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lundi 22 mars 2021

"De même que la sculpture, la peinture des Égyptiens ne peut être considérée que comme un des ornements de leur architecture" (Marie-Théodore Renouard de Bussière)

Tombe du prince Amonherkhepshef, fils de Ramsès III - Vallée des Reines
photo Marie Grillot

"D'après les détails que je vous ai donnés, je crois n'avoir pas besoin d'ajouter que l'architecture avait atteint chez les Égyptiens un très haut degré de perfection. (...)
La sculpture des Égyptiens, tout admirable qu'elle est d'ailleurs, paraît n'avoir été qu'un simple accessoire de leur architecture ; elle faisait des monuments une sorte de livre, où était consigné ce qui est relatif à la science, à l'histoire, à la morale et aux arts ; dans les temples, dans les édifices, un fait ou un précepte est retracé sur chacune des parties qui les composent ; les ornements qui les décoraient étaient soumis à des règles si invariables, étaient tellement égaux entre eux quant à l'exécution, que jamais la sculpture ne pouvait nuire à l'architecture, ni en détruire l'harmonie.
On a reproché aux Égyptiens la raideur des figures de leurs bas-reliefs ; et, partant de là, on a proclamé qu'ils n'avaient point de goût ; on oublie que ces formes symétriques avaient quelque signification religieuse ; que ce n'était pas dans les traits du visage, mais dans l'attitude et le costume que résidait l'expression que l'on voulait donner à une figure ; qu'ainsi, dans la décoration des temples et des lieux saints, l'artiste était assujetti à un type invariable, dans lequel il était obligé d'imiter certains défauts, auxquels même on était habitué, et qui étaient devenus parties constitutives et essentielles du type de l'objet représenté. Je dirai même plus : ce type uniforme, qui se retrouve toujours et choque d'abord, finit par avoir un attrait indéfinissable aux yeux du voyageur ; il y a quelque chose de solennel dans ces ornements sans cesse répétés, dans le sourire mélancolique de ces visages, et dans ces attributs sacrés des divinités protectrices du pays. (...)
En observant les bas-reliefs avec attention, on y découvre de grandes beautés, surtout dans ceux où il était permis au sculpteur de se livrer un peu aux inspirations de son génie. Les visages, il est vrai, n'ont rien d'idéal, comme ceux des statues grecques ; cependant il ne faut pas croire pour cela qu'ils soient entièrement dépourvus de beauté ; copiés, à ce qu'il paraît, sur la nature, ils se distinguent surtout par la grâce ; passez-moi l'expression, ils sont plutôt jolis que beaux, et l'on trouvera difficilement des traits plus agréables. (...)
J'ai presque toujours remarqué que, dans les bas-reliefs, le dessin des animaux est pur, hardi et correct. Les sphinx sont exécutés avec la plus rare perfection. Quant à la perspective, les Égyptiens paraissent n'en avoir eu aucune idée ; pour y suppléer, ils ont ordinairement représenté dans leurs tableaux toutes les figures marchant à la suite les unes des autres et, en général, vues de profil : ce défaut est racheté par la naïveté et la chaleur qui règnent dans la composition. On y observe que le personnage principal, le dieu ou le héros, est dépeint d'une manière colossale et tout-à-fait en disproportion avec les autres figures du même sujet. (...)
Le travail mécanique du sculpteur égyptien était admirable, je vois journellement, à Thèbes, des tableaux exécutés en relief au fond d'un contour creusé ; les arêtes en ont conservé le fini le plus précieux ; le granit indestructible de Syène, dans lequel ils sont taillés, est poli comme le marbre le serait de nos jours. Les hiéroglyphes sont sculptés, soit de la même manière, soit simplement en relief, soit, enfin, en creux, mais sans relief intérieur. (...)
Un peintre venait dessiner en rouge sur la pierre déjà polie le contour des objets et des personnages que le bas-relief ou les hiéroglyphes devaient représenter ; une main plus exercée corrigeait ce premier travail et employait une couleur noire à cet effet ; c'est à ce point qu'en est restée la salle du tombeau.
Le sculpteur travaillait en entaille, en demi-relief ou en plein relief ; le peintre finissait le tableau en appliquant des teintes plates sur les objets représentés. De même que la sculpture, la peinture des Égyptiens ne peut être considérée que comme un des ornements de leur architecture ; ils n'avaient aucune idée d'ombre ni de lumière ; cependant je dois vous faire observer que leurs couleurs, exposées à l'air depuis trois ou quatre mille ans, l'emportent quelquefois en éclat sur les nôtres, et qu'ils possédaient au suprême degré l'art de les marier ensemble, sans en laisser prédominer aucune ; au milieu d'une foule de teintes variées, l'oeil n'aperçoit aucun papillotage. Les chairs humaines sont constamment peintes en rouge ou en jaune."


