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lundi 7 septembre 2020

"L'Égypte est formée exclusivement d'un sol d’alluvion mêlé aux sables apportés par les vents du désert" (Pierre Trémaux)

village aux bords du Nil, circa 1880 - auteur non mentionné

"Assouan termine l'Égypte à son extrémité la plus méridionale. En général, on se figure mal la forme de cette contrée ; on lui suppose, comme cela a lieu ordinairement, une certaine longueur et une largeur plus proportionnée. Il n’en est rien, l'Égypte se compose d’une part : d’un ruban de cent quatre-vingts lieues de long, sur deux ou trois de large, formé par un sol d’une grande fertilité, et rigoureusement encaissé entre des déserts d'une aridité absolue ; d'autre part : du Delta qui a la forme d'un quart de disque de trente-huit à quarante lieues de rayons, dont l’angle central est au Caire et les deux extrémités de l’arc à Alexandrie et à Péluse. C’est cette lisière de terrain qui serpente en suivant les contours du Nil, depuis Assouan jusqu’au Caire, ou en d'autres termes depuis le 24° degré jusqu'au 30° degré de latitude nord, qui, avec le Delta et quelques oasis, compose toute la surface cultivable de l'Égypte. Les limites tracées sur les cartes ne sont en réalité que des lignes fictives passant au milieu de déserts où rien ne peut vivre ni végéter.
Une particularité de ce pays, c'est que la vallée du Nil, au lieu d’être concave et de présenter comme toutes les autres vallées ses parties les plus basses sur les bords du fleuve, a au contraire une forme convexe dans sa section transversale. Le sol de cette vallée est plus élevé sur les rives mêmes du fleuve qu’en s'éloignant vers les chaînes de montagnes qui forment ses limites. Cette particularité est due aux dépôts de limon que chaque année, pendant l'inondation, le fleuve apporte de la Nigritie. Ces limons qui forment le sol d'alluvion de l'Égypte, se déposent plus abondamment sur les bords du fleuve. D'après cela on comprend parfaitement que ce dépôt est également la cause de la division du cours du Nil en plusieurs branches, dans le voisinage de la mer, de même qu’il est la cause de la formation et de l’agrandissement du Delta. 
En effet, admettez le Nil coulant par un seul lit à travers le Delta, du moment où la surface du sol tend à s'élever plus rapidement sur ses bords que sur les autres parties ; il est évident qu’à un moment donné pendant une inondation, l’eau doit se jeter sur les parties les plus basses, et y maintenir une partie de son cours. C'est en effet ce qui est arrivé à partir du Caire, où le cours du Nil n'est plus étroitement limité par deux chaînes de montagnes. Le fleuve s’est divisé en plusieurs branches divergentes dans le Delta, pour arriver à la mer. 
Ainsi l'Égypte est donc formée exclusivement d'un sol d’alluvion mêlé aux sables apportés par les vents du désert. Bien qu'il soit de la plus grande fertilité, on comprend que ce pays n'offre aucune variété d'aspect. On n'y voit ni forêts, ni prairies, ni sites variés ; depuis les bords de la mer jusqu'au tropique, c'est toujours la même culture, le même village de boue sèche avec ses ruelles tortueuses et sales, toujours le même bouquet de palmiers qui finirait par devenir monotone et ennuyeux si l'élégance de sa forme ne lui donnait une éternelle beauté, si une lumière resplendissante ne venait dorer tout ce qu’elle touche ; si enfin un crépuscule d’un effet sans pareil et dont on ne saurait se lasser, ne venait chaque soir terminer la journée par un jeu de lumière d'une magnificence impossible à décrire."

extrait de Égypte et Éthiopie, de Pierre Trémaux (1818-1895), architecte, dessinateur et photographe français. Il s’est intéressé à l’urbanisme, au percement du canal de Suez. Il voyagea en Algérie, Tunisie, Haute-Égypte, Soudan oriental et en Éthiopie en 1847-1848. D'Alexandrie, il remonta le Nil jusqu'en Nubie. En 1853-1854, il entreprit un second voyage à but photographique en Libye, Égypte, Asie Mineure, Tunisie, Syrie et Grèce.

