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vendredi 9 avril 2021

"Tout le triangle d'Égypte, qu'on appelle le Delta, n'est qu'une vaste plaine, grasse et fertile au delà de l'imagination" (chevalier d'Arvieux - XVIIe s.)

Carte ancienne et comparée de la Basse-Egypte, rédigée par le colonel Pierre Jacotin (1765-1827) et par Edme-François Jomard (1777-1862)

"Notre bateau allait à la voile, tant que le vent nous était favorable, et quand il cessait de l'être, à cause des sinuosités du fleuve, nos matelots le tiraient la cordelle, marchant sur le bord du rivage, nus de la ceinture en bas, sans aucune honte de montrer ce que la pudeur oblige de cacher ; quoiqu'ils rencontrassent souvent des passants, et même des femmes qui lavaient leurs linges dans le fleuve, et malgré tout ce que je pouvais leur faire entendre du scandale que cela donnait à M. Bercandié.
Nous naviguâmes ainsi fort à notre aise pendant quatre jours. Nous avions le plaisir de voir un très beau pays uni, bien cultivé, et si rempli de villages, qu'il semble qu'ils se touchent et ne fassent qu'une ville de plusieurs lieues de longueur, des deux côtés de la rivière. Tout ce pays fourmille de monde : les villages paraissent bien bâtis, avec des mosquées bien blanches, et de hautes tours qu'on appelle minarets, sur lesquelles les officiers de la mosquée montent pour appeler le peuple à la prière.
J'avais grande envie de savoir les noms de ces villages, et je ne manquais pas de les demander au patron et à ses matelots ; mais quoique je m'expliquasse assez bien en turc, nous ne nous entendions presque pas parce qu'ils ne parlaient qu'un arabe corrompu, auquel je n'entendais rien. Je l'ai entendu depuis, quand j'ai possédé la langue arabe dans sa perfection.
Tout le triangle d'Égypte, qu'on appelle le Delta, n'est qu'une vaste plaine, grasse et fertile au delà de l'imagination ; coupée de plusieurs canaux, par le moyen desquels, et des roues à godets qui élèvent l'eau, on l'arrose tant que l'on veut. Ce pays, comme je viens de le dire, est extrêmement peuplé, et produit presque sans culture toutes fortes de fruits, de graines et de légumes. Il est vrai qu'il manque absolument de bois, car il ne faut pas compter sur les arbres fruitiers ; ce serait une ressource mal entendue, et peu avantageuse. Les maisons de tous les villages ne sont que de terre ; il est vrai que c'est une terre grasse et de bonne tenue : elles sont couvertes de paille de riz assez proprement mais elles n'ont que l'étage du rez de chaussée. Les mosquées seules sont bâties de brique à chaux et sable, aussi bien que les villes de Rosette, Mansoura, et Damiette. Le bois de chauffage pour les fours et les cuisines, vient de dehors : ce sont les saïques qui l'apportent quand elles viennent se charger de blé, de riz, de légumes, et d'autres marchandises. On vend le bois et le charbon à la livre, et assez cher, en comparaison des autres choses nécessaires à la vie, qui y sont à très grand marché."


extrait de Mémoires du chevalier d'Arvieux, envoyé extraordinaire du Roy à la Porte, consul d'Alep, d'Alger, de Tripoli et autres Échelles du Levant : contenant ses voyages à Constantinople, dans l'Asie, la Syrie, la Palestine, l'Égypte et la Barbarie... Tome 1 / recueillis de ses Mémoires originaux et mis en ordre par le R. P. Jean-Baptiste Labat.
L'auteur, Laurent d'Arvieux (1635-1702), était négociant marseillais, passionné d'orientalisme scientifique et nommé diplomate.
Il voyagea à plusieurs reprises au Levant, puis en Afrique du Nord où, en tant qu'envoyé extraordinaire du roi de France, il fit notamment libérer des esclaves à Tunis. Ses connaissances historiques et linguistiques se retrouvent dans ses Mémoires, et apparemment jusque dans les turqueries du Bourgeois Gentilhomme de Molière.