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mardi 19 décembre 2023

"Philae est un de ces lieux privilégiés où l'art et la nature se fondent harmonieusement" (Georges Noblemaire, XIXe-XXe s.)

The Hypaethral Temple of Philae, 1838, David Roberts (1796–1864)


"Une journée à marquer d'une grande croix blanche, exquise manière imprévue de fêter l'an nouveau, charme tout-puissant d'un coin délicieux de nature et d'une fine architecture de rêve ; de l'inédit, un rien de danger, jusqu'à un petit grain de folie, voilà le bilan !
Et tout cela, c'est l'excursion, cent fois chantée, à l'île de Philae. Touristes, mes frères, venez ici et vous oublierez toutes vos peines, vous serez guéris de tous vos maux ; l'affreux mal de mer des longues traversées, l'inconfortable des étroites cabines, les heures d'ennui sur le grand fleuve monotone, le soleil du brûlant midi, toutes les petites misères inévitables, tout cela n'est rien, tout cela sera vite emporté sur l'aile des grands flamants roses dans le décor enchanteur de la petite île poétique et sacrée. (...)
Moi qui ne suis ni archéologue, ni poète, je vous dirai que c'est un enchantement, rien de plus ? et un enchantement ne se décrit pas. Il est donné parfois, rarement dans le court espace d'une vie humaine, d'admirer une chose d'une absolue perfection où l'art et la nature se fondent harmonieusement pour donner le magique frisson du Beau parfait. Philae est un de ces lieux privilégiés et je pense qu'il est téméraire d'enfermer dans le cadre grossier et insuffisant des mots, l'intraduisible impression de suave et d'exquis qui se dégage de ce site incomparable."

extrait de En congé -Égypte, Ceylan, Sud de l'Inde, de Georges Noblemaire (1867-1923), homme politique français, ancien élève de l'École polytechnique et de l'École des mines de Paris, administrateur de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, officier d'artillerie, député des Hautes-Alpes.

mardi 22 décembre 2020

"La simple majesté et la souveraine grandeur" du temple de Denderah, par Georges Noblemaire

le temple de Denderah, par David Roberts (1796-1864)

"Nous sommes au temple de Denderah. 
Enfin, me voici pour la première fois en face d'un monument complet, de dimensions assez restreintes en somme, mais dont les grandes lignes et l'ordonnance générale subsistent intactes ; instantanément, tout ignare, tout piètre archéologue que je sois, je me sens empoigné, fasciné par la simple majesté et la souveraine grandeur de ce qui m'entoure. 
Mon premier soin est de m'enquérir si je peux monter sur les terrasses supérieures pour jeter sur l'édifice un coup d'œil d'ensemble ; c’est, je crois, la bonne méthode que celle du quò non ascendam ? en art, en philosophie, dans la vie même, je pense qu'il faut toujours s’efforcer de monter d'abord sur les sommets, d'acquérir d'abord des notions générales ; il est toujours temps de descendre du simple au composé et l'on ne risque pas ainsi de s'égarer dans les détails, de satisfaire de vaines curiosités au risque de ne pouvoir dégager les grandes lois, les immuables vérités.
Pardonnez-moi cette profession de foi, peut-être un peu infatuée ; en réalité c'est d'un idéal qu'il s'agit et l'idéal s'atteint rarement. Dans le cas présent, c'est l'affaire de quelques gradins effrités à escalader, rien de plus aisé aux jarrets d’un alpiniste, même aussi médiocre que moi.
Du premier coup, l'œil saisit la structure générale de l'édifice ; elle est des plus simples, revêtant la forme géométrique à peu près parfaite d’un vaste tronc de pyramide à base rectangulaire. Mais si la hauteur du mur extérieur est à peu près la même sur tout le pourtour, les dimensions des salles qu'il enserre vont en décroissant régulièrement à partir du péristyle d'entrée. Cette décroissance successive des proportions est rendue tangible par la forme même du toit constitué de terrasses s'étageant en larges gradins. 
Si, descendus de notre observatoire, nous pénétrons à l'intérieur du monument, il est impossible de ne pas faire tout de suite la même constatation. D'abord une grande salle tenant toute la largeur avec dix-huit colonnes massives aux monstrueuses proportions, une seconde salle moins haute, moins large, avec, à droite et à gauche, deux annexes sombres, et ainsi de suite ; sur toute la profondeur de l'édifice, la multiplication infinie des murs de cloison avec, tout au fond, un petit réduit plein d'horreur mystérieuse, semblant écrasé sous l'énorme voûte de pierre et que l'on sent avoir été le siège redoutable d’une sombre divinité de terreur et de sang. Il est impossible de rêver plus complète divergence d’aspects avec nos églises chrétiennes dont l’architecture tout entière tend toujours à placer l’autel dans un épanouissement d'air et de clarté, sous la haute envolée des coupoles lumineuses. Contraste saisissant entre les deux religions : l’une toute d'espérance, de pieux amour, de fervents élans vers le ciel, l’autre toute d’obscurité, de mystère et de terreur.
Tout autour du monument, de véritables montagnes de décombres, informes amas poussiéreux où l'œil ne peut discerner aucune ligne, ne peut deviner aucun plan. Les civilisations successives étaient venues ensevelir le temple antique sous leurs monuments, "ils n’ont passé qu’un jour, ils n'étaient déjà plus".
Ces murs de larges briques plates portent indéniablement la date de l'occupation romaine. Sur ces niches, qui gisent à terre, tronquées et mutilées, voici le signe de rédemption, la croix byzantine ; ce minaret lézardé dont tout un pan n'est déjà plus que poussière reste le dernier vestige d’une puissante mosquée ; on dirait que l’ancestral monument a lui-même secoué tous ces revêtements profanateurs dont les temps écoulés ont essayé de le couvrir et, sur cet amas de décombres, la jeunesse éternelle du temple antique affirme, en dépit des siècles, son indestructible et sculptural orgueil."


extrait de En congé -Égypte, Ceylan, Sud de l'Indede Georges Noblemaire (1867-1923), homme politique français, ancien élève de l'École polytechnique et de l'École des mines de Paris, administrateur de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, officier d'artillerie, député des Hautes-Alpes.

vendredi 18 décembre 2020

"Medinet-Abou, même après Karnak, reste une des plus pures merveilles qu'il puisse être donné de contempler" (Georges Noblemaire)



"Je pensais que Karnak avait épuisé toutes mes facultés admiratives et que je n'aurais plus d'enthousiasme à ma disposition ; je me trompais grossièrement, car la journée d'aujourd'hui me réservait peut-être plus admirable encore et Medinet-Abou, même après Karnak, reste une des plus pures merveilles qu'il puisse être donné de contempler. (...)Une petite station au temple de Deir-el-Medinet, un joli monument, de dimensions restreintes ; caché dans un pli de terrain, où l'on peut admirer d'élégants chapiteaux aux frais coloris, et nous voici à Medinet-Abou.
Ceci, je l'ai dit tout à l'heure et je le répète avec conviction, c’est une merveille incomparable ; l’esprit devrait être fatigué, l'œil blasé, après tant de tombeaux, tant de temples, tant d'hiéroglyphes : les édifices de Medinet-Abou leur donnent comme un ressort nouveau et font jaillir puissamment la source d'un enthousiasme qui semblait devoir être tari. Les deux temples et le palais sont, au dire de Mariette, ce que l’on possède de plus précieux et de plus complet parmi les débris de civilisation des Pharaons : en vérité cela saute aux yeux, d'autant mieux que l'œuvre de reconstitution, terminée depuis l’an dernier, a entièrement déblayé le monument et permet de se rendre un compte très exact de ses dispositions générales. Certes ceci est beaucoup moins grand que Karnak, nous n'y trouvons rien qui ressemble à cette écrasante salle hypostyle qui semble sortie du cerveau d’un Titan, mais du moins nous ne sommes plus perdus dans un océan de pierres ; des travaux menés avec une patience et un art infinis ont fait tomber les constructions parasites qui s'étaient greffées sur les antiques bâtiments, ont écarté le linceul de sable qui les recouvrait et ont redonné aux vieilles pierres une jeunesse toute neuve.
Il faut espérer qu'avec la compétence et l'ingéniosité qui le caractérisent, M. Legrain parviendra un jour à faire pour le temple de Karnak ce qu'on a fait pour celui-ci, et alors quelle invraisemblable magnificence ! Mais pour le moment et pour longtemps encore, c'est Medinet-Abou qui peut le mieux fixer vos idées, donner une forme précise à vos imaginations. Ici l’on n'a qu'à regarder, ailleurs l’on avait trop à deviner.
Quelques sensations, - car je n'ai pas la prétention de vous promener méthodiquement à travers les deux temples et le palais de Ramsès III, ni de vous faire une nomenclature raisonnée que vous trouverez dans les guides.
D'abord, de l'air, beaucoup d'air dans les constructions ; cela n'approche pas encore de l'exquise légèreté du petit temple de Philae et de ces sveltes colonnades où l'air et la lumière se jouaient si délicieusement : les purs égyptologues se voilent la face et vous disent, tout méprisants, que c'est de l'art de la décadence - va pour cette décadence-là, je m'en accommode fort bien.
Une seconde remarque : la tendance manifeste qui poussait ces antiques architectes à ce qu'on pourrait appeler l'asymétrie ; on en trouve la marque un peu partout, nulle part autant que dans le monument qui nous occupe, par exemple dans cette magnifique cour qui suit le premier pylône et dont tout un côté est bordé de grosses colonnes arrondies avec l'éternel chapiteau en fleur de lotus, tandis que les architraves du bord opposé sont supportées par de lourds piliers carrés, précédés de colossales statues d'Osiris, formant cariatides. Il est certain que cela est contraire à toutes les règles - c'est parfaitement beau, cela suffit.
Je ne pouvais mieux terminer mon séjour à Luxor, et quand, à six heures du soir, mon bateau m'emmène et qu'il me faut dire adieu à ces champs qui virent la gloire de Thèbes, je ne sais quel sentiment l'emporte en mon cœur, de l'admiration pour tout ce que j'ai vu ou du regret amer de l'avoir vu troop vite.
"

extrait de En congé -Égypte, Ceylan, Sud de l'Indede Georges Noblemaire (1867-1923), homme politique français, ancien élève de l'École polytechnique et de l'École des mines de Paris, administrateur de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, officier d'artillerie, député des Hautes-Alpes.