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samedi 15 mai 2021

"Karnak dans toute sa majesté, dans toute sa ruine", selon Jules Barthélemy Saint-Hilaire (XIXe s.)

Karnak. Salle hypostyle, par Gustave Le Gray, janvier 1867.
source BnF

"Mais que vous dirais-je de Karnak ? C'est bien ici que toute description est impossible, si l'on prétend la faire quelque peu égale au sujet. Mais je me rassure en me disant que les plus habiles y échoueraient tout comme moi. Champollion le Jeune a pris un parti plus simple. C'est de ne pas décrire du tout les magnificences de ces grands lieux.
Nous sommes arrivés par l'avenue qui, du palais de Louqsor, conduisait aux palais et aux temples de Karnak. Une demi-heure de course à cheval nous a suffi. Cette avenue était garnie à droite et à gauche de sphinx à tête de bélier, dont il ne reste que des débris mutilés. Mais cette rangée de statues étranges, qui pouvaient être au nombre de plusieurs centaines, devait produire un bien grand effet. Elle conduit à un pylône de date assez récente, puisqu'il est de Ptolémée Évergète et de la reine Bérénice, sa sœur et sa femme. Il n'a pas moins de 140 pieds de haut. Il n'a jamais été achevé ; et des pierres encore saillantes, comme au temps où on les a placées, attendent des constructions complémentaires, qui ne sont jamais venues.
Au delà de ce pylône, recommence l'avenue de sphinx, beaucoup plus ancienne que lui et qu'il interrompait ; et l'on arrive à une suite d'édifices qui paraissent être du temps de Rhamsès IV (1.200 ans avant J.- C.). Ils sont contenus dans une enceinte qui est à peu près carrée, ayant 100 mètres passés de long sur 85 de large. Les deux côtés nord et sud sont formés par des galeries, dont il reste encore de nombreuses colonnes assez bien conservées. Une entre autres, qui faisait partie d'une avenue placée au milieu de cette vaste cour, n'a pas moins de 70 pieds de haut, y compris la base et le chapiteau. Il devait y en avoir vingt-six de cette dimension.
Mais tout cela n'est rien auprès du vieux palais, où l'on parvient enfin en passant sous un autre pylône de 80 pieds de haut, à l'extrémité de cette avenue. Ce pylône donne entrée dans la grande salle, qui n'a pas moins de 518 pieds de long sur 160 de large. Le plafond, formé de pierres, dont quelques-unes sont longues de 40 pieds, est sculpté et peint ; il est supporté par 158 colonnes, dont 12 au centre, pareilles à celle dont je viens de parler, ont 70 pieds de haut sur 35 de circonférence. Les 126 autres, qui forment les parties latérales des deux côtés de cette nef incomparable, n'ont que 45 pieds de hauteur sur 27 ou 28 de pourtour. Elles sont, de chaque côté, sur sept rangs de neuf chacun. M. Senior prit la peine de les compter.
L'impression singulière qu'on éprouve sous ces voûtes a quelque chose de celle que donnent les Pyramides ; on est anéanti sous des dimensions qui n'ont plus rien d'humain ; et l'on se prend parfois à douter, comme Diodore devant le monument de Chéops, que ce soit là l'oeuvre des hommes. Je ne crois pas qu'il y ait au monde une salle, dans un édifice quelconque, qui puisse se vanter d’un si prodigieux développement.
