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lundi 30 décembre 2019

"Sur le seuil même de l'Égypte" : Assouan, par Maxime Legrand

Assouan, par Carl Wuttke (1849 - 1927)
 "Enfin, paraît Assouan, la ville des cataractes.
Quand on jette les yeux autour de soi, c'est à croire qu'un enchantement vous a transporté dans un monde entièrement nouveau. L'on s'abandonne sans résistance aux sentiments les plus divers de surprise, d'admiration et de plaisir. Le Nil semble être à la fin de son cours ; la dahabiyeh qui vous a amené là paraît être dans un lac de belle forme. Les rochers qui s'empilent les uns sur les autres ont un reflet brun rouge, comme toutes les pierres de cette région. C'est là, en effet, le port de l'antique Syène, la patrie du syénite, au milieu de la barre de granit que la montagne arabique allonge vers l'Occident, entre des roches plus récentes, pour interrompre le cours du Nil, mais le vaillant fleuve a réussi à briser cette barrière, à la hauteur de la première cataracte. Comme il s'enlève bien, sur le fond rougeâtre de ces rochers, le vert des beaux palmiers, tout chargés déjà de leurs grappes de fleurs naissantes, qui entourent Assouan sur la gauche, sans cependant dérober aux regards le quartier haut de la ville !
Un superbe fragment de muraille, le dernier reste peut-être d'une baie détruite, s'étend vers l'île d'Éléphantine, dont la surface, découpée comme une feuille d'olivier sauvage, porte un vêtement de champs, de buissons et de palmes d'un vert charmant. Derrière l'île, à l'ouest, une des chaînes de collines qui forment la montagne libyque se dresse, couronnée d'un fort arabe en ruines, comme pour fermer le paysage. Les murailles noircies se détachent en contraste pittoresque sur le sable jaune du désert ; on se demande ce que serait cette vallée si richement parée de vert, sans le fleuve qui pénètre par ici en Égypte, après avoir franchi la première cataracte, l'un des ouvrages défensifs les plus solides qu'ait jamais élevés la nature. Assouan est vraiment bâtie sur le seuil même de l'Égypte, et son vieux nom égyptien, Soun, paraît des mieux choisis, car il signifie celui qui ouvre l'accès. De Soun, on dériva le grec Syène, et, par l'intermédiaire du copte Souan, l'arabe Assouan." 


extrait de La Vallée du Nil, époque contemporaine, 1892, par Maxime Legrand

mercredi 20 novembre 2019

Philae, "cette perle de la vallée" (Maxime Legrand)

photo de Félix Bonfils

"Mais qu'est-ce qui prête à l'île de Philae le charme pénétrant que personne ne lui refuse ? Sont-ce les édifices splendides qu'elle porte ? Est-ce la guirlande de fraîche verdure qui pare les berges, et qui inspirait à un grand artiste en jardins, le prince de Pückler-Muskau, le désir de la métamorphoser en parc ? Est-ce l'eau brillante, douce, toujours fraîche du fleuve qui la sépare du désert et la baigne tout à l'entour ? Est-ce la profusion de blocs graniteux et de roches déchiquetées qui l'enveloppe à demi vers le nord, comme une couronne d'épines, ou la fertilité du sol qui réjouit le regard quand on jette les yeux vers le sud ? Est-ce enfin le bleu profond du ciel dans ces parages absolument sans pluie, ce bleu dont aucun nuage noir ne trouble la pureté, ni en hiver ni en été ? On peut trouver aussi beau, peut-être même plus beau que tout cela dans d'autres localités de l'Égypte, mais on ne peut nommer, dans le reste du monde, un endroit où tous les charmes de la nature la plus pittoresque soient, comme ici, réunis tous à la fois et bien indissolublement à des tableaux d'un fini et d'une utilité parfaite, sanctifiés, pour ainsi dire par les souvenirs historiques qui flottent à l'entour. C'est avec un tact exquis que les prêtres des temps pharaoniques avaient consacré à une divinité féminine, à Isis, cette perle de la vallée.
L'île a la forme d'une sandale. La berge est consolidée contre les effets des hautes eaux par une muraille solide et presque partout bien conservée. Un bras étroit du Nil sépare Bigèh de la rive occidentale de Philae. C'est une île rocheuse ; les anciens Égyptiens l'appelaient Senem, et plusieurs inscriptions nous apprennent qu'on s'y rendait autrefois en pèlerinage. Sur un tableau, on voit la momie d'Osiris, transportée à travers le Nil par un crocodile. Ce tableau avait trait sans doute à quelque légende ancienne, dont la trace paraît se retrouver dans un conte des Mille et une Nuits. Il n'y a pas en Égypte et en Nubie un homme du commun qui sache ce que c'est que l'île de Philae ; tout le monde l'appelle Anas el-Ougoud, et Anas el-Ougoud était l'amant de la belle Zah el-Ouard, la Rose en fleur. L'histoire de ce couple, de sa séparation, de sa réunion finale, telle qu'elle est dans la bouche de Schéhérazade, est certainement née sur les bords du Nil ; les conteurs disent aujourd'hui, en commençant à la réciter : "Je m'en vais te construire un château au milieu du fleuve de Kenous", de la Nubie septentrionale. Le château en question est le temple d'Isis. On raconte, dans l'histoire d'Anas el-Ougoud, que le jeune héros monta sur le dos d'un crocodile pour arriver jusqu'à sa bien-aimée, qui était retenue prisonnière dans un château placé dans une île. Ce récit ne serait-il pas issu de la légende d'Isis et d'Osiris, qui s'aimèrent tendrement et furent séparés l'un de l'autre, et de la tradition du dieu qui gagna la retraite d'Isis avec l'aide d'un crocodile ?"