dimanche 6 septembre 2020

"Il faut à l'obélisque le Nil bleu et non la Seine, pas plus que la Tamise" (Pierre Trémaux)

obélisque de Louqsor, par David Roberts (1796-1864)

"Nous avancions silencieusement entre ces deux rives où dorment d'imposantes ruines. Après avoir marché quelque temps en amont d’un contour bien prononcé du fleuve, le bateau ralentit son mouvement et s’approcha de la rive orientale. L'édifice qui le premier présenta ses restes à nos regards était celui dont l’obélisque qui décore aujourd’hui la place de la Concorde à Paris a popularisé le nom en France, c'était Luxor, dont on voyait principalement les pylônes, le portique de la première cour et quelques massifs de constructions. Nous mîmes pied à terre pour visiter ces ruines. 
En approchant du pylône de ce monument, nous examinâmes d'abord l’obélisque qui faisait pendant à celui de la place de la Concorde, et que Londres jalouse s'était fait donner par Méhémet-Aly ; mais il attend encore le bâtiment qui doit le transporter dans la brumeuse Angleterre. L’impassible Arabe, en apprenant les projets d'enlèvement de ces obélisques, s'est borné à dire ma-fiche (cela ne sera pas). Si ce ma-fiche a été démenti par la France, il paraît devoir être vrai pour l'Angleterre. Quelle que soit la cause de l'indifférence britannique à cet égard, ce magnifique monolithe paraît devoir dormir longtemps encore dans cette position.
Si quelque chose vivait dans cette masse inerte, combien cet obélisque devrait se réjouir de l'oubli du gouvernement anglais, combien il déplorerait le sort de son compagnon exilé, qui, après quelques années seulement, voit déjà ses flancs se fendre et céder sous l'influence des intempéries du nord ! Il faut à l'obélisque le Nil bleu et non la Seine, pas plus que la Tamise ; il lui faut le ciel ardent et les chaudes caresses des vents du désert, et, à ses pieds, un sol chargé de ruines qui attestent la longue série de siècles qui ont passé sur ses angles sans les user. Là, le voyageur promène son regard avec une respectueuse attention sur les ibis et les signes mystérieux incrustés dans ses quatre faces. Ces caractères très énigmatiques pour ses yeux parlent à son imagination, et font passer devant son esprit les images de l’antique splendeur des Pharaons. Cherchez ces impressions profondes devant l’obélisque remis à neuf de la place de la Concorde, emprisonné dans sa grille dorée. Le bon bourgeois qui en passant y jette un coup d'œil se contente de trouver assez bizarre l’idée qu'ont eue ces Égyptiens d’autrefois de graver l'image de canards sur ce monolithe.
Ces deux obélisques jadis dressés de chaque côté de la porte du palais de Luxor, et à peu de distance en avant des pylônes, étaient comme les tables d'inscriptions hiéroglyphiques placées au frontispice du monument.
Chez les Égyptiens, qui n'avaient pas comme nous les ressources de l'imprimerie pour transmettre l'histoire et les principes de la religion aux générations futures, les obélisques spécialement et les faces des monuments subsidiairement remplissaient autant que possible ce but. Aussi les édifices publics ont-ils eu dans l’ancienne civilisation égyptienne une bien autre importance que de nos jours. Chacune des faces de ces obélisques est couverte d'inscriptions. Toutes les faces des pylônes qui donnent entrée au palais sont chargées de grands sujets et d'hiéroglyphes. Les parois de l’intérieur du monument, et souvent même de l’extérieur, sont de véritables musées où sont gravés dans la pierre des tableaux et des inscriptions de toutes sortes."

extrait de Égypte et Éthiopie, de Pierre Trémaux (1818-1895), architecte, dessinateur et photographe français. Il s’est intéressé à l’urbanisme, au percement du canal de Suez. Il voyagea en Algérie, Tunisie, Haute-Égypte, Soudan oriental et en Éthiopie en 1847-1848. D'Alexandrie, il remonta le Nil jusqu'en Nubie. En 1853-1854, il entreprit un second voyage à but photographique en Libye, Égypte, Asie Mineure, Tunisie, Syrie et Grèce.