Extrait de Lettres sur l'Orient, écrites pendant les années 1827 et 1828, tome second, Paris 1829, par le vicomte Marie-Théodore Renouard de Bussière (1802-1865), diplomate (1821-1830), historien et peintre. Il réalise de longs voyages en Orient, se rendant à Constantinople, visitant toute l'Égypte et la Nubie, traversant le Sinaï et rentrant par Suez et Alexandrie. En 1829, il publie deux volumes accompagnés d'un atlas de ces voyages.

"L'architecture égyptienne, depuis surtout que j'ai vu les ruines de Thèbes, me paraît être ce que le génie de l'homme a produit de plus noble, de plus imposant et de plus sublime" (Marie-Théodore Renouard de Bussière)


Karnak : lithographie, par Renouard de Bussière, 1827

"Je vous ai dit, dans ma lettre précédente, que les ruines de Thèbes couvrent les deux rives du Nil. À l'orient on voit les édifices de Karnak et de Louqsor. Du côté de l'occident se trouvent le temple et les tombeaux de Qournah, les colosses et le temple dits de Memnon, enfin, les ruines de Médinet-Abou, les plus méridionales des trois. Sur cette même rive une vallée des montagnes libyques, connue sous le nom de Biban-el-Molouk, renferme les fameux tombeaux des rois.
Nous abordâmes non loin de Karnak, misérable village bâti dans une petite partie de l'enceinte du palais antique. Les ruines de Karnak, les plus colossales qui existent sur le globe, ont une lieue de tour. En y arrivant, on se croit transporté dans une ville construite par une race de géants. La destruction y a fait plus de progrès qu'à Denderah ; mais l'immensité de l'édifice lui imprime un caractère sublime ; on n'en approche qu'avec une sorte d'effroi religieux. Oui, mon cher ami, je vous le répète avec une profonde conviction, quoique les nations modernes aient répudié l'architecture égyptienne, cette architecture, depuis surtout que j'ai vu les ruines de Thèbes, me paraît être ce que le génie de l'homme a produit de plus noble, de plus imposant et de plus sublime ; et, dans la durée des trente siècles qui la séparent du nôtre, je ne vois aucun monument qu'on puisse comparer à ceux que j'ai maintenant sous les yeux.
Le plan du palais de Karnak est noble et grand : ses immenses portiques, ses longues avenues de sphinx et de colonnes, sont le véritable type de la magnificence pharaonique ; en les examinant on court de merveille en merveille. L'édifice est entièrement couvert de sculptures, qui sont beaucoup plus belles que je ne m'attendais à les trouver. On y voit représentés la plupart des anciens Pharaons et les actions guerrières par lesquelles ils se sont illustrés. Des constructions de toutes les époques entourent ce magnifique palais, et sont comprises dans son enceinte générale.
Je ne tenterai pas de vous décrire Karnak avec détail ; la pensée seule d'une telle entreprise suffit pour effrayer mon imagination ; plusieurs voyageurs l'ont essayé, plusieurs artistes en ont fait des dessins ; mais, malgré leur talent, ces ouvrages ne donnent qu'une faible idée de la réalité ; la peinture, qui agrandit les petits objets, rapetisse ce qui est gigantesque ; elle donne des souvenirs à ceux qui ont vu ; mais quant aux autres, elle ne peut les faire juger de ce qui est.
Nous nous sommes établis au milieu des ruines. Une petite cellule du grand pylône de l'ouest nous sert de chambre à coucher. Je passe mes journées à écrire et à dessiner ; dans mes courses solitaires, il m'arrive souvent de faire fuir quelques chacals, habitant comme moi ce magique séjour. Il m'attache plus que tout ce que j'ai vu jusqu'ici : à chaque instant j'y découvre de nouvelles beautés de détail ; en le quittant, je croirai me séparer d'un ami. Il me semble que je me suis approprié ces lieux abandonnés ; en les parcourant, je me sens heureux, je jouis pleinement de mon existence.
L'auguste immensité de ce qui m'entoure me donne une idée de ce qu'étaient les chefs de l'ancienne Égypte. Je vois ici un sanctuaire digne de la divinité : ce qui est vraiment grand est de tous les temps et de tous les cultes. D'ailleurs, les images et les symboles sacrés qui décorent Karnak sont la représentation allégorique de vérités sublimes et le résultat de profondes connaissances. Que devait être la nation par laquelle de semblables monuments ont été élevés ?"


