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jeudi 17 septembre 2020

"Il y a là toute l'histoire de la civilisation de l'Égypte" (Amédée Baillot de Guerville, à propos du musée égyptien du Caire)


"Il va sans dire que, dans le pays par excellence des fouilles et des découvertes archéologiques et historiques, le Musée présente un intérêt extraordinaire. Celui du Caire est une œuvre française dans toute l'acception du mot, et une œuvre dont on a le droit d'être fier. Il fut fondé, il y a plus de quarante ans, par l'illustre égyptologue français Mariette. M. Maspéro, non moins illustre dans le monde des savants, en prit la direction à la mort de Mariette (1881) et la conserva cinq années, pour la céder à M. Grebault, qui, à son tour, fut remplacé par M. de Morgan. De nouveau, M. Maspéro a repris la direction et jamais chef d'un grand département ne fut plus apprécié et plus aimé.
Le Musée occupe aujourd'hui un immense palais, admirablement situé et dont la construction vient seulement d'être achevée.
On y trouve des merveilles sans nombre, que la pioche des savants égyptologues a arrachées aux mystérieuses cachettes où elles avaient dormi paisiblement pendant des siècles. Il y a là, entassée dans les vastes salles et remontant à des milliers d'années avant Jésus-Christ, toute l'histoire de la civilisation de l'Égypte. Ses rois et ses reines, ses princes et ses princesses, ses soldats et ses prêtres, ses guerres et ses conquêtes, ses deuils et ses fêtes, ses arts et ses jeux - tout cela est là sous forme de momies aux masques d'or, de statues de pierre, de granit, de bronze, de bas-reliefs admirablement sculptés, de tablettes commémoratives, d'animaux, de fleurs, de meubles, d'ustensiles de toute espèce.
Je ne connais rien de plus émouvant que ces temples du passé, où sont réunis tout ce qui a été la vie et, hélas ! la mort de peuples grands et puissants - tout ce qui a fait la gloire, le bonheur et les tristesses de ceux qui, il y a trente, quarante, cinquante siècles, jouissaient, tout comme nous le faisons aujourd'hui, de ce beau soleil vivifiant et de la vie qui conduit au néant !
Les statues, les vases, les autels, les pierres à sacrifices, les sarcophages, les bas-reliefs, tout cela, le confesserai-je, me laisse bien indifférent, mais je suis attiré par un attrait invincible vers toutes les vitrines qui contiennent les bibelots que touchaient chaque jour, il y a des milliers d'armées, les mains souples et nerveuses alors, raidies et desséchées aujourd'hui, de ces formes humaines qui dorment ici même, dans des boîtes à momie, le sommeil qu'est venu brutalement interrompre notre civilisation chercheuse, farfouilleuse et irrespectueuse des morts. Ici ce sont des objets de toilette, là de délicieux bijoux, prouvant quels fins orfèvres vivaient trois ou quatre mille ans avant notre ère. Des bagues, des boucles d'oreilles, des chaînes, des couronnes, des diadèmes, des pendants, des pièces exquises en or finement ciselé et incrusté de pierreries, qui ont orné des princesses et des femmes belles, puissantes, aimées. Ah ! parlez donc de l'art nouveau et des horreurs qu'on fait aujourd'hui en son nom, et je vous crierai : "Venez, venez voir ce que les vieux Égyptiens faisaient et quel goût sûr et exquis ils déployaient !"
Et mon émotion augmente encore quand mes yeux étonnés s'arrêtent sur des fleurs desséchées et admirablement conservées, des fleurs qui, par une matinée ensoleillée, sortirent de terre il y a des milliers d'années, furent cueillies par une main alerte et heureuse de vivre, des fleurs auxquelles des lèvres amoureuses confièrent peut-être des paroles de tendresse et d'espoir !
Ah ! Seigneur, se peut-il que tout cela, qui fut l'essence de la vie d'un peuple, soit venu jusqu'à nous, pour nous rappeler à travers les siècles passés toute la vanité des espoirs terrestres !
Amen ! me crierez-vous. Soit, n'en parlons plus. Laissons les morts à M. Maspéro et à ses savants collaborateurs, et filons vers l'air, la lumière, le mouvement, la vie."