Le tout est en grès, analogue à celui de Dendérah, venu sans doute aussi des carrières de Silsileh, et couvert également de hiéroglyphes et de peintures. Presque toutes ces colonnes sont debout comme au jour où des architectes habiles les érigèrent. Quelques-unes cependant, cinq ou six au plus, cédant à l'action des eaux, qui, dans les inondations du Nil s'infiltrent jusque-là, et qui viennent même dans les grandes crues baigner une partie de ces ruines, se sont affaissées. Une, entre autres, tombant sur une de ses voisines, s'est trouvée arrêtée dans sa chute par la pierre d’entablement dont elle était couronnée, et qui n'a pas moins de 36 pieds de long. Cette pierre s'est arc-boutée contre la colonne qu'elle frappait sans l'ébranler, et elle a soutenu, dans une position oblique de 60 ou 65 degrés, celle qui l'entraînait avec elle. Dans cette inclinaison violente et instantanée, pas un des tambours de la colonne, au nombre d'une vingtaine, ne s'est dérangé ; et, sous cette inclinaison périlleuse, ils sont encore aussi fermement joints entre eux que s'ils étaient restés perpendiculaires. On pourrait croire, s'il y avait du fer en Égypte, que des barres de fer intérieures traversent les colonnes d'un bout à l'autre, et leur communiquent une solidité d'adhésion qu'elles n'auraient pas sans ce secours.
Au delà de cette salle, qui devait être le lieu d'assemblée des peuples dans les circonstances les plus solennelles, de nouveaux pylônes vous conduisent à de nouvelles enceintes, à de nouvelles colonnades, à des obélisques qui comptent parmi les plus grands de tous ceux qu'on connaît. L'un n'a pas moins de 94 pieds. Celui de Saint-Jean de Latran, à Rome, est encore un peu plus haut, selon les souvenirs d'un de nos compagnons. Si on l'a laissé en place, c'est qu'il aura paru moins beau, les arêtes ayant été endommagées en plus d'un endroit. Ce n'est pas d'ailleurs chose facile que de remuer ces masses effroyables et délicates, sans les briser ; et nous vîmes à terre les débris du plus grand de tous les obélisques, puisqu'il a 100 pieds, que des mains maladroites ont rompu en essayant de l'emporter.
Au delà et autour de ces obélisques est le sanctuaire, dont il ne reste plus que des débris peu reconnaissables, des chambres latérales en granit, et une foule de constructions, qu'il faudrait étudier longtemps pour en retrouver le caractère et la destination probable. Un temple, qui semble petit à côté de ces géants, a été converti en église dans les premiers temps de l'ère chrétienne ; et nous y avons trouvé sur les parois, et surtout sur le plafond, des ornements qui ne peuvent laisser aucun doute à cet égard. Il y a des têtes entourées de nimbes et de gloires ; et, selon toute apparence, ces travaux accessoires remontent au temps où la ferveur des néophytes les entraînait dans les déserts de la Thébaïde, et dans ces palais, qu'ils repeuplèrent pour quelques années. Un plafond peint en bleu était parsemé d'étoiles d'or, et les couleurs semblent d'hier. Entre deux parois de muraille, j'ai vu aussi un groupe de statues de marbre blanc très pur et d'un goût exquis, quoique mélangé. Elles représentaient deux femmes assises se donnant la main ; leur tête avait été rompue. Mais évidemment cet ouvrage, fort distingué, était moitié grec, moitié égyptien. C'est, je crois, une curiosité assez rare ; et je n'ai pas vu qu'aucun voyageur eût pensé à la décrire, quoiqu'elle en vaille bien la peine.
Tel est Karnak dans toute sa majesté, dans toute sa ruine. Nous n'y sommes restés que quelques heures. Mais les sensations que nous y avons éprouvées ne s'effaceront de notre vie."


