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dimanche 23 août 2020

"L’Égyptien appelle sa tombe "demeure" et la nécropole, la "montagne de vie" (Marie-Thérèse Gadala)

Scène issue du papyrus d'Hounefer montrant la pesée du cœur lors du jugement de l'âme

"Pour l'Égyptien, qui sait les joies de ce monde fragiles comme sa maison, un seul effort, un seul but : durer. La mort inéluctable qu'on n'apprivoise pas, il va se familiariser, voisiner avec elle. À chacune de ses fêtes, il la montre aux convives, sous forme d’une momie couchée dans son cercueil, tandis que le harpiste chante :
"Suis ton désir et ton bonheur : tant que tu seras sur terre, n’use pas ton cœur au chagrin jusqu’à ce que vienne pour toi le jour de deuil, car personne n’emporte ses dieux avec soi, et nul qui s’en est allé n’est jamais revenu."
Pour l’adoucir, pour se l’adoucir, il la flatte :
"La mort me paraît aujourd’hui comme la guérison d’un malade, comme le grand air après la fièvre...
La mort me paraît aujourd’hui comme une odeur d’encens, comme le repos sous un jour de grand vent...
La mort me paraît aujourd’hui comme un ciel serein, comme un homme qui s’en va chasser dans un pays qu’il ignore...
La mort me paraît aujourd’hui comme le désir qu’un homme a de revoir sa maison après de longues années de captivité."
Enfin, pour rendre la mort moins cruelle, moins laide pour se tromper en la trompant, il la farde, la pare, l’ennoblit, lui donne la couleur même de la vie. Parce que c’est celle-là, l’éternelle, qui compte, l’Égyptien appelle sa tombe "demeure" et la nécropole, la "montagne de vie". Et c’est pour cela que les pharaons ont fait la guerre en Arabie, en Éthiopie et au Liban, pour en rapporter l'or, l’ivoire, les bois rares, les métaux inconnus et les pierres précieuses qui orneront ces palais d'au delà, pour que s’épanouisse, dans la nuit du tombeau, la plus riche, la plus étonnante, la plus originale peut-être de toutes les floraisons d'art.
Toute sa vie, le pharaon s'occupe de sa tombe, surveille ses artistes, pose pour ces statues qu'habitera son "double", pour ce masque mortuaire qui gardera ses traits... Ce double qui le quitte déjà, quand il dort ou qu’il rêve, il faut qu'après sa mort il reste uni à lui. C’est pourquoi, selon les règles enseignées par Anubis, dieu chacal, lors de l’embaumement d’Osiris - et non simplement pour protéger le pays de la peste, comme quelques savants veulent le faire croire - il préservera son corps de la destruction finale. Une fois que par des formules magiques dites "Ouverture de la bouche", le double peut se procurer tous les aliments et tous les plaisirs sculptés ou peints sur les murs de sa tombe ; une fois que le nom du défunt mêlé partout à son image lui assure, par des chroniques nécrologiques les plus flatteuses, la perpétuité dans toutes les mémoires, l'âme du défunt, son esprit, celui que les Égyptiens appellent "le lumineux" va commencer son voyage vers le paradis.
Il semble bien que tout d’abord, spécialement pour les simples mortels - le pharaon étant considéré comme incorporé à Râ - il n'y eût entre les Champs-Élysées égyptiens et les joies terrestres aucune différence. Chasser, pêcher, se promener à l'ombre ou en barque, jouir de ses richesses, dans une Égypte d'au delà avec un Nil sans crocodiles, voilà les distractions offertes au citoyen d’outre-tombe par les décorations de son caveau funèbre, et que son seul désir change en réalité. Mais, avec le temps, des aspirations plus hautes se dessinent, une vague morale s'impose. Pour atteindre le paradis absolu, le défunt va passer par toutes sortes d'épreuves qui ressemblent étrangement à celles des initiés... l’eau, les monstres, les serpents qui crachent les flammes, tout ce que je vois en ce moment sur les murs de cette salle, tout ce que renferme ce Livre de l’Hadès, bréviaire, rituel du parfait mort, dont chaque sarcophage contenait un exemplaire. Malheur à l’imprudent qui écoute la déesse-fée assise sous son sycomore... Impossible ensuite de poursuivre sa route...
Qu'il n'oublie pas non plus, selon les ennemis qu’il rencontre, de se faire passer pour le dieu Set ou Horus, ou plus simplement pour ce nain qui "danse devant le dieu et réjouit le cœur d’Osiris". Le voici parvenu à la salle de la Justice où a lieu le jugement de l’âme. Là, devant Osiris, après une confession générale qui nous renseigne sur tous les péchés capitaux de l'époque, l'âme du défunt est pesée sur une balance dont un plateau contient la Vérité, l’autre son propre cœur. Et à cet avocat qui va prononcer son réquisitoire ou sa défense, l'accusé adresse cette supplique si curieuse, dans une religion où la prière n'existe pas :
"Cœur de ma mère, cœur de ma naissance, cœur que j'avais sur la terre, ne t’élève pas en témoignage contre moi, ne sois pas mon adversaire devant les puissances divines, ne pèse pas contre moi, ne dis pas "voilà ce qu’il a fait", ne fais pas surgir de grief contre moi devant le grand dieu de l'Occident."
Acquitté, après avoir été purifié dans une sorte de purgatoire représenté par un bassin de flammes, le défunt entre dans la béatitude - c’est-à-dire dans la barque solaire - et devient un nouvel Osiris "car le ka (double) du dieu se réunit à celui qu’il aime... Les dieux l'entourent et le goûtent et il est comme l’un d’eux.". (Livre des Morts. Ch. CXLVIII)."


