéantissement les porte à user des plaisirs du moment, sans en remettre la partie au lendemain. 
Les derniers devoirs rendus à la mère de Gaphiphe furent terminés par un banquet. On en dressa la table, selon l'usage, hors de la maison, devant la porte. C'est dans ces occasions qu'on aime à étaler les ustensiles domestiques, indices de l'aisance et de l'ordre qui règnent dans l'intérieur des familles. Les cyathes, les coupes, les vases à large panse sont d'airain. On appelle ces derniers éthanion. Je remarquai d'autres vases recouverts d'un enduit de couleur qui imite parfaitement celle de l'argent. Vingt siècles pourront à peine en altérer la nuance. J'en vis qui ressemblaient pour la forme aux lagynes de Samos.
On termina le repas funèbre par cette prière accoutumée : "Soleil ! et vous tous, Astres sans nombre, d'où la vie de l'homme découle, reprenez celle qui animait ce corps."
Puis vint le cérémonial d'une grande coupe d'absinthe, qui passa successivement sur les lèvres de tous les convives."


extrait de Voyages de Pythagore en Egypte, dans la Chaldée, dans l'Inde, en Crète, à Sparte, en Sicile, à Rome, à Carthage et dans les Gaules ; suivis de ses lois politiques et morales - Volume 1, 1798, par Pierre-Sylvain Marécha
l (1750-1803), écrivain, avocat, poète, pamphlétaire, militant politique français, qui présente son récit en ces termes : "Le personnage de l'antiquité, sur lequel les chronologistes s'accordent le moins, est Pythagore. J'en ai profité, pour rapprocher certains événements ; et la longévité de mon héros semblait s'y prêter. Cependant, je n'ai rien pris sur moi, m'étant prescrit la règle de ne point faire un pas, sans avoir mes garants ; ce qui nécessite des citations assez fréquentes, au bas des pages, et une nomenclature justificative, à la fin du cinquième volume."