extrait de Lettres sur l'Égypte, par Jules Barthélemy Saint-Hilaire, philosophe, journaliste et homme d'Etat français (1805-1895).

lundi 2 mars 2020

"Quand on arrive à leur base, on est comme atterré et anéanti d'étonnement" (Jules Barthélemy Saint-Hilaire, à propos des pyramides de Giza)

photo des frères Zangaki, deux photographes grecs, actifs vers 1870-1875 et 1880-1899

"Je ne voudrais pas cependant quitter l'Égypte sans vous dire quelque chose des monuments que nous venons d'admirer. Il me semble qu'un voyageur qui aurait vu ces merveilles sans leur consacrer un souvenir serait assez ridicule. Il faudrait qu'il fût bien insensible pour n'en avoir pas été ému ; et, s'il a ressenti en les contemplant quelques impressions profondes, je ne vois pas pourquoi il ne transmettrait pas ces impressions, quelles qu'elles soient, aux gens moins heureux que lui qui n'ont pu les avoir sur les lieux. Les monuments de l'Égypte, d'ailleurs, ne sont pas seulement une gloire pour le peuple qui les a élevés. Ils font partie de l'histoire de l'art par leur originalité, par leur grandeur, quelquefois même aussi par leur perfection ; et les passer sous silence, c'est déchirer une page des annales de l'esprit humain. Quelques-uns de ces monuments ont quatre mille ans et plus. Je vous le demande : il y a quatre mille ans, qu'est-ce que c'était que l'Europe entière, y compris la Grèce elle-même ? Qu'est-ce que c'était que le monde, et même les peuples les plus civilisés de ces temps à demi fabuleux, à côté de l'Égypte pharaonique ?
(...) Les monuments que nous avons visités ne sont pas très nombreux. Le but de notre voyage était spécial (...). Cependant nous n'avons pas voulu passer, comme des barbares, à côté de ces splendeurs de l'architecture pharaonique sans y jeter un coup d'œil ; et voici à peu près tous les monuments que nous avons vus sur les bords du Nil : les pyramides de Ghizeh, le temple de Dendérah, les palais et les temples de Thèbes sur les deux rives du fleuve, Esneh, Edfou, et l'île de Philae.
(...) Pour se rendre aux grandes pyramides, qu'on aperçoit sur sa droite quand on les regarde du haut de la citadelle du Caire, il faut passer le Nil, et prendre par le village de Ghizeh, aujourd'hui bien délabré, et dont Léon l'Africain, au commencement du seizième siècle, fait une ville très florissante. Comme l'inondation était encore très haute, et qu'elle couvrait la campagne, il nous a fallu suivre la levée de terre qui, par de longs détours, conduit en serpentant à l'entrée du désert Libyque, où gisent ces gigantesques constructions. De loin, et à mesure qu'on s'en rapproche, elles produisent assez peu d'effet ; et l'on serait presque tenté de se dire : "Comment ! ce n'est que cela !" Mais, lorsqu'on a quitté la levée, et qu'au delà de l'inondation on s'avance à pied vers ces masses, faisant un kilomètre à peu près dans le sable sans que le regard s'en détache d'une seconde, elles grandissent tout à coup à des proportions colossales ; et quand on arrive enfin à leur base, on est comme atterré et anéanti d'étonnement.
Cette sensation tient évidemment à ce que ces monuments étranges sont d'un bloc, et que l'effet qu'ils produisent est en quelque sorte concentré.
Les plus vastes palais, ceux de Karnak, par exemple, ou ceux de Médinet-Habou, tout immenses qu'ils sont, ne vous écrasent pas comme les Pyramides. On sait s'orienter dans leurs diverses parties, qu'on analyse et qu'on peut détailler une à une. Ici le coup est unique, et l'on est foudroyé. La surprise ne diminue pas même lorsque l'on monte sur ces assises de pierres magnifiques, dont quelques-unes ont trois et quatre pieds de haut pour chaque pas, ou gradin d'escalier.
(...) Il est démontré par les Pyramides elles-mêmes, telles qu'elles sont encore aujourd'hui, que l'architecture était fort avancée au moment où elles ont été construites. Les moyens pouvaient être imparfaits, et les plans inclinés l'attestent assez ; mais l'art ne l'était pas. La construction en elle-même, avec ses lignes si régulières, avec ses matériaux si solidement joints, ses travaux intérieurs et ses travaux du dehors, ne laisse rien à désirer ; et si, de nos jours, il prenait fantaisie à quelque potentat de faire élever des monuments de ce genre, il est avéré qu'il ne pourrait faire mieux, si même il pouvait faire aussi bien.
Il n'y a pas d'architecte de nos jours, quelles que soient ses justes prétentions, qui ne doive en convenir. Dans ces temps, si reculés qu'ils en sont presque fabuleux, la mécanique savante pouvait être peu avancée ; l'architecture l'était étonnamment. Or ce n'est pas très rapidement que l'art se forme ; et il avait fallu bien des essais et bien des tâtonnements, avant qu'il parvînt à ce degré éminent. À quelle époque incalculable ne se trouvent point reportés, rien que par ce seul fait, les débuts de la civilisation égyptienne ? Et à quel temps presque antédiluvien n'a-t-on pas dû commencer à tailler des pierre et à construire des édifices, pour arriver, deux mille ans avant l'ère chrétienne, à en construire de si parfaits !
Voilà pour l'admiration. Mais à un autre point de vue, que de douleur et que de juste indignation ne doivent pas exciter de pareils monuments ! Quel orgueil ! Quel faste stupide et cruel ! Que de milliers d'hommes sacrifiés en pure perte pour faire à un cadavre, qui doit périr sans qu'il en reste trace un jour, une sépulture qui brave les siècles, sans le préserver de la pourriture qui l'attend, ou de la violation sacrilège dont la cupidité le menace ! Ô grandeur! Ô vanité des choses humaines !"