Extrait de Lettres sur l'Orient, écrites pendant les années 1827 et 1828, tome second, Paris 1829, par le vicomte Marie-Théodore Renouard de Bussière (1802-1865), diplomate (1821-1830), historien et peintre. Il réalise de longs voyages en Orient, se rendant à Constantinople, visitant toute l'Égypte et la Nubie, traversant le Sinaï et rentrant par Suez et Alexandrie. En 1829, il publie deux volumes accompagnés d'un atlas de ces voyages.

samedi 20 mars 2021

"Les proportions les plus parfaites, (les) lignes simples et graves jusqu'au sublime" du temple de Dendérah, par le vicomte Renouard de Bussière

by Allan, John H. in A Pictorial Tour in the Mediterranean : 
Including Malta-Dalmatia-Turkey-Asia Minor-Grecian Archipelago-Egypt-Nubia-Greece-Ionian Islands-Sicily-Italy-and Spain, 1843.


"Enfin, mon cher ami, j'ai vu cette merveilleuse Tentyre ; j'ai parcouru ses édifices, ses portiques, ses temples. Que ne puis-je vous faire partager l'émotion délicieuse et profonde dont je suis encore pénétré ! Que ne puis-je faire passer sous vos yeux l'imposante immensité des monuments que je viens de voir !
Je vous ai écrit ma dernière lettre assis au pied d'un groupe de douns, en face de Denderah.
Le jour suivant, nous croisâmes le Nil de bonne heure et nous mîmes pied à terre auprès de ce village ; son nom moderne rappelle celui de Tentyre. Les palmiers et les sunts qui l'environnent lui donnent un aspect riant. Du reste cette bourgade est peu étendue, pauvre et composée de misérables cahutes bâties en terre. Nous n'y restâmes que le temps nécessaire pour acheter quelques provisions et nous procurer des montures ; et aussitôt nous prîmes le chemin des ruines. Elles sont à une lieue au sud-ouest du village, dans l'intérieur des terres. 
Ayant traversé la forêt, nous aperçûmes le temple à quelque distance : nous vîmes d'abord à la gauche de notre chemin six colonnes d'un assez mauvais style, qui ont appartenu à un ancien édifice. Après avoir fait une foule de détours, auxquels nous obligèrent les inondations du Nil, nous arrivâmes aux propylies du grand temple. Une porte construite en énormes masses de couleur rougeâtre, s'élève au milieu des décombres : elle est de forme pyramidale, très mutilée d'un côté, parfaitement conservée de l'autre ; des figures symboliques et des hiéroglyphes couvrent ses faces : un globe ailé plane sur sa large corniche. Je traversai cette magnifique porte, et je me trouvai en face de la construction principale.
J'essaierais en vain de vous faire comprendre les sensations que j'éprouvai dans ce moment ; ce que j'avais sous les yeux surpassait l'idée que mon imagination s'en était faite. Muet d'étonnement et d'admiration, je m'assis sur un bloc de pierre en face du portique ; j'oubliai l'univers entier, et je m'abîmai dans la contemplation.
Lorsque, revenu à moi-même, je pus enfin me livrer à l'examen des détails, je découvris partout les proportions les plus parfaites, des lignes simples et graves jusqu'au sublime. Les bas-reliefs, les hiéroglyphes, les inscriptions et les ornements si multipliés ne nuisent point à la masse sévère de l'ensemble : ils disparaissent dans l'immensité de l'édifice, pour ne laisser voir que de grandes lignes. La forme pyramidale, qui se retrouve dans tous les ouvrages égyptiens, leur donne une solidité qui semble indestructible et une incomparable majesté.
Que n'ai-je pu lire tout ce qui se trouve écrit sur les murs de cet admirable monument ! Que n'ai-je pu y faire revivre pour un instant les anciens Égyptiens, et assister à leur culte et à leurs pompeux sacrifices ! Les journées que j'ai passées à Tentyre ne s'effaceront jamais de ma mémoire. Quand on a vu ce monument, plus merveilleux que les pyramides elles-mêmes, on a oublié toutes les fatigues d'un long voyage.
Plus on s'éloigne de Denderah, et plus la nature s'embellit : de toutes parts s'étendent de grands villages, des forêts de douns, des champs cultivés et des prairies qu'animent de grands troupeaux de buffles. Le fond du paysage est toujours occupé par la chaîne de Mokattam. Ses roches dentelées contrastent avec la fertilité qui règne sur les rivages du fleuve, et donnent à la contrée un aspect enchanteur."


Extrait de Lettres sur l'Orient, écrites pendant les années 1827 et 1828, tome second, Paris 1829, par le vicomte Marie-Théodore Renouard de Bussière (1802-1865), diplomate (1821-1830), historien et peintre. Il réalise de longs voyages en Orient, se rendant à Constantinople, visitant toute l'Égypte et la Nubie, traversant le Sinaï et rentrant par Suez et Alexandrie. En 1829, il publie deux volumes accompagnés d'un atlas de ces voyages.