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mercredi 29 janvier 2020

"Monsieur Legrain... dans son domaine de Karnak", par René Delaporte

"le seul béret blanc vu dans ce pays"

"Il faut regarder Karnak comme le plus bel amas de ruines qui se puisse voir dans ce voyage. On peut en admirer la masse imposante, frappant l'esprit par sa grandeur et l'entassement de ses matériaux. Il faut le voir aussi pour les travaux de restauration dont il est l'objet et du déblaiement complet, oeuvre de Monsieur Legrain.
Vous connaissez Monsieur Legrain, nous l'avons rencontré ensemble à Saqqarah. Signe particulier, porte le seul béret blanc vu dans ce pays.
Pendant mon séjour à Louqsor, j'eus l'occasion de le voir souvent. Il est de ces personnes dont on se fait un camarade d'abord, mais qui ne tardent pas à être bientôt de vos amis.
Avant son arrivée dans son domaine de Karnak, (c'est son empire à lui, ce temple qu'il déblaie et qu'il remet debout), j'avais vu les 
nombreux travaux de restauration, j'en avais admiré l'exécution et la reconstitution, particulièrement à l'un des pylônes de la salle hypostyle et au petit temple de Ramsès III. J'avais admiré ce travail parfois dangereux sans savoir que l'ami Legrain en était le directeur.
Son arrivée me permit d'éclaircir beaucoup de points obscurs. Il m'expliquait les procédés, les moyens d'exécution. Il me montrait le plan tracé pour cet hiver-ci. Pour les travaux, il a une dizaine de mille francs à sa disposition, produit de la taxe payée par les touristes. Aucun ne la regrettera après avoir vu Karnak. Avec cette modique somme, il déblaie tous les ans le temple et le restaure, en partie. Il reste encore beaucoup à faire, la consolidation complète de la salle hypostyle, le déblaiement de la grande cour, la reconstitution des salles de cariatides ou des dix-huit colonnes et des appartements en granit, etc.
Certes, voilà beaucoup de travail, mais avec un peu plus d'argent, un homme comme le restaurateur de Karnak mènera vite, à bonne fin, cette oeuvre qui parait colossale.
À bonne fin, ai-je dit. À très bonne fin, car pour arriver à cela, et au but exposé, il faut y mettre du goût, de la science et l'amour de ce 
que l'on entreprend. Tout cela, M. Legrain le met dans son oeuvre Karnak, c'est un peu sa chose, son lui-même, une partie de son coeur et de son esprit.
Quels touristes n'ont pas vu ce Monsieur en béret blanc parlant très bien l'arabe, dirigeant son petit monde de 200 à 300 ouvriers, hommes et enfants (un capitaine en commande moins). Il faut le voir se mettant en plein danger quand il y en a, afin de forcer ses hommes à rester à leur poste. Quiconque a pu suivre les travaux, verra que l'on ne chôme pas, du reste tout le monde peut voir le déblaiement. Tout s'y fait au grand jour sans crainte de la critique, car celle-ci ne peut attaquer que le mal et ce n'est pas le cas.
Après ce travail de la journée, c'est le classement et la numération de ce qui a été découvert afin de retrouver les statuettes que le feu d'un vandalisme peu pardonnable a réduites en morceaux. Ce sont des problèmes à résoudre pour la reconsolidation de pierres se tenant en équilibre par des prodiges de la statique ; c'est l'enregistrement et la comptabilité.
Qu'importe la besogne, au jeune directeur des travaux, car c'est sa passion à lui, cette oeuvre, passion qui n'est pourtant pas assez
forte pour en effacer une autre que de beaux yeux ont allumée et pour laquelle nous lui souhaitons tout le bonheur possible. Avec la rose choisie dans le grand jardin humain pour être la compagne de sa vie, nous verrons bientôt fleurir le buisson de sa descendance et se ramifier à lui-même comme l'arbre généalogique des Ramsès."

extrait de Dans la Haute-Égypte, 1898, par René Delaporte, ex-chargé de missions du ministère du Commerce, auteur d'un recueil de poésies sous le pseudonyme Henry Mercq

jeudi 4 octobre 2018

Le Caire : conseils aux visiteurs, par René Delaporte

Abdullah Frères, rue du Caire
"Les Mille et une Nuits nous ont fait du Caire une ville si attrayante que l'arrivée dans la capitale khédiviale est presque une désillusion. On ne retrouve pas les tableaux figurés à l'avance. Tout d'abord, l'imagination n'est pas
saisie.

La descente du train sur les quais macadamisés de la gare, ne reflète point le cachet oriental, mais rappelle la station européenne. Le style, les nombreux tharboucks et les langages divers qui s'y croisent, annoncent un monde nouveau. Déjà, l'on a une idée du (cosmopolitisme) de cette belle ville. Celui-ci et le mélange des races lui impriment ce pittoresque et cette couleur locale que mes yeux n'avaient encore vu nulle part.(...)
En général le voyageur curieux - ils le sont tous - prendra un guide drogman et se laissera conduire dans le dédale des rues presque sans s'y reconnaître. Il aura une idée très imparfaite de la topographie de la cité. À peine pourra-t-il se diriger seul, orienter et placer les monuments dans un ordre géographique convenable. Sa classification consistera simplement dans l'ordre chronologique de visites. Ce touriste aura vu le Caire comme on regarde une pièce de théâtre à dix tableaux mais ne connaîtra pas la ville ; il se ressouviendra des grandes lignes seulement ; il aura visité les monuments sans en avoir détaillé les beautés artistiques ; il trouvera que tout est magnifique parce que tout le monde dit que c'est magnifique. Incapable de se diriger lui-même il sera incapable de donner aucun renseignement exact sur ce qu'il aura vu. Dans ces conditions autant admirer les beautés de la fameuse Masr-el-Kahira au travers des loupes d'un stéréoscope.
Si ce voyageur reste longtemps au Caire, plusieurs méthodes sont à choisir pour chercher à connaître la topographie de la ville. La première et la plus simple est de se diriger sur le point le plus élevé du Mokattam et d'admirer le panorama déroulé devant ses yeux en se gravant dans l'esprit les principaux monuments aperçus.
Une seconde méthode, celle-ci pour ceux qui aiment les aventures, consiste à se jeter avec son plan dans les rues et chercher à s'y reconnaître. Cette dernière est plus longue mais combien plus intéressante. Ce fut la mienne. Dès le lendemain de mon arrivée, je 
me lançai dans le Caire. Tout d'abord j'allai à l'aventure, me dirigeant vers les quartiers européens pour revenir ensuite par la ville indigène. Je m'égarai dans un labyrinthe inextricable de rues petites et tortueuses. Mainte fois un mur, une porte me barraient le passage, me forçant à revenir sur mes pas. Les indigènes, leurs grands yeux ébaubis me regardaient, manifestaient souvent leur étonnement et me suivaient pendant longtemps. (...) Après maints et maints détours ne pouvant sortir sûrement du dédale des ruelles, je consultais mon guide (un Baedeker malheureusement). Nos guides français sont d'une vétusté ne les recommandant point au touriste. Grâce à lui, je finis par rentrer à l'hôtel Bristol, où un bon déjeuner à la française m'attendait."



extrait de Dans la Haute-Égypte, 1898, par René Delaporte, ex-chargé de missions du ministère du Commerce, auteur d'un recueil de poésies sous le pseudonyme Henry Mercq