Toute une cour funèbre accompagne dans l’autre monde les morts royaux ou, plutôt, y revit avec eux suivant le rite. On éprouve une émotion et, avec beaucoup de curiosité, une certaine appréhension à pénétrer dans ce domaine de la mort qui possède son code et d’où sont exclus les hommes injustes. C’est même, à vrai dire, une profanation. Le temple funéraire qui, sous l’Ancien Empire, s’associait à la pyramide, s’en est séparé. La pyramide, c'est la montagne libyque, jaune et rose. Les temples se dressent dans la plaine pour le culte des rois divinisés ; nous les trouverons à Deir-el-Bahari, au Ramesseum, à Medinet-Habou. Nous les visiterons sans scrupule. Mais l’hypogée, le puits, le caveau, n’y a-t-il pas quelque scandale à les violer ? Ne dit-on pas que Tout-Ankh-Amon s’est vengé ?
Nous prenons la voie que suivaient jadis les cortèges funéraires ; elle passe devant le Ramesseum. Pas une plante, pas une herbe. Seules de grandes ombres parcourent ce paysage inerte, cette terre que des millions de silex taillés colorent d’une teinte brune.
Lieu funèbre à souhait ; les vents du désert ont créé une dépression fermée que déchirent des lits de torrents desséchés ; on n’y accède que par d'étroits sentiers, en dehors du chemin pour les funérailles ; il a fallu que la main des hommes ouvrît un passage pour atteindre ce bassin que l’on dirait séparé du reste du monde. Et, cependant, malgré toutes les précautions prises, les orages, les violences de la nature, la cupidité hardie des pillards ont forcé les secrètes demeures que Champollion, l’un des premiers, sut explorer avec un zèle intelligent et que Maspero mit à l'abri des déprédations.
Étranges tombeaux consacrés à des représentations magiques, emplis de tout ce qui est nécessaire au luxe de la vie matérielle, mais aussi de tout ce qui convient pour la célébration des offices ou la récitation des livres rituels. Silencieux domaine souterrain d’où le défunt, ranimé pour la vie éternelle, s’élance vers les royaumes de la nuit. Victor Loret, pour la première fois, y retrouve un Pharaon dans son tombeau. Une à une, la science ouvre les Biban-el-Molouk, les Portes des Rois.
Coupons la vallée dite des Singes, où MM. Lortet et Gaillard, deux Lyonnais, ont fait leurs recherches. Des ravins se creusent dans le calcaire crétacé ; des croupes, étrangement crénelées, les dominent avec des tours fantastiques et des couloirs enchevêtrés. Les parois servent d’abri aux milans et aux corbeaux. Des torrents, jadis, ont usé la roche, aujourd’hui complètement desséchée ; des centaines de petits ateliers où travaillèrent des tailleurs de silex sont l’unique indice qui évoque la vie. Les fellahs, chercheurs de pierre à chaux, ont eux-mêmes déserté les corniches scabreuses patinées par le soleil et par des couches de manganèse violet. Seule beauté de cet enfer, les cailloux polis par le sable et le vent, glacés par l'usure des âges, scintillent et se diamantent au choc violent de la lumière.
Notre première indiscrétion sera pour ce tombeau de Tout-Ankh-Amon, que découvrit Carter, dans des conditions si romanesques. Il ne reste plus sur place que la momie du roi sous la garde des babouins sacrés et sous la protection des quatre divinités qui le couvrent de leurs ailes étendues. Le jeune Tout-Ankh-Amon arrive au ciel, où la déesse Nout l’accueille en lui offrant l’eau, signe de bienvenue.
(...) La visite des tombeaux confirme bien la définition de Loret, pour qui l'Égyptien, aussitôt né, se prépare à mourir ; dans toute cette tradition, en dépit de quelques textes sceptiques, la vie n’est qu’une préparation, un passage. Après la mort, il faut à l'âme un support, une statue ou, du moins, un nom. Complexe formé de plusieurs croyances parfois contradictoires, la religion égyptienne va se présenter à nous, dans la vallée des Rois, avec l’infinie richesse d’imagination dans le surnaturel d'un peuple où abondent les dessinateurs."
extrait de Sanctuaires, par Édouard Herriot (1872 - 1957), homme d'État français, maire de la ville de Lyon de 1905 à 1940, puis de 1945 à sa mort, en 1957 ; élu à l'Académie française en 1946.
Coupons la vallée dite des Singes, où MM. Lortet et Gaillard, deux Lyonnais, ont fait leurs recherches. Des ravins se creusent dans le calcaire crétacé ; des croupes, étrangement crénelées, les dominent avec des tours fantastiques et des couloirs enchevêtrés. Les parois servent d’abri aux milans et aux corbeaux. Des torrents, jadis, ont usé la roche, aujourd’hui complètement desséchée ; des centaines de petits ateliers où travaillèrent des tailleurs de silex sont l’unique indice qui évoque la vie. Les fellahs, chercheurs de pierre à chaux, ont eux-mêmes déserté les corniches scabreuses patinées par le soleil et par des couches de manganèse violet. Seule beauté de cet enfer, les cailloux polis par le sable et le vent, glacés par l'usure des âges, scintillent et se diamantent au choc violent de la lumière.
Notre première indiscrétion sera pour ce tombeau de Tout-Ankh-Amon, que découvrit Carter, dans des conditions si romanesques. Il ne reste plus sur place que la momie du roi sous la garde des babouins sacrés et sous la protection des quatre divinités qui le couvrent de leurs ailes étendues. Le jeune Tout-Ankh-Amon arrive au ciel, où la déesse Nout l’accueille en lui offrant l’eau, signe de bienvenue.
(...) La visite des tombeaux confirme bien la définition de Loret, pour qui l'Égyptien, aussitôt né, se prépare à mourir ; dans toute cette tradition, en dépit de quelques textes sceptiques, la vie n’est qu’une préparation, un passage. Après la mort, il faut à l'âme un support, une statue ou, du moins, un nom. Complexe formé de plusieurs croyances parfois contradictoires, la religion égyptienne va se présenter à nous, dans la vallée des Rois, avec l’infinie richesse d’imagination dans le surnaturel d'un peuple où abondent les dessinateurs."
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