extrait de Égypte Palestine, 1930, par Marie-Thérèse Gadala (1881-1970), infirmière, écrivaine, résistante, membre de la Société des gens de lettres et de la Société des poètes français.
Dans La mémoire de Thèbes : Fragments d'Égypte d'hier et d'aujourd'hui, 2015, Christian Leblanc écrit à propos de l'ouvrage de cette auteure : "Ses illustrations en sépia, comme son texte, écrit avec une indéniable poésie, me guidèrent sans peine dans le dédale de cet Orient des pharaons, des califes, des rois-mages, des pierres précieuses et de l'encens, sans oublier cet étrange monde de dieux qui arboraient de bien curieuses têtes animales."

La "maison d'éternité" des "reines de jadis", par Marie-Thérèse Gadala

tombe de Nefertari


"Maintenant le paysage explique le passé, l'a conservé intact embaumé dans ses plis, dans cette terre momifiée que le soleil dévore, dans cette denture de roches qui troue le ciel, si lourde sur le secret maintenant violé des tombes... de ces trous béants par où entrèrent un jour, peut-être les pieds devant, coiffées, parfumées, parées comme pour une fête, et pleurées sans doute par ceux qui les aimèrent, les belles petites reines de jadis.
Une porte étroite, une pente raide, le jour qui peu à peu se rétrécit, s'éloigne, ce bruit feutré que font nos pas dans un goût de renfermé qui vous prend à la gorge, ce malaise, malgré tout, de se sentir sous terre, là où si longtemps la mort seule a régné. De la lumière ! Elle vient, falote sous forme d’une bougie, la lampe d'Aladin, la lampe merveilleuse sous laquelle tout un monde va paraître sur les murs...
Et voici, chair d’ambre et perruque noir cirage, sourcils ras, yeux immenses, toute menue dans ce maillot pagne qui la moule, si printanière, si droite sous l’uraeus de son front, Nefert-Ari, femme chérie de Ramsès, qui fait sa prière et joue aux dames... Sous cette lueur qui tremble, vraiment ses paupières bougent et tout à sa suite, ces dieux et déesses qui sont déjà pour moi de vieilles connaissances, en bois, en pierre ou en couleur, toujours les mêmes.

L'audace, le réalisme, l'éclat de ces peintures les font croire d'hier, inspiratrices, patronnes de cet art moderne dont, en architecture les temples sont la réplique. Oui, mais l’on étouffe... une angoisse m'étreint... si ce caveau soudain allait se refermer... si quelque reptile familier du lieu, tapi dans l'ombre... Si l'ombre, le double de la petite reine s'évadant un instant de la cage de verre dans laquelle aujourd’hui on l’expose, revenait errer dans cette "maison d’éternité" construite pour elle et qui, aussi menteuse que les choses d’ici-bas, ne resplendit plus que pour nos yeux profanes...

En Égypte, dans la mort comme dans la vie, les rois et les reines n’habitaient pas ensemble. Ils avaient chacun leur vallée et leur tombe. C'est vers celle des rois que nous allons maintenant.
La gorge se resserre, se dénude, les cimes montent. Plus fait pour les chacals, pour les hyènes, que pour nous, ce paysage plus mort que les morts qu'il portait ! La piste s'évase, nous verse dans un cratère. Murailles de fiord, chauffées à blanc, rideau de pierre qui ferme la scène du monde. En fait de grandiose le désert se surpasse... Cette fois le contenant est digne du contenu.
Oui, mais là comme partout, c'est l'homme qui abîme... rien qu'en étant là. Le long de ces falaises toute forées de tombeaux, s'agrippe un essaim de mouches, mouches humaines qui, hélas, qua d on s'approche grossissent, s'agglutinent, obstruent les rampes, font de l'entrée des tombes un escalier de métro...
De nouveau le tunnel, la mine, l’étuve... On descend, on descend... puis soudain, ruisselante d'électricité et d’or, cette salle de fête, somptueusement habillée de versets et de fresques, avec sa voûte tout en étoiles... Boniment du drogman qui récite sa leçon : "C’est ici le tombeau de Séthos Ier, ce roi qui..." Ombres de mes semblables, hélas, ombres qui parlent ! Mais je n’écoute pas, je regarde, je songe... Ce qui existe ici, seul, ce sont les morts."


extrait de Égypte Palestine, 1930, par Marie-Thérèse Gadala (1881-1970), infirmière, écrivaine, résistante, membre de la Société des gens de lettres et de la Société des poètes français. 
Dans La mémoire de Thèbes : Fragments d'Égypte d'hier et d'aujourd'hui, 2015, Christian Leblanc écrit à propos de l'ouvrage de cette auteure : "Ses illustrations en sépia, comme son texte, écrit avec une indéniable poésie, me guidèrent sans peine dans le dédale de cet Orient des pharaons, des califes, des rois-mages, des pierres précieuses et de l'encens, sans oublier cet étrange monde de dieux qui arboraient de bien curieuses têtes animales."