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samedi 20 octobre 2018

"Immuable est l'ancienne patrie des Pharaons, comme le Sphinx, dont l'obsédant sourire semble déchiffrer sans fin quelque énigme qui déconcerte notre faiblesse humaine" (Jean Bayet)

illustration extraite de la Description de l'Égypte, volume V, planche 11
 "La  première impression, qui saisit le touriste, lorsqu'il foule le sol de l'Égypte, est une sensation d'étonnement et d'admiration. Il s'émerveille à songer qu'après tant de bouleversements économiques et sociaux, après tant de dynasties triomphantes, puis déchues, après l'invasion, les guerres, les dominations étrangères, il puisse retrouver encore intacte, sur cette terre antique, l'empreinte des civilisations disparues, jusque dans leurs manifestations les plus intimes et les plus familières. 
Tant de pensées s'éveillent, pour qui cherche, dans l'âme du présent, le reflet du passé : pensées de gloire, pensées de ruine et de décadence, et surtout mystère impénétrable des siècles, que l'histoire n'a pu percer, et qui pourtant nous obsède par la présence de ces colosses de pierre surgis dans la nuit des âges. 
Qui retracera jamais la vie des fondateurs préhistoriques de l'Égypte, sur lesquels à peine quelques lambeaux de papyrus desséchés nous donnent des indications incertaines ? Des noms pourtant s'imposent à nous : Chéops, Khéphren, Mykérinos, symboles inaccessibles, inscrits pour nous en caractères indestructibles, sur ces triangles fantastiques qui de leur masse écrasent les solitudes du désert memphite, garde royale étrange avec son sphinx, en faction depuis l'aube des siècles. 
L'histoire ne commence vraiment qu'avec ces Pharaons thébains, dispensateurs de richesse et de renommée qui portèrent jusqu'aux confins de l'Asie-Mineure l'éclat de leurs armes, ces rois qui s'égalent aux plus fameux dans la mémoire des hommes : les Ramsès et les Thoutmos dont les frises des temples et les voûtes des sombres hypogées nous content encore les merveilleux exploits. 
Mais le poids de cette gloire était trop lourd, et aussi l'héritage d'une civilisation trop brillante, éclose aux siècles où les autres peuples végétaient dans la misère et dans l'ignorance. Alors que les derniers représentants des grandes dynasties se débattaient, impuissants à soutenir tant de pouvoir et de richesses accumulées, tour à tour, comme à l'appât d'un proie magnifique, on vit se ruer à l'assaut des villes orgueilleuses, des bandes d'Assyriens, de Persans, de Grecs. Les Romains en firent une province de leur vaste empire ; les musulmans y élevèrent des dynasties éphémères qui tentèrent vainement de renouer, à travers tant de siècles, les grandes traditions de l'Égypte indépendante. 
À la suite des soldats de Bonaparte, une équipe de savants et d'ingénieurs français initièrent les Égyptiens à la civilisation moderne qui s'implante de jour en jour plus fortement, sous la domination anglaise. 
Plus encore que la guerre et l'invasion, l'immigration, l'envahissement méthodique des peuples étrangers ont fait de l'Égypte une terre bigarrée où se coudoient les éléments les plus disparates : Grecs, Juifs, Bédouins, Turcs et Levantins y voisinent avec les indigènes, avec les Européens de toutes nationalités. Et, comme coupée en deux par l'ébranlement de tant d'influences hétérogènes, l'antique race autochtone elle-même s'est divisée en deux groupes très distincts : d'un côté les Fellahs, qui abjurèrent pour la religion du Croissant le culte désuet des Apis et du divin Amon ; de l'autre, les Coptes, qui célèbrent, dans d'humbles églises, le culte chrétien orthodoxe. 
Or, malgré tant de schismes et de nouveautés, la terre d'Égypte et ses habitants ont conservé quelque chose d'antique et d'immuable, sur quoi les ans, semble-t-il, pas plus que le joug étranger, n'ont eu de prise. Immuable est l'ancienne patrie des Pharaons, comme le désert qui l'entoure de toutes parts et semble vouloir se resserrer, ainsi qu'un étau, sur l'étroite vallée du Nil, bordée de terres fécondes et des débris de temples orgueilleux ; immuable, comme le sable que le vent soulève en âpres tourbillons, et qui s'amoncelle sans trêve sur les obélisques, sur les pylônes et les statues, épars dans le désert, et jusqu'aux portes des villes ; immuable comme le soleil brûlant, l'air radieux, l'atmosphère lumineuse de ce pays féerique ; comme le Sphinx, dont l'obsédant sourire semble déchiffrer sans fin quelque énigme qui déconcerte notre faiblesse humaine."   



extrait de Égypte, 1911, par Jean Bayet (1882-1915), fonctionnaire au ministère de l’Instruction publique français, direction de l'enseignement supérieur

mardi 18 septembre 2018

" Les paysages du Nil inspiraient naturellement les artistes d'autrefois" (Jean Bayet)

Scène agricole - Tombe de Nakht - TT 52 - Illustration de Norman de Garis Davies
“La pureté de l'air est telle en ces régions que les distances paraissent abolies et que les différents plans, au lieu de fuir les uns derrière les autres, semblent s'élever les uns au-dessus des autres. Ceci nous explique en partie que les artistes égyptiens qui sculptèrent les frises des temples ou les bas-reliefs des hypogées, n'aient pas cherché à pénétrer les lois de la perspective. Ils ont réuni sur un même plan les divers motifs que la nature leur présentait ; ils ont renoncé à rendre les accidents du terrain et les distances qui semblaient se fondre dans la transparence de l'atmosphère. Leurs personnages se meuvent sur une ligne droite ; leurs paysages se superposent, et ceux qui occupent les registres supérieurs des bas-reliefs sculptés ont les mêmes dimensions que ceux des registres inférieurs.
Ne reconnaît-on pas d'ailleurs dans les scènes pastorales qui se déroulent le long des rives du Nil les éléments même des sujets qui décorent les plus anciens monuments de la vieille Égypte ? Les bœufs qui se rendent aux champs, à pas lents ; la charrue antique qui trace péniblement son sillon à travers les terres grasses ; les pêcheurs traînant leurs filets pesants ; les charpentiers accroupis sur la berge qui heurtent de leurs marteaux les flancs d'une barque en construction. Les paysages du Nil inspiraient naturellement les artistes d'autrefois, lorsque, pour honorer les tombes de leurs morts, ils évoquaient, sur les parois des caveaux funéraires, les motifs qui rappelaient leur vie terrestre, et devaient égayer leur existence d'outre-tombe au souvenir des joies humaines. Dans le bas des murailles, ils ciselaient des épisodes de la vie sur le fleuve : théories de bateaux, joutes de bateliers, scènes de pêche et de chasse aux oiseaux de rivière. Au-dessus se développaient des scènes de la vie agricole : le labourage, les semailles, les récoltes, le battage des blés. Plus haut, c'étaient les pâturages, avec leurs troupeaux de boeufs et de moutons ; enfin, tout au bord des voûtes, les sables du désert, les battues sur les pistes des gazelles.”

extrait de Égypte, 1911, par
Jean Bayet (1882-1915), fonctionnaire au ministère de l’Instruction publique français, direction de l'enseignement supérieur