extrait de La nouvelle Égypte, ce qu'on dit, ce qu'on voit du Caire à Fashoda, par Amédée Baillot de Guerville (1868-1913). Né en France, il émigra aux États-Unis en 1887, où il effectua toute sa carrière de journaliste et agent commercial.

jeudi 20 août 2020

Visite de la Vallée des Rois, en compagnie de M. Quibell, par Amédée Baillot de Guerville

photo d'Émile Béchard, actif dans les années 1869-1880 au Caire

"À gauche, dans une petite vallée sont les tombeaux des Reines, et à droite, dans une autre vallée aride et étroite, les tombeaux des Rois.
Ceux-ci sont, à mon humble avis, ce qu'il y a de plus intéressant et de plus merveilleux dans toute l'Égypte, et je n'oublierai jamais l'impression que je ressentis en les visitant.
Accompagné de M. Quibell, un charmant Écossais, inspecteur général des antiquités, je quittai le Ramsès un matin de très bonne heure, par un temps ensoleillé et délicieux. Nous traversâmes le Nil à la voile, puis, enfourchant les baudets qui nous attendaient, nous galopâmes pendant trois quarts d'heure environ à travers les champs cultivés et fertiles, avant d'arriver à l'entrée de la vallée des Rois, vallée étroite et encaissée entre de hauts rochers jaunes et arides. Le contraste entre la campagne pleine de vie que nous quittions et, sans transition presque, ce chemin de la mort où pas un oiseau, pas un insecte, pas l'ombre d'un être animé n'est visible, est frappant. Oui, c'est bien là le chemin de !a Mort, la vallée du Néant, au bout de laquelle on trouve les tombeaux éventrés des monarques puissants qui, voulant dormir tranquille leur dernier sommeil, avaient fait creuser tout là-bas et tout là-haut, dans le flanc de la montagne aride, les caveaux merveilleux, sculptés, peints, ciselés, qui devaient abriter leur dépouille mortelle.
Ah ! vanité royale qui voulus être enterrée avec tes bijoux, tes pierreries, tes ivoires, tes meubles dorés, tu ne compris pas que le jour viendrait où tes prêtres, qui défendaient l'entrée de tes tombeaux, disparaîtraient, où ton peuple s'éteindrait et où les brigands à l'affût du riche butin briseraient les portes, démoliraient les murs, crèveraient les cercueils pour leur arracher jusqu'à la momie royale ? Et c'est ce qui arriva. D'après M. Maspéro, quelque 966 ans avant Jésus-Christ, les voleurs étaient devenus si puissants, pouvaient si facilement défier le gouvernement et avaient déjà violé tant de tombes royales, qu'Aauputh, fils de Shashank, se décida à les faire toutes ouvrir et à transporter les cercueils royaux dans un seul et énorme caveau, où ils furent découverts d'une façon bien inattendue quelque trente siècles plus tard. (...)
Même dépourvus des restes mortuaires, des meubles et des ustensiles qui les ornaient, les tombeaux des rois sont encore d'un intérêt extraordinaire. Les sculptures et les bas-reliefs sont admirablement conservés, et quantité de peintures sont, après tant de siècles, d'une fraîcheur et d'une vivacité incroyables.
Sur les cinquante tombes royales dont les historiens nous parlent, une quarantaine ont, je crois, été retrouvées et sont aujourd'hui ouvertes au public. Elles sont toutes taillées à même le roc et sont composées de longs couloirs conduisant à de vastes chambres, dont la dernière, contenant le sépulcre, est éloignée de 100 à 160 mètres de l'entrée.
Pour les anciens Égyptiens, leur tombeau n'était pas simplement un cercueil enfoui dans un trou, mais un vaste appartement, admirablement orné et décoré par les plus grands peintres et sculpteurs de l'époque, et dans lequel le mort pouvait se promener à son aise et jouir des conforts qui lui étaient connus. Nous trouvons donc sur les murs et sur les colonnes des scènes admirablement rendues de leur vie réelle et de leur vie future, telle qu'ils se l'imaginaient."


