L'abreuvoir au crépuscule, par Narcisse Berchère |
Le soleil se couchait dans un ciel pur traversé par quelques nuages roses ; le fond de la plaine était éclairé encore par ses rayons obliques, et un troupeau de buffles regagnait le village, à travers la poussière qu'il faisait voler sous ses pas. Sur le premier plan déjà dans l'ombre une petite mare reflétait le ciel dans ses eaux brillantes ; à gauche apparaissaient quelques maisons basses, et sur les terrains au-dessus de l'eau s'élevaient de beaux groupes de dattiers dont les colonnes brunes tranchaient sur le fond doré du ciel, et dont les palmes bruissaient agitées par les disputes et les vols de petits hérons garde-bœufs qui étaient venus y chercher un abri. Le tout était composé d'une façon fort simple et noyé dans ces tons doux, chauds et lumineux particuliers au climat d'Égypte où l'atmosphère est incessamment rafraîchie par l'évaporation des eaux du Nil et de ses canaux.
L'heure était délicieuse, le crépuscule descendu sur la plaine laissait briller le croissant de la lune comme une faucille d'or, et, quittant la petite mare, M. G. et moi nous nous mîmes à marcher à travers les campagnes endormies.
- Ce pays est beau, me dit mon compagnon, comme paraissant continuer une rêverie commencée, et étendant la main vers l'horizon qui se fondait dans une brume légère ; j'aime ses lignes tranquilles, son ciel transparent et profond, si pur que le nuage qui passe semble une caresse de plus ; son calme, sa sérénité m'offrent une image de l'éternel et de l'immuable ; j'y suis heureux, et je sens descendre en mon cœur comme quelque chose d'apaisé et de satisfait. Je ne connais rien de l'Égypte encore ; mais le hasard m'a bien servi en me donnant pour séjour la terre de Gessen. Tout ici m'intéresse depuis le sol jusqu'aux populations qui nous entourent ; vis-à-vis de ces hommes drapés à longs plis, de ces Arabes vivant sous la tente, je puis croire encore aux peuples pasteurs, et mon imagination n'a pas grand effort à faire pour me transporter aux temps bibliques et me laisser vivre un instant du passé.
- Oui, ce pays est beau, lui répondis-je, et si vous y restez longtemps, comme je le pense, et si vos loisirs vous permettent de parcourir l'Égypte entière, l'admiration que vous montrez pour l'Ouady deviendra plus grande et plus légitime, étant complétée par ce qu'il vous reste à connaître."
extrait de Le désert de Suez : cinq mois dans l'isthme, 1863, par Narcisse Berchère (1819 - 1891), peintre et graveur français.
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