vendredi 4 septembre 2020

Le plus beau de tous les arbres d'Égypte, c'est le palmier-roi (Jeanne Arcache)


photo de Félix Bonfils (1831-1885)

"Masses d’ombre verte et mouvante, fûts élancés en plein soleil, les arbres d'Égypte, isolés dans les jardins enclos et que le lointain unit, sont tous si beaux...
L’eucalyptus, c’est un cri montant vers la lumière, un frémissement de feuilles en révolte, un frisson sans cesse revécu ; il ploie et gémit sous le vent qui l’étreint, gémissement doux comme sous une caresse, puis se redresse et garde longtemps dans ses plus hautes branches un peu du crépuscule doré.
Le flamboyant, lui, n’ouvre son ombrelle rouge qu'aux plus longs jours de l'été, lorsque juin fait reculer la nuit. Alors, contre le soleil qui ne veut pas mourir, il la déploie immense, il donne ses fleurs avant de verdir. Le vent ne peut tordre ses branches musclées, mais lentement le dépouille, et à ses pieds c’est un grand tapis écarlate et tout autour, jusque dans la maison proche, une lumière pourpre s’étale.
L’araucaria, pyramide étagée, oscille sur sa base quand souffle la tempête, oscille et tangue. Il dresse dans le ciel une croix, une croix qui semble douter parce que toujours branlante, une croix qui dirait : "Peut-être."
Et les gestes éplorés des grands cocotiers, feuilles immenses et frisées, rattachées à un centre inflexible, et le carillon muet des mille clochettes mauves du jacaranda qui voudraient sonner le printemps...
Je connais un peuplier lisse et clair et si pur comme une taille de jeune fille, des platanes qui perdent toujours leur écorce comme une écaille et montrent trop blanche leur peau neuve ; et des caoutchoucs géants que j'aimais à inciser d’un canif pour les voir pleurer leurs lourdes larmes laiteuses, et puis le lendemain m’attendait au réveil la joie de décoller le brun élastique. Arbre enchanté dont les pleurs me donnaient le jouet d’un jour.... Il parsemait la terre de petites gaines rouges un peu crêpées et de fruits qu’il faisait bon d’écraser en marchant...
Et les abricotiers, au tronc ridé et brun, tout emperlé de gomme luisante comme du miel...
Mais le plus beau de tous, c'est le palmier-roi qui, lui, ne ploie jamais sous le vent, mais, fier, se balance, le beau palmier, que seul l’Arabe sait étreindre en un véritable corps à corps. Tige hautaine, rebelle, dont l’ascension est lente. D’un coup de rein sûr et de ses deux pieds souples comme des mains, l’Arabe monte, monte sur le stipe. La même ceinture de corde brune les encercle tous deux. Il parvient enfin à l’épanouissement vert de ces feuilles arquées qui semblent voûter le ciel. C’est là que dans un fourreau de fibres vernies jaune-clair vit la fleur poudrée à blanc, lourde de pollen...
Il la descend précieusement, comme la flamme qu’il ne faut pas laisser s’éteindre en route, puis la reporte vers les autres dattiers qui l’attendent, et qui, sans lui, n'auraient pas de fruits, sans lui, le beau palmier-roi."


extrait de L'Égypte dans mon miroir, par Jeanne Arcache (1902-1961). Née à Alexandrie d'un père libanais et d'une mère française. Elle collabora à l'hebdomadaire Images et au mensuel La Revue du Caire avant de publier trois ouvrages, dont L'émir à la croix, biographie romancée de l'émir Fakhreddine II, ouvrage pour lequel lui fut décernée par l'Académie française, en 1939, une Médaille de la Langue française. Elle fut l'épouse de l'égyptologue Charles Kuentz, directeur de l'Institut français d'archéologie orientale de 1940 à 1953.

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