extrait de La nouvelle Égypte (1905), par Amédée Baillot de Guerville (1868-1913). Né en France, il émigra aux États-Unis en 1887, où il effectua toute sa carrière de journaliste et agent commercial.

jeudi 6 août 2020

"Une visite au temple de Karnak avec M. Legrain", par Amédée Baillot de Guerville

le "plan incliné" - photo de Georges Legrain, extraite de "Les temples de Karnak", 1929

- Voyez-vous là-bas ces monceaux de maçonnerie ? Eh bien : ce sont les anciens murs de Thèbes ! Quand j'étais enfant et que je lisais que des chariots attelés de nombreuses paires de chevaux galopaient sur ces murs comme sur un boulevard où ils se croisaient et s'entre-croisaient, je regardais les murs de notre villa aux environs de Paris, qui avaient bien 49 centimètres d'épaisseur, et je me disais : "Ça, c'est de la blague !"
Ainsi me parlait M. Legrain, cet homme charmant et érudit, cet égyptologue distingué qui, depuis dix ans, travaille avec une intelligence, une volonté, un acharnement inouïs à la reconstruction des fameux temples de Karnak.
- Eh bien ! continua-t-il, aujourd'hui j'y crois à ces fameux murs, puisque, après tant de siècles passés, je puis encore me promener avec ma petite voiture sur leurs ruines.
Je me demande vraiment ce qu'il faut admirer le plus, des anciens qui ont créé de telles merveilles, ou des modernes qui, comme M. Legrain, donnent le meilleur de leur vie à les faire renaître. Il faut être allé à Luxor, l'ancienne Thèbes, et il faut avoir visité les temples de Karnak pour se faire une idée de la puissance créatrice des vieux Égyptiens ainsi que de la force morale et de la patience de l'homme qui, petit à petit, reconstitue ce qui fut, peut-être, le plus grand temple du monde. Si Mariette pensait que vingt volumes étaient nécessaires pour décrire le temple de Dendérah, combien en faudrait-il pour arriver à donner une juste idée de ce qu'est Karnak ? Ce sont encore aujourd'hui les ruines les plus merveilleuses de l'Égypte, comme au temps de leur splendeur ces temples on été une des merveilles de l'univers. (...)
Au milieu de ce temple, vous trouverez (...) la salle hypostyle, dans laquelle une véritable forêt d'énormes colonnes sculptées élèvent vers le ciel leurs têtes altières. Au milieu il y en a 12 ayant 20 mètres de hauteur et 12 mètres de circonférence, et sur les côtés il y en a 122 s'élevant à 13 mètres et ayant 10 mètres de tour. C'est superbe et grandiose. Mais, depuis le jour lointain où Cambyse détruisit Thèbes, les ruines de Karnak s'étaient petit à petit recouvertes de sable, de terre, de détritus, et le tout avait disparu, enterré, jusqu'au jour où les égyptologues vinrent faire leurs fouilles. Et alors, quand on eut dégagé l'allée des Sphinx et déterré la salle hypostyle, les énormes colonnes sculptées commencèrent à s'ébranler, et plus tard, en 1899, onze d'entre elles s'abattirent avec un fracas effroyable. Les fondations, ébranlées par les changements de niveau du Nil, voisin du temple, n'étaient plus assez solides. Le désastre paraissait irréparable, mais M. Legrain était là et il jura que, coûte que coûte, les colonnes abattues et brisées reprendraient leur place... et elles l'ont reprise !
- Comment diable y êtes-vous arrivé ? lui demandais-je.
- Oh ! me répondit-il avec son charmant sourire, ce fut la chose la plus simple du monde... seulement cela prit beaucoup de temps et beaucoup de travail. D'abord on enleva tous les morceaux de colonnes, on les numérota, puis on les "remisa".  Ceci fini, nous refîmes les fondations, et quand celles-ci furent prêtes, on alla chercher l'un après l'autre, les morceaux de colonne à la remise et on les remit en place. Après, il fallut commencer à abattre les autres colonnes qui menaçaient de tomber d'elles-mêmes, et refaire leurs fondations. