vendredi 18 décembre 2020

"Medinet-Abou, même après Karnak, reste une des plus pures merveilles qu'il puisse être donné de contempler" (Georges Noblemaire)



"Je pensais que Karnak avait épuisé toutes mes facultés admiratives et que je n'aurais plus d'enthousiasme à ma disposition ; je me trompais grossièrement, car la journée d'aujourd'hui me réservait peut-être plus admirable encore et Medinet-Abou, même après Karnak, reste une des plus pures merveilles qu'il puisse être donné de contempler. (...)Une petite station au temple de Deir-el-Medinet, un joli monument, de dimensions restreintes ; caché dans un pli de terrain, où l'on peut admirer d'élégants chapiteaux aux frais coloris, et nous voici à Medinet-Abou.
Ceci, je l'ai dit tout à l'heure et je le répète avec conviction, c’est une merveille incomparable ; l’esprit devrait être fatigué, l'œil blasé, après tant de tombeaux, tant de temples, tant d'hiéroglyphes : les édifices de Medinet-Abou leur donnent comme un ressort nouveau et font jaillir puissamment la source d'un enthousiasme qui semblait devoir être tari. Les deux temples et le palais sont, au dire de Mariette, ce que l’on possède de plus précieux et de plus complet parmi les débris de civilisation des Pharaons : en vérité cela saute aux yeux, d'autant mieux que l'œuvre de reconstitution, terminée depuis l’an dernier, a entièrement déblayé le monument et permet de se rendre un compte très exact de ses dispositions générales. Certes ceci est beaucoup moins grand que Karnak, nous n'y trouvons rien qui ressemble à cette écrasante salle hypostyle qui semble sortie du cerveau d’un Titan, mais du moins nous ne sommes plus perdus dans un océan de pierres ; des travaux menés avec une patience et un art infinis ont fait tomber les constructions parasites qui s'étaient greffées sur les antiques bâtiments, ont écarté le linceul de sable qui les recouvrait et ont redonné aux vieilles pierres une jeunesse toute neuve.
Il faut espérer qu'avec la compétence et l'ingéniosité qui le caractérisent, M. Legrain parviendra un jour à faire pour le temple de Karnak ce qu'on a fait pour celui-ci, et alors quelle invraisemblable magnificence ! Mais pour le moment et pour longtemps encore, c'est Medinet-Abou qui peut le mieux fixer vos idées, donner une forme précise à vos imaginations. Ici l’on n'a qu'à regarder, ailleurs l’on avait trop à deviner.
Quelques sensations, - car je n'ai pas la prétention de vous promener méthodiquement à travers les deux temples et le palais de Ramsès III, ni de vous faire une nomenclature raisonnée que vous trouverez dans les guides.
D'abord, de l'air, beaucoup d'air dans les constructions ; cela n'approche pas encore de l'exquise légèreté du petit temple de Philae et de ces sveltes colonnades où l'air et la lumière se jouaient si délicieusement : les purs égyptologues se voilent la face et vous disent, tout méprisants, que c'est de l'art de la décadence - va pour cette décadence-là, je m'en accommode fort bien.
Une seconde remarque : la tendance manifeste qui poussait ces antiques architectes à ce qu'on pourrait appeler l'asymétrie ; on en trouve la marque un peu partout, nulle part autant que dans le monument qui nous occupe, par exemple dans cette magnifique cour qui suit le premier pylône et dont tout un côté est bordé de grosses colonnes arrondies avec l'éternel chapiteau en fleur de lotus, tandis que les architraves du bord opposé sont supportées par de lourds piliers carrés, précédés de colossales statues d'Osiris, formant cariatides. Il est certain que cela est contraire à toutes les règles - c'est parfaitement beau, cela suffit.
Je ne pouvais mieux terminer mon séjour à Luxor, et quand, à six heures du soir, mon bateau m'emmène et qu'il me faut dire adieu à ces champs qui virent la gloire de Thèbes, je ne sais quel sentiment l'emporte en mon cœur, de l'admiration pour tout ce que j'ai vu ou du regret amer de l'avoir vu troop vite.
"

extrait de En congé -Égypte, Ceylan, Sud de l'Indede Georges Noblemaire (1867-1923), homme politique français, ancien élève de l'École polytechnique et de l'École des mines de Paris, administrateur de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, officier d'artillerie, député des Hautes-Alpes.

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