jeudi 24 septembre 2020

"L'incendie sur le Nil", par Maurice Barrès

photo MC

"On est pressé d’avoir tout vu, les tombeaux des Rois et des Reines, les deux colosses, les trente-six temples pour y rêver et les ranimer. Ce grand paysage vide a des formes si simples qu’on croit aisément sentir l’âme, le dieu, l’esprit qui les épousait. En se prêtant au fleuve, au ciel, à la montagne, on est envahi par le rêve d’immobilité des colosses et l’on s’entend en esprit dans la paix des chambres souterraines.
Un grand repos paisible sur le bord d’un grand fleuve plat. On suit les heures de la lumière sur la montagne rose et chaque journée finit par un prodigieux coucher de soleil.
C’est l’heure jaune de la concurrence. Le muezzin psalmodie sur le balcon du minaret, la cloche catholique avec trop d’insolence l’interrompt et le recouvre. Les Arabes sont accroupis le long des murs et parlent bas. L’or se répand sur le fleuve et noie dans le ciel la tête haute des palmiers.
Au début, c’est de l’or irradié qui transfigure tout le ciel et l’élargit. Comment suggérer avec des notes ? Le ciel est divin. Le bleu profond du zénith se dégrade en rose jusqu’à l’or de l’horizon, sans un heurt, ni un nuage, tout d’une teinte. Puis le rose se substitue, cependant que sur le fleuve miroitant, les bateaux, leurs vergues, les canéphores qui gravissent les berges et les mariniers deviennent de noires silhouettes. Quelle paix sur les temples ! L’horizon prend flamme.
Ce qu’il y a d’admirable, c’est combien ce paysage marche, évolue d’un seul mouvement. Je comprends cette dervicherie préoccupée, obsédée par l’unité de Dieu. Quand le soleil éblouissant s’incline, va se précipiter, c’est tout le paysage qui se recueille, s’enveloppe dans une sorte de brume violette.
Longue nappe de fleuve, mince rideau des arbres au pied de la montagne, haute et puissante montagne, immense ciel, tout se recueille, s’efface un instant, puis le dieu glisse, tombe.
Les muezzins. Après un long quart d’heure, voici que tout est prêt pour l’apothéose."



extrait de "Voyage en Égypte", par Maurice Barrès (1862-1923), écrivain et homme politique français, membre de l'Académie française.
Texte publié dans la Revue des deux mondes : recueil de la politique, de l'administration et des moeurs, 1933-03.

"Maître à penser de toute une génération, Maurice Barrès le fut tout autant par son œuvre littéraire que par son style de vie. Dans les années 1880, il fréquenta à Paris le cénacle de Leconte de Lisle et les milieux symbolistes. Parallèlement à sa carrière d’écrivain qui lui assura un succès précoce - il n’a que vingt-six ans quand paraît le premier tome de sa trilogie Le culte du moi - il se lança dans la politique. Boulangiste par anticonformisme et par rébellion contre l’ordre établi, il fut élu député de Nancy en 1889. L’Affaire Dreyfus qu’il vécut comme une menace de désintégration de la communauté nationale l’incita d’emblée à se placer dans le camp des antidreyfusards dont il devint l’un des chefs de file. Dès lors, sa pensée s’orienta vers un nationalisme traditionaliste, plus lyrique et moins théorique que celui de Maurras, mais fondé sur le culte de la terre et des morts (extrait du site internet de l'Académie française)


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