extrait de La Vallée du Nil, époque contemporaine, 1892, par Maxime Legrand (aucune information fiable sur cet auteur. S'agit-il de l'avocat et historien étampois homonyme (1854-1924) ? Même si les dates peuvent autoriser le rapprochement, le point d'interrogation s'impose.)

lundi 19 novembre 2018

À travers le Delta (Saïs, Dessouk, Fouah, Rosette...), par Maxime Legrand


"Un bourg du Delta" - illustration extraite de l'ouvrage de l'auteur

"Le monde ne renferme pas de terres plus fertiles que ces rives du Nil ; il en renferme peu qui mettent à plus rude épreuve l'industrie du cultivateur. Des appareils de diverses sortes sont employés pour l'arrosage des buissons de cotonniers, des champs de blé, de lin et d'indigo.
Mais que sont ces bourgs bâtis juste sur la rive et les habitations qu'ils contiennent ? Un torchis de limon du Nil, un toit en branches et en pousses de palmiers sur lesquelles on étend de la terre, voilà la cabane d'un fellah pauvre ; les paysans riches habitent des maisons de briques séchées au soleil ; les maires de village, assez fréquemment, des bâtisses somptueuses en briques cuites. Aucune fenêtre n'ouvre sur la rue ; au-dessus de beaucoup de portes, des ornements fort simples, losanges, oves, spirales. Des tas d'ordures, recouverts de mauvaises herbes, dans lesquels les chiens poltrons cherchent leur nourriture avec force glapissements, barrent la rue du village ; parfois on rencontre le cadavre en décomposition d'un âne tombé sur place. Un minaret domine huttes et maisons ; des sycomores, le plus bel ornement de la localité, étalent leurs couronnes ombreuses, des dattiers élancés se bercent au vent, des acacias couverts de longues grappes de fleurs exhalent un doux parfum, des tamaris toujours verts ou des caroubiers s'élèvent, chargés de leurs gousses. (...)

Qu'on laisse le bateau et qu'on s'enfonce dans l'intérieur des terres, on trouve, un peu plus loin vers le nord, un bourg, des collines de décombres, un petit lac ; sur le bord de l'eau, des cigognes et une bande de hérons argentés, qui laissent approcher jusqu'à la distance de quelques pas, avant de détourner leur cou gracieux et de s'élever sur leurs ailes, pour s'en aller planer dans la direction du Nil, comme un nuage blanc. Ce sont les ruines de Saïs, la brillante résidence des Pharaons, la ville savante où florissait une école non moins célèbre parmi les Grecs que parmi les Égyptiens. Le bourg, dont la mosquée s'élève auprès des ruines, a conservé le nom orgueilleux de Saïs, sous la forme Sa ou Sa-el-Hagar. Jamais la prospérité matérielle de l'Égypte, jamais le nombre de ses villes et de ses habitants n'a été porté aussi haut qu'il le fut sous le règne de cette dynastie saïte, amie des Grecs. Mais depuis ? Un sentiment d'épouvante glace le sang, quand on jette les yeux sur les plaines désertes et sur les misérables ruines grises qui nous entourent. Pendant les premiers siècles de l'ère chrétienne, Saïs est encore citée comme étant le siège d'un évêché. Plus tard, nulle mention n'est faite de son existence : quant à son passé, il vivra toujours dans la mémoire des hommes.
Plus loin encore vers le nord, après trois heures de navigation, on arrive dans le port d'une jolie ville, Dessouk. Son marché hebdomadaire et son marché aux chameaux sont renommés. Devant la mosquée du cheik Ibrahim, paysans et Bédouins, en groupes pittoresques, font affaire, bavardent, jouent les uns avec les autres. La coupole majestueuse de la mosquée vient d'être fraîchement peinte, car bientôt, huit jours après la foire de Tantah, le jour de fête du saint de Dessouk, dont la renommée ne le cède, en Égypte, qu'à celle du saint Seyid-el-Bedaoui de Tantah, sera célébré par la prière et le marché annuel, par des récitations du Koran, enfin par des danses religieuses et des réjouissances publiques. Rien de plus oriental que ce spectacle. Parmi les femmes qui apportent au marché des légumes et de la volaille, ou vont en groupes animés s'approvisionner d'eau pour les besoins de la maison, se glisse plus d'une apparition pittoresque. Peut-être est-ce à Dessouk que s'élevait l'ancienne Naukratis.
Si l'on continue vers le nord, on rencontre sur la droite la petite ville proprette de Fouah, sur la gauche Foum-el-Mahmoudieh, où des machines à vapeur refoulent l'eau du fleuve dans le canal qui réunit Alexandrie au Nil. On passe ensuite devant la colline d'Abou-Mandour, couronnée de palmes, et le port de Rosette apparaît, encombré de bateaux arabes. Beaucoup de maisons de belle apparence, ornées de balcons, élevées à plusieurs étages, et presque européennes d'extérieur, donnent l'impression d'une ville trop spacieuse pour ses 17.000 habitants. Les jardins de Rosette sont charmants et bien entretenus ; la ville s'appelait en copte Ti Rashit, qu'on peut traduire par la Ville de la Joie. En sortant par la porte du nord, on rencontre quelques ouvrages de défense, entre autres le fort Saint-Julien. C'est en ce lieu qu'en 1799 fut trouvée la célèbre pierre de Rosette."  