extrait de Lettres sur l'Égypte, par Jules Barthélemy Saint-Hilaire, philosophe, journaliste et homme d'État français (1805-1895).

mercredi 10 octobre 2018

L'art de monter à chameau, de s'y tenir et d'en descendre, selon Jules Barthélemy Saint-Hilaire





photo sans date ni mention d'auteur

"J'avoue que, quand on regarde pour la première fois cette hauteur (du dromadaire) où l'on doit aller se placer, le sentiment qu'on éprouve est une sorte d'effroi, ou tout au moins d'appréhension. J'ai vu des dromadaires dont le dos, avec leur selle, n'avait guère moins de 10 pieds. Se jucher à cette distance de la terre, dans une posture insolite, sur un siège assez mal assuré, ce n'est pas fort tentant ; et il y a plus d'un de nos compagnons qui s'est gardé durant tout le voyage de la tentation, qui n'est pas en effet des plus séduisantes. Mais, une fois là-haut, on s'y trouve fort à l'aise et l'on y est fait en un instant. 
Il n'y a pas jusqu'à ce balancement obligé de tout le corps, qui doit suivre l'oscillation du chameau, qu'on ne contracte sans peine et avec une espèce de plaisir. Ce balancement ne cause pas du tout le mal de mer, comme on s'amuse à le répéter, et comme on est trop porté à le croire. (...) Ainsi, cette crainte n'est qu'un préjugé ; et il suffit de voir quelle est la position nécessaire du corps, lorsqu'on est à dromadaire, pour comprendre qu'il n'y a point lieu alors à ces affreuses nausées qu'on éprouve à bord. Mais la difficulté véritable, c'est de monter.
Quoiqu'on la surmonte avec quelque habitude, elle reste toujours assez grande, même avec les bêtes les meilleures et les plus dociles. Permettez-moi de vous décrire la manière dont on s'y prend.
Il faut d'abord faire accroupir l'animal. Pour cela, on tire son licou pour lui faire baisser la tête ; et, afin qu'il ne s'y trompe pas, on accompagne ce mouvement d'un certain bruit de gosier qu'il connaît très spécialement. Quand le dromadaire est couché, il est encore fort haut ; et il serait impossible de l'enfourcher, ou du moins il faudrait sauter en selle avec une prestesse que tout le monde ne possède pas. Il faut donc avoir un étrier qui s'attache au pommeau antérieur de la selle ; on y met le pied gauche, et l'on enjambe du pied droit.
C'est ici que commence le danger, si danger il y a. Dès que le chameau vous sent le pied à l'étrier, il cherche à se relever sur-le-champ ; et plus l'animal est distingué, plus ce mouvement est brusque et rapide. On ne laisserait pas que de se trouver en une situation périlleuse, si la bête se dressait tout à coup quand on a le pied gauche pris dans l'étrier et que les mains n'ont pas encore eu le temps de saisir les pommeaux. Pour prévenir tout embarras, on fait ordinairement tenir par quelqu'un le licou, tandis qu'on monte. Ce quelqu'un, fort utile, tient le licou baissé pour que l'animal ne redresse point la tête, et lui appuie même le pied sur la jambe pour qu'elle ne se déplie pas trop tôt. Quand on est seul, il faut ou sauter lestement en selle avant que le chameau ne se relève, ou lui appuyer soi-même la main gauche sur le col qu'on serre assez fortement.
Une fois en selle, on a une autre épreuve à subir. Le dromadaire va se mettre debout. Comme il relève d'abord ses jambes de derrière l'une après l'autre, et il est le seul parmi tous les animaux à se relever ainsi, il vous rejette par ce mouvement tout en avant de la selle où vous êtes renversé puis, relevant ensuite son train de devant, il vous rejette aussi violemment en arrière. Après ces deux oscillations de fort tangage, vous êtes assis tranquillement en selle ; et vous n'avez plus qu'à jouir de la douceur, de la solidité et de la force invincible de votre monture.
Il faut ajouter que, dans cette ascension, soit qu'on la risque seul, soit qu'un compagnon la protège, on n'est pas dénué de secours complètement. Les pommeaux de la selle, devant et derrière, sont très grands ; on les saisit avec la main, et l'on s'y cramponne assez fortement pour qu'ils vous aident puissamment, soit à monter, soit à vous retenir, toutes les fois que vous en éprouvez le besoin.
Une fois en selle, on peut y varier sa position autant qu'on le veut. Habituellement, on est assis à peu près comme les femmes à cheval. On a la jambe droite pliée à l'entour du pommeau de devant, qu'on a devant soi. Elle y appuie très solidement et le pied pose sur le cou de l'animal. La jambe gauche porte toujours sur l'étrier et le corps entier est un peu tourné à gauche. On peut, si l'on veut, prendre la situation inverse, mettre la jambe gauche autour du pommeau, le pied droit, dans l'étrier qu'on a changé de côté, et le haut du corps, tourné à droite en arrière. On peut encore se mettre les jambes pendantes des deux côtés, comme si l'on était à cheval ; ou, enfin, on peut les réunir en les croisant toutes deux devant soi autour du pommeau ; elles portent alors l'une et l'autre sur le col du chameau. 

