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mardi 10 septembre 2019

Crépuscule d'Égypte, décrit et peint par Narcisse Berchère

L'abreuvoir au crépuscule, par Narcisse Berchère
"Ce soir j'ai fait la découverte, à l'extrémité des jardins, d'un charmant tableau, une toile fine et délicate que Marilhat eût signée.
Le soleil se couchait dans un ciel pur traversé par quelques nuages roses ; le fond de la plaine était éclairé encore par ses rayons obliques, et un troupeau de buffles regagnait le village, à travers la poussière qu'il faisait voler sous ses pas. Sur le premier plan déjà dans l'ombre une petite mare reflétait le ciel dans ses eaux brillantes ; à gauche apparaissaient quelques maisons basses, et sur les terrains au-dessus de l'eau s'élevaient de beaux groupes de dattiers dont les colonnes brunes tranchaient sur le fond doré du ciel, et dont les palmes bruissaient agitées par les disputes et les vols de petits hérons garde-bœufs qui étaient venus y chercher un abri. Le tout était composé d'une façon fort simple et noyé dans ces tons doux, chauds et lumineux particuliers au climat d'Égypte où l'atmosphère est incessamment rafraîchie par l'évaporation des eaux du Nil et de ses canaux.
L'heure était délicieuse, le crépuscule descendu sur la plaine laissait briller le croissant de la lune comme une faucille d'or, et, quittant la petite mare, M. G. et moi nous nous mîmes à marcher à travers les campagnes endormies. 

- Ce pays est beau, me dit mon compagnon, comme paraissant continuer une rêverie commencée, et étendant la main vers l'horizon qui se fondait dans une brume légère ; j'aime ses lignes tranquilles, son ciel transparent et profond, si pur que le nuage qui passe semble une caresse de plus ; son calme, sa sérénité m'offrent une image de l'éternel et de l'immuable ; j'y suis heureux, et je sens descendre en mon cœur comme quelque chose d'apaisé et de satisfait. Je ne connais rien de l'Égypte encore ; mais le hasard m'a bien servi en me donnant pour séjour la terre de Gessen. Tout ici m'intéresse depuis le sol jusqu'aux populations qui nous entourent ; vis-à-vis de ces hommes drapés à longs plis, de ces Arabes vivant sous la tente, je puis croire encore aux peuples pasteurs, et mon imagination n'a pas grand effort à faire pour me transporter aux temps bibliques et me laisser vivre un instant du passé.
- Oui, ce pays est beau, lui répondis-je, et si vous y restez longtemps, comme je le pense, et si vos loisirs vous permettent de parcourir l'Égypte entière, l'admiration que vous montrez pour l'Ouady deviendra plus grande et plus légitime, étant complétée par ce qu'il vous reste à connaître."



extrait de Le désert de Suez : cinq mois dans l'isthme, 1863, par Narcisse Berchère (1819 - 1891), peintre et graveur français. 

 

vendredi 5 octobre 2018

"Le Nil me paraît plus grand, peut-être, quand il coule dans la solitude" (Narcisse Berchère)

Marilhat, Vue du Nil de Basse Égypte, vers 1840
 "Pour l'Égypte, prenons le peintre qui l'a le mieux saisie dans ses détails et dans son sentiment intime : Marilhat. Que voyons-nous ? De frais et calmes paysages baignés par des eaux limpides, des temples dont les colonnes s'enlèvent sur un ciel du soir, des villes pittoresques, des rues noyées d'ombre et de lumière, parfois quelque pauvre caravane marchant péniblement à travers les sables ; mais la figure est devenue secondaire, et ce qui est sensible avant tout, c'est l'impression du pittoresque, du pur paysage. 
Le rôle de la figure a été de rendre le tableau plus complet, de lui donner juste l'animation qui lui est nécessaire, mais à la condition de rester subjective, pour employer une expression de l'école. Et pour moi, s'il faut ici parler d'une impression personnelle, je vous dirai que le Nil me paraît plus grand peut-être, quand il coule dans la solitude, entre ses rives couvertes de bois de palmiers et de sycomores ou au milieu des sables du désert, que quand il passe au pied des villes, avec ses barques flottantes et la joyeuse population de ses bords.
La haute Égypte, avec ses temples, ses palais qui témoignent si hautement de son passé, n'a nul besoin, pour être belle, de la présence d'un être vivant : il y est plutôt écrasé ; ses hommes à elle, ce sont ses colosses, ses sphinx, sa population de granit immobile et silencieuse, si bien en harmonie avec ses pylônes et ses hypogées.
J'ai pensé souvent à un beau tableau qu'il y aurait à faire. La nuit tombe, un feu de pâtre à moitié éteint se devine dans l'ombre, et de grands troupeaux de moutons sont gardés par des sphinx accroupis à la face placide, aux yeux sans regard, à la bouche toujours scellée qui n'a pas dit son secret. Et pour conclure je dirai : Admirons, aimons cette belle nature qui nous entoure, dans ce qu'elle a de pittoresque et d'intéressant."


extrait de Le désert de Suez : cinq mois dans l'isthme, 1863, par Narcisse Berchère (1819 - 1891), peintre et graveur français