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lundi 6 janvier 2020

"Il y a en Égypte, entre l'art et la nature, un rapport intime" (Émile Soldi)

"Philae : L'île et le temple vus du Nil, felouques amarrées", par Émile Brugsch, dit Brugsch Pacha (1842-1930)
"L'art égyptien est sorti de lui-même, c'est là l'immense différence qui le sépare des autres arts, qui tous ont pris pour point de départ le point même où l'art égyptien avait su arriver. Plus tard, malheureusement, il demeura étranger aux influences extérieures, et ne participa point aux progrès accomplis par les nations voisines. (...)
Cet isolement artistique de l'Égypte s'explique facilement du reste, lorsqu'on se rappelle dans quelles conditions particulières était née et s'était développée la sculpture sur les bords du Nil. Son point de départ, l'idée première qu'elle devait exprimer, c'était la célébration, l'immortalisation, si l'on peut s'exprimer ainsi, d'un monarque ou d'un simple particulier. Aussi voyons-nous les tombeaux représenter les voyages de l'âme, les cérémonies religieuses, et les bas-reliefs reproduire les costumes et les mœurs des nations vaincues. Mais pour toutes ces représentations, l'artiste se préoccupe médiocrement de la beauté de la forme, de la justesse de l'effet, de la vérité soigneuse du contour ; il recherche rarement le pittoresque : l'exactitude lui suffit. À quoi eussent servi d'ailleurs des raffinements d'art, de travail, de talent, pour des œuvres généralement destinées à être placées dans des hypogées, dans des salles dissimulées, obscures et où personne ne pouvait ni ne devait pénétrer ? Il est bien plutôt extraordinaire, dans de telles conditions, d'y trouver des monuments artistiques exécutés avec autant de soin. Et puis le caractère même du pays imposait à la sculpture des données naturelles et impérieuses. Il y a en Égypte, entre l'art et la nature, un rapport intime qui n'a pu échapper à aucun des voyageurs qui ont visité les bords du Nil.  
Les chaînes de montagnes encadrant les vallées forment des lignes immenses, égales, monotones mais grandioses ; les déserts s'enfoncent à l'horizon, les nappes tranquilles du Nil couvrent le pays et ne sont interrompues que par quelques collines, par quelques monuments émergeant de ses eaux. Ces grands aspects du pays ont eu certainement une part immense dans les représentations, dans la forme et dans le caractère de l'art égyptien, en forçant les sculpteurs, dans ces horizons sans fin, à donner des proportions colossales à leurs monuments, pour être simplement en rapport avec le paysage qui les entourait. Il fallait bien que les statues, pour paraître seulement de grandeur naturelle, fussent deux et trois fois plus grandes que nature. Telle pièce ou telle figure classée aujourd'hui dans nos Musées, qui nous étonne et nous impose par ses dimensions, serait loin de produire le même effet si on la voyait à l'air libre."

extrait de La sculpture égyptienne, 1876, par Émile Soldi (1846-1906), sculpteur, médailleur et historien de l'art français ; Grand Prix de Rome ; président  de la section Histoire de l'Art à la Société de Numismatique et d'Archéologie

jeudi 25 octobre 2018

"Dans la série des productions artistiques de l'Égypte, l'art de l'ancien Empire est assurément le plus grand, le plus beau" (Émile Soldi)

Statue de Khéphren Ancien Empire - photo de Jon Bodsworth
"Si l'art égyptien, considéré dans son ensemble, offre ce caractère d'uniformité qui frappe tout d'abord ; si, quoique majestueux et grandiose souvent, il reste dans ses traits généraux, primitif, imparfait, parfois presque enfantin, ce n'est pas, à notre avis, parce qu'il reste enveloppé dans une tradition mystérieuse et sacrée qui aurait présidé à sa naissance et dompté son essor, ce n'est pas parce qu'il obéit à des rythmes religieux, à des prescriptions sacerdotales et immuables. 
Non, c'est surtout en lui-même, c'est dans les conditions de sa vie propre, c'est avant tout dans le milieu où il naît, dans les procédés et dans les matériaux qu'il emploie, qu'il faut chercher l'explication de cet art particulier, bizarre, isolé de tous les autres, et dans ses variations successives toujours semblable à lui-même. 
Ce qui l'empêche de jamais se développer au delà d'un certain point, ce n'est pas, autant qu'on le croit, l'influence du prêtre : ce sont les révolutions qui sans cesse le ramènent à son point de départ ; ce n'est pas le prêtre non plus qui impose à l'artiste telle attitude, tel mouvement, telle naïveté : c'est l'imperfection de l'outil, marteline ou ciseau ; c'est la dureté de la matière, basalte ou porphyre. 
Certes, nous ne nions pas en Égypte l'action terrible de la domination sacerdotale, mais cette domination ne fait que tardivement ressentir à l'art ses effets. Elle contribue, il est vrai, en isolant l'Égypte, en embaumant le pays entier comme les momies de ses rois et de ses habitants, à priver l'art d'éléments essentiels à sa vie et à son expansion. Mais à l'époque où naît la sculpture égyptienne, au début de l'ancien Empire, nous ne voyons pas trace de prépondérance religieuse. L'art de cette période est un art libre, vivant, progressif : et cependant il offre déjà les mêmes caractères généraux qu'il offrira plus tard. Les autres périodes ne feront qu'imiter celle-là, sans l'égaler cependant. Dans la série des productions artistiques de l'Égypte, l'art de l'ancien Empire est assurément le plus grand, le plus beau, celui qui touche le plus près à la perfection relative."

extrait de La sculpture égyptienne, 1876, par Émile Soldi (1846-1906),
sculpteur, médailleur et historien de l'art français