extrait de La Vallée du Nil, époque contemporaine, 1892, par Maxime Legrand

samedi 10 novembre 2018

"Les fellahs emploient aujourd'hui encore (le même outillage rustique) que leurs prédécesseurs d'époque pharaonique" (Maxime Legrand)

illustration extraite de l'ouvrage de Maxime Legrand
"Après Kenèh, Siout est la plus jolie de toutes les villes du Nil.
On admire, sur toutes ces rives, la fraîche végétation qui couvre tout, la richesse des moissons, l'activité des fellahs qui manœuvrent les seaux du chadouf, l'habileté avec laquelle sont disposés les travaux hydrauliques sur les biens des grands propriétaires fonciers, l'aspect pittoresque des bourgs, qu'on prendrait volontiers, de loin, grâce à leurs colombiers élevés, pour des temples ornés de pylônes.
Au commencement de décembre, on récolte le dourah, la principale des céréales de l'Égypte ; des essaims de pigeons volent autour de leurs demeures qui dominent les buttes des fellahs, passent comme des nuages à travers l'atmosphère ensoleillée, et s'abattent dans les champs pour prendre leur part du grain répandu sur le sol. Le fellah les entretient en grand nombre à cause de l'engrais qu'ils fournissent ; mais on a calculé qu'ils gâtent encore plus qu'ils ne rapportent, même dans les conditions les plus favorables. Le campagnard ne les repousse cependant pas, car personne ne se débarrasse plus difficilement que lui des vieilles coutumes.
Croirait-on qu'en dépit de tous les perfectionnements de l'outillage rustique, les fellahs emploient aujourd'hui encore la même charrue, la même houe, la même faux que leurs prédécesseurs d'époque pharaonique; qu'ils n'enlèvent pas la récolte en charrette, mais toujours et exclusivement à dos d'ânes, de chameaux ou d'hommes, et que, pour battre le blé, ils usent encore de l'antique machine qu'on appelle le noreg, dont la garniture de fer, à moitié ronde, sépare le grain de la tige, mais en cassant la paille?
Les champs de froment, d'orge, de trèfle, présentent l'aspect le plus agréable : c'est le moment où la tige sort de terre, et sa nuance tendre de vert émeraude fait un contraste heureux avec la teinte sombre des champs de canne à sucre et la couleur noire du sol. On cultive en plein champ, en dehors du dourah, le pavot, l'oignon, le haricot, la lentille ; dans les jardins, la tomate, l'aubergine, le poivre rouge,l'anis, le coriandre, le bammiah, le basilic, le concombre.
Ajoutons le lin, le chanvre, le maïs, le lupin, le safran, l'indigo, le tabac. Les environs de Siout sont remplis d'arbres à fruits et de nombreuses avenues qui en sont le principal ornement : dattiers, palmiers-doum, orangers et citronniers, parés de fleurs odorantes et de fruits éclatants ; et dans les jardins, des figuiers, des mûriers, des aubépines, des grenadiers. À côté de l'acacia, naturalisé en Égypte dès les temps les plus anciens, on rencontre l'acacia farnesiana, originaire d'Amérique, avec ses fleurs dorées qui exhalent un parfum de violette. Le lebakh donne une ombre épaisse ; celle du sycomore à large ramure est beaucoup plus douteuse. Rohlfs le range au nombre des arbres laids, à cause de l'écartement de ses branches ; et l'on ne saurait se dissimuler qu'auprès les palmiers élancés il n'a pas l'apparence élégante.
Les champs fourmillent d'hommes, qui se livrent en chantant à leurs nombreux travaux. L'œil et l'oreille sont également sollicités par l'animation et la diversité du spectacle."



extrait de La Vallée du Nil, époque contemporaine, 1892, par Maxime Legrand.

Aucune information fiable sur cet auteur. S'agit-il de l'avocat et historien étampois homonyme (1854-1924) ? Même si les dates peuvent autoriser le rapprochement, le point d'interrogation s'impose...