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jeudi 24 septembre 2020

"Si j’ai bien compris, dans ce musée, presque tout se rapporte à l’idée de mort" (Maurice Barrès, à propos du musée égyptien du Caire)

Cheikh el-Beled (carte postale ancienne)

"Nous connaissons maintenant l’Égypte des Pyramides, nous l’avons vue, nous l’avons respirée dans ses tombeaux. Essayons maintenant d’aller la comprendre au musée.
Mon éminent confrère Maspero était absent. J’ai pu causer avec l’un de ses élèves, M. Lacau, qui m’a mis très agréablement au courant de sa science.
Jeudi, au musée du Caire.
Si j’ai bien compris, dans ce musée, presque tout se rapporte à l’idée de mort. Presque tout a été trouvé dans les tombeaux, cela nous dispose à voir l’Égypte comme le pays où la vie fut subordonnée à l'idée de la mort. Il est certain que la vie d’outre-tombe y jouait un grand rôle, mais il faut tenir compte que, dans ce climat, les objets se conservent très bien et que les tombeaux ayant été placés (vu la cherté du terrain cultivable) sur les confins du désert, on y a beaucoup moins bouleversé les tombes qu’on ne fait dans nos cimetières.
Dans les tombeaux, on trouve la représentation de tous les objets utiles à la vie (et parfois les objets eux-mêmes). Le mort s’assurait ainsi la prospérité dans l’autre vie. L’autre vie n’était pas une chose vague : il y voulait ce qui fait la vie facile et heureuse, lui, sa femme, ses serviteurs, des nourritures, etc. (c’est ainsi qu’il n’y a pas de peuple dont les mœurs nous soient mieux connues). Ces objets sont tantôt représentés en peinture, en gravure de bas-reliefs, en petits objets, en objets authentiques. 
Le puissant, le riche prend mille soins de s’assurer ces possessions. Qu’elles lui soient enlevées, il retombe au sort du commun qui n’a pas de sécurité.
En général, cette représentation du mort et de ses serviteurs est stylisée (ou industrielle). Parfois c’est un portrait. Ainsi le fameux Cheikh-el-Beled. S’il a voulu son portrait, était-ce un homme particulièrement pieux ? En tout cas, c’est un homme sans naissance.
Après cela nous avons les statues des rois et celles des dieux. Le roi se fait volontiers représenter en Sphinx qui est un lion à tête humaine, force et intelligence.
Les dieux. Chaque canton a son Dieu, chaque canton divinise un animal, en honore et sert un représentant qu’on momifie à sa mort et tous les animaux de la sorte sont honorés dans le canton. D’où vient cette coutume ? Des nègres qui précédèrent ? Les Romains s’étonnèrent beaucoup de cette coutume et voulurent à tort y voir la récompense des services rendus par la bête.
On voudrait trouver le sens moral de cette religion. Quels sentiments sont figurés par ces dieux ? À quels états d’âme cela répond-il ? Que veulent dire ces forces puissantes ? On l’ignore. On voit qu’ils goûtaient l’immobilité. Si l’on avait perdu l’Ancien et le Nouveau Testament, que comprendrait-on des cathédrales ?
On n’a aucun texte. Un combat, mais c’est un fragment d’Iliade sans les sentences morales. Le Livre des morts, c’est un recueil de formules magiques. On sait la vie d’Osiris par le pseudo-Plutarque ; elle permet de comprendre les allusions éparses qui, autrement, eussent été impossibles à saisir."


extrait de "Voyage en Égypte", par Maurice Barrès (1862-1923), écrivain et homme politique français, membre de l'Académie française.
Texte publié dans la Revue des deux mondes : recueil de la politique, de l'administration et des moeurs, 1933.