Il est beaucoup plus facile de diriger la bête que d'y monter. On a d'ordinaire un petit bâton recourbé qui sert à ramasser le licou, sans se baisser, quand par hasard on l'a laissé tomber de sa main. Lorsqu'on veut mener l'animal à gauche, on le touche sur le col à droite avec le bâton. Si on veut le mener à droite, on le touche à gauche. Pour l'animer, on le frappe du talon qui repose dans l'étrier, et qui est à peu près sur son épaule. Le chameau, touché en cet endroit, se met sur-le-champ à trotter ; ou, du moins, il hâte le pas. Pour l'arrêter, c'est du licou qu'il faut se servir. On le tend assez fortement en arrière, et la bête s'arrête assez vite sans d'ailleurs s'arrêter court.
Mais ce n'est pas tout que de monter à chameau et de s'y tenir. Il faut de plus savoir en descendre, et il y a ici encore un procédé qu'il faut connaître. On a des oscillations et du tangage comme pour monter. Seulement, les mouvements sont contraires. 

On avertit d'abord le chameau en le touchant à l'épaule, et en recommençant ce bruit spécial de gosier, semblable à l'effort qu'on fait pour rejeter quelque chose qui gêne la gorge. Le dromadaire s'arrête ; et, après quelques grognements qui n'ont rien de mutin, et qui sont comme un acquit de conscience, il se décide à plier une jambe et à incliner un genou de devant. Vous insistez pour déterminer le mouvement. Il plie alors une jambe, puis deux ; et comme il se trouve alors beaucoup plus bas sur le devant, vous êtes jeté en ce sens sur la selle ; et vous pourriez croire, sans le pommeau, que vous allez tomber. Puis, il plie ses jambes de derrière, et vous êtes rejeté aussi lourdement en arrière que vous venez de l'être en avant. Il appuie son ventre à terre; et, après une ou deux petites oscillations qui l'assoient, vous pouvez descendre avec ou sans le secours de l'étrier.
Il est une autre méthode plus expéditive, où l'on ne fait point agenouiller le dromadaire. Mais je ne la conseille qu'aux gens qui sont sûrs de leur adresse et de leur force. On passe la jambe droite par-dessus le col de l'animal, pour la ramener près de la gauche, qui a quitté l'étrier. On est alors assis de côté, les deux jambes pendantes sur le flanc gauche du chameau. Dans cette posture, on prend de la main droite le pommeau de devant, et l'on se laisse glisser, en protégeant la descente avec le bras qui se détend peu à peu. Le corps se trouve bientôt suspendu; il ne touche pas tout à fait la terre ; on lâche la main accrochée au pommeau, et l'on saute de deux ou trois pieds sur le sol. Cette seconde méthode est plus rapide et plus simple, quand on est adroit ; mais elle n'est pas, je le répète, à l'usage de tout le monde." 


extrait de Lettres sur l'Égypte, par Jules Barthélemy Saint-Hilaire, philosophe, journaliste et homme d'État français (1805-1895)