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samedi 21 mai 2022

La décoration des édifices dans l'Égypte ancienne, par René Ménard (XIXe s.)

île de Philae - photo MC

"Chez tous les peuples primitifs, la décoration a été subordonnée à la construction et les arts de peinture et sculpture n'ont jamais tenté de s'affranchir des lois impérieuses de l'architecture, dont ils n'étaient en quelque sorte que les annexes. Ainsi on ne trouverait pas dans toute l'Égypte une salle ayant un plafond susceptible de recevoir une décoration analogue à celles que nous faisons aujourd'hui, parce que la construction s'y opposait. Le plafond, n'étant que le dessous des dalles qui s'étendent d'un mur à une colonne ou qui relient les colonnes entre elles, était nécessairement divisé en compartiments de dimension restreinte. C'est à cela que Diodore de Sicile fait allusion, lorsqu'il dit, à propos du monument qu'il appelle le tombeau d'Osymandias :"Tout le plafond était d'une seule pierre et parsemé d'étoiles sur un fond bleu."
Il y avait aussi en Égypte des plafonds décorés de bas-reliefs dont le sujet se rattachait habituellement à la voûte céleste. Tel était par exemple le fameux Zodiaque de Denderah qui formait un plafond dans une très petite pièce du temple. L'usage de représenter le ciel sur un plafond était absolument conforme aux idées des Égyptiens, mais on a également employé pour ce genre de décoration soit des hiéroglyphes, soit des ornements dont la forme est le plus souvent empruntée au règne végétal, et dont la couleur, toujours posée en à-plat, était généralement d'une teinte assez vive.
Dans l'architecture égyptienne, tout est peint, les statues comme les bas-reliefs, les colonnes comme les murailles, l'intérieur comme l'extérieur.
Outre les colosses, les scènes militaires et religieuses, les inscriptions en hiéroglyphes, l'ornementation proprement dite tient une très grande place dans le style égyptien. Dans son ensemble, elle est généralement tirée de la flore du pays et se relie pleinement avec la logique architecturale des monuments qu'elle a pour mission de décorer. C'est ainsi que nous retrouvons dans la disposition des végétaux érigés en supports, dans la colonne, un groupement de tiges, ou un épanouissement de feuillage en chapiteau répondant parfaitement aux
nécessités de ce rôle de support. Mais dans l'ornementation des parties accessoires, qui n'accusent pas autant la construction, la fantaisie se donne plus libre cours, et les formes géométriques se mêlent assez volontiers à la flore et à la faune. Ici nous trouvons un ornement dont la disposition semble empruntée aux écailles de poisson ; là, des bandes colorées sur lesquelles courent des enroulements ; plus loin un semis de fleurs sur des petits cercles régulièrement tracés, etc. Le principe des alternances, dont les Grecs devaient tirer plus tard un si heureux parti, est déjà très nettement accusé en Égypte : fleurs de lotus dressées sur leurs tiges alternant avec les mêmes fleurs renversées, feuillage aux pointes aiguës alternant avec des grappes de fruits arrondis, lignes courbes alternant avec des lignes anguleuses, etc.
Mais ce qui est particulièrement remarquable dans la flore, c'est qu'elle est toujours traitée conventionnellement sans jamais viser à l'illusion de la réalité ; elle se fait ornement et n'emprunte à la forme végétale que ce qui est nécessaire pour en indiquer l'espèce. Le dessin des Égyptiens ressemble à leur écriture hiéroglyphique ; il ne fait jamais le portrait d'une plante ou d'un animal, il se contente d'en exprimer le type."

extrait de La décoration en Égypte, 1884, par René Ménard (1827-1887), peintre, rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts, professeur d'histoire à l'École nationale des arts décoratifs.