"Maître à penser de toute une génération, Maurice Barrès le fut tout autant par son œuvre littéraire que par son style de vie. Dans les années 1880, il fréquenta à Paris le cénacle de Leconte de Lisle et les milieux symbolistes. Parallèlement à sa carrière d’écrivain qui lui assura un succès précoce - il n’a que vingt-six ans quand paraît le premier tome de sa trilogie Le culte du moi - il se lança dans la politique. Boulangiste par anticonformisme et par rébellion contre l’ordre établi, il fut élu député de Nancy en 1889. L’Affaire Dreyfus qu’il vécut comme une menace de désintégration de la communauté nationale l’incita d’emblée à se placer dans le camp des antidreyfusards dont il devint l’un des chefs de file. Dès lors, sa pensée s’orienta vers un nationalisme traditionaliste, plus lyrique et moins théorique que celui de Maurras, mais fondé sur le culte de la terre et des morts (extrait du site internet de l'Académie française)

"L'incendie sur le Nil", par Maurice Barrès

photo MC

"On est pressé d’avoir tout vu, les tombeaux des Rois et des Reines, les deux colosses, les trente-six temples pour y rêver et les ranimer. Ce grand paysage vide a des formes si simples qu’on croit aisément sentir l’âme, le dieu, l’esprit qui les épousait. En se prêtant au fleuve, au ciel, à la montagne, on est envahi par le rêve d’immobilité des colosses et l’on s’entend en esprit dans la paix des chambres souterraines.
Un grand repos paisible sur le bord d’un grand fleuve plat. On suit les heures de la lumière sur la montagne rose et chaque journée finit par un prodigieux coucher de soleil.
C’est l’heure jaune de la concurrence. Le muezzin psalmodie sur le balcon du minaret, la cloche catholique avec trop d’insolence l’interrompt et le recouvre. Les Arabes sont accroupis le long des murs et parlent bas. L’or se répand sur le fleuve et noie dans le ciel la tête haute des palmiers.
Au début, c’est de l’or irradié qui transfigure tout le ciel et l’élargit. Comment suggérer avec des notes ? Le ciel est divin. Le bleu profond du zénith se dégrade en rose jusqu’à l’or de l’horizon, sans un heurt, ni un nuage, tout d’une teinte. Puis le rose se substitue, cependant que sur le fleuve miroitant, les bateaux, leurs vergues, les canéphores qui gravissent les berges et les mariniers deviennent de noires silhouettes. Quelle paix sur les temples ! L’horizon prend flamme.
Ce qu’il y a d’admirable, c’est combien ce paysage marche, évolue d’un seul mouvement. Je comprends cette dervicherie préoccupée, obsédée par l’unité de Dieu. Quand le soleil éblouissant s’incline, va se précipiter, c’est tout le paysage qui se recueille, s’enveloppe dans une sorte de brume violette.
Longue nappe de fleuve, mince rideau des arbres au pied de la montagne, haute et puissante montagne, immense ciel, tout se recueille, s’efface un instant, puis le dieu glisse, tombe.
Les muezzins. Après un long quart d’heure, voici que tout est prêt pour l’apothéose."



extrait de "Voyage en Égypte", par Maurice Barrès (1862-1923), écrivain et homme politique français, membre de l'Académie française.
Texte publié dans la Revue des deux mondes : recueil de la politique, de l'administration et des moeurs, 1933-03.

"Maître à penser de toute une génération, Maurice Barrès le fut tout autant par son œuvre littéraire que par son style de vie. Dans les années 1880, il fréquenta à Paris le cénacle de Leconte de Lisle et les milieux symbolistes. Parallèlement à sa carrière d’écrivain qui lui assura un succès précoce - il n’a que vingt-six ans quand paraît le premier tome de sa trilogie Le culte du moi - il se lança dans la politique. Boulangiste par anticonformisme et par rébellion contre l’ordre établi, il fut élu député de Nancy en 1889. L’Affaire Dreyfus qu’il vécut comme une menace de désintégration de la communauté nationale l’incita d’emblée à se placer dans le camp des antidreyfusards dont il devint l’un des chefs de file. Dès lors, sa pensée s’orienta vers un nationalisme traditionaliste, plus lyrique et moins théorique que celui de Maurras, mais fondé sur le culte de la terre et des morts (extrait du site internet de l'Académie française)