Beni-Hassan : Tomb 3 Asiatic scene.
Carl Richard Lepsius, Denkmäler aus Aegypten und Aethiopien, Leipzig, 1913
Dans les tombeaux de Beni-Hassan, qui datent de la VIIe dynastie, et qui sont plus vieux qu'Abraham, on peut voir encore aujourd'hui des tableaux pleins de mouvement, de vie, de gaîté même. Tous les monuments du premier âge expriment en traits vifs et charmants la douceur d'une vie champêtre, abondante, libre, heureuse, et l'art qui l'a traduite est facile comme elle. On dirait que les vivants se sont plu à réunir dans la demeure des morts l'image de tous les plaisirs qu'ils avaient goûtés sur la terre. Aucune allusion à la grandeur des rois, au despotisme des prêtres, à ces épreuves de l'autre vie dont le détail formaliste et minutieux remplit les monuments de l'Égypte dégénérée. L'architecture des premiers âges offre des spécimens du pur style dorique, tel ou peu s'en faut qu'il existe au Parthénon d'Athènes, et partant bien supérieur à cette énormité savante et prétentieuse qui fut le style de Sésostris.
Il est vrai que cette grave question se juge sur un dossier fort incomplet. Beaucoup d'édifices ont disparu, force nous est de raisonner sur le peu qui subsiste. On s'imagine en France que tous les temples et les tombeaux d'Égypte étaient taillés dans le granit ; il s'en faut de presque tout ; le granit est une pierre rare, on ne le trouve qu'à la hauteur d'Assouan, presque sous le tropique du Cancer. Les anciens venaient le chercher jusque-là pour en faire des obélisques et des statues ; mais lorsqu'il s'agissait de construire tout un temple, ils employaient le grès ou le calcaire, qui se trouvait sous leur main. Les temples de calcaire ont passé dans les fours à chaux, pièce à pièce ; le grès seul est resté debout parce qu'il ne pouvait servir à rien. Il risque fort de disparaître à son tour, ou du moins les derniers vestiges de cette précieuse antiquité sont plus exposés aujourd'hui que sous les mameluks.
Le Nil commence à miner Louqsor : quelques jours avant notre arrivée, une partie du temple s'était écroulée à grand bruit sans cause apparente ; mais le pire ennemi des choses antiques, c'est le touriste, ce désœuvré souvent inepte qui fait sauter un éclat de mur pour rapporter un souvenir, et qui martèle les hiéroglyphes ou les peintures, histoire d'y laisser son nom. Quand le voyage était coûteux et difficile, lorsque les ruines de Thèbes ne voyaient qu'une demi-douzaine d'étrangers tous les ans, les dégâts étaient véniels ; aujourd'hui Anglais et Américains s'abattent sur le Nil par centaines, comme des oiseaux de passage ; la manie des collections va croissant ; on trafique des antiquités à bureau ouvert ; les agents des consulats se livrent publiquement à ce commerce, et le gouvernement n'est pas de force à chasser les vendeurs du temple, qui finiront par vendre le temple même.
Il est urgent d'arrêter cet abus et de préserver les ruines, au moins jusqu'à ce que M. Mariette ait copié toutes les inscriptions qui restent inédites. Ces murailles de la Haute-Égypte sont un livre que la science épelle avec ardeur. Elle espère y retrouver un grand chapitre de l'histoire du genre humain et la réfutation de certaines légendes trop longtemps accréditées. On n'osera peut-être plus dire que l'humanité est vieille de six mille ans en présence de documents authentiques qui en ont sept ou huit mille."
extrait de Le fellah : souvenirs d'Égypte, 1869, par Edmond François Valentin About (1828-1885), écrivain, journaliste et critique d'art français, membre de l’Académie française