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samedi 29 janvier 2022

Le musée de Boulaq, "un des plus beaux titres de gloire" de Mariette, par le vicomte Jacques de Rougé

Statue du pharaon Khephren, exposée au Musée égyptien du Caire - photo Marie Grillot

"Allons jusqu'à Boulaq, faubourg et port de la capitale actuelle de l'Égypte. Là s'élève le musée créé par Mariette et qui restera un de ses plus beaux titres de gloire.
La description de toutes les richesses contenues dans le musée de Boulaq nous entraînerait trop loin ; je me bornerai donc à arrêter votre attention sur deux séries de monuments qui doivent vous intéresser plus particulièrement, c'est-à-dire les monuments de l'Ancien-Empire et la collection des bijoux.
Avant les fouilles de Mariette, on ne possédait que peu de monuments datant les premières époques de l'histoire égyptienne : à peine quelques échantillons en étaient-ils répandus dans les musées d'Europe et particulièrement au musée du Louvre. Cependant, mon père, avec cette justesse de vue qui a toujours caractérisé ses travaux, avait déjà fait remarquer combien l'art de cette époque, contemporaine des Pyramides, portait un cachet de force et de vérité, qui ne devait plus se retrouver aux époques postérieures. Les trouvailles de Mariette sont venues confirmer et compléter cette appréciation. Quelques-uns de ces monuments ont été apportés à Paris, lors de l'exposition universelle de 1867 : ceux d'entre vous qui ont visité alors le petit temple égyptien doivent se rappeler la statue en diorite du roi Chéfren, le fondateur de la seconde pyramide de Gizeh, et particulièrement cette merveilleuse statue en bois représentant un personnage debout, un bâton à la main. La physionomie de cette dernière statue était si particulièrement vivante que les fellahs crurent y reconnaître le portrait du maire de leur village, et lui donnèrent immédiatement le nom de Scheik el-Beled, qui lui est resté depuis. 
La collection des monuments de cette époque est considérable au musée de Boulaq, et témoigne de l'élévation de l'art sous le premier empire égyptien. Les sculpteurs ne sont arrêtés ni par la dureté de la matière, la statue de Chéfren en fait foi, ni par la finesse des détails, témoin les bas-reliefs des tombeaux ; dans les statues, les têtes sont de véritables portraits, et leur attitude n'a pas toujours cette raideur conventionnelle que nous trouverons par la suite. 
À la vue de cette perfection de l'art égyptien primitif, une pensée se présente d'elle-même à l'esprit: la civilisation de l'Égypte semble à son origine, puisque ces monuments sont l'oeuvre des dynasties que les Égyptiens eux-mêmes nous désignent comme les premières de leur histoire. Comment peut-il se faire alors que ce peuple apparaisse tout à coup avec un art merveilleux, produisant des chefs-d'oeuvre qui ne seront pas renouvelés, et une science architecturale assez parfaite pour diriger la construction des pyramides ? Ce problème n'est pas résolu et
mérite toute l'attention des savants et des historiens.
La collection de bijoux du musée de Boulaq est également unique au monde. Une seule trouvaille a suffi du reste pour lui faire un fond inestimable. Dans les fouilles entreprises sur la rive gauche du Nil à Thèbes, les ouvriers de M. Mariette trouvèrent le cercueil d'une reine de la la XVIIIe dynastie, nommée Aah-Hotep. Ce cercueil contenait, outre la momie intacte de la reine, une collection vraiment merveilleuse de bijoux : colliers, bracelets, diadème, pectoraux, etc. À côté de la momie se trouvait une hache de commandement, dont le manche était en bois de cèdre recouvert d'une épaisse feuille d'or : des hiéroglyphes y sont découpés à jour et donnent le nom du roi Ahmès, probablement le fils de reine Aah-Hotep. Le tranchant de la hache est de bronze, orné d'une feuille d'or, sur laquelle sont gravées des scènes représentant le roi Ahmès foulant à ses pieds les ennemis de l'Égypte.
Parmi les pièces les plus curieuses se trouvait une petite barque, garnie de son équipage, et montée sur un chariot à quatre roues. La barque est d'or massif ; les rameurs, au nombre de douze, sont d'argent également massif. À l'avant un personnage est debout sous une cabine ; à l'arrière le timonier tient la grande rame qui servait de gouvernail : ces deux personnages, ainsi que le commandant qui est au centre, sont en or.
Si l'on réfléchit que ce petit monument date de 1600 ou de 1700 ans avant notre ère, on peut le considérer comme la pièce d'orfèvrerie la plus ancienne connue jusqu'à ce jour."


extrait de Voyage aux bords du Nil, 1881, par M. le vicomte Jacques de Rougé (1841-1923
), égyptologue, issu de la branche cadette, dite du Plessis-Bellière, de la maison de Rougé. Il est le fils du vicomte Olivier Charles Camille Emmanuel de Rougé (1811-1872), également égyptologue, dont il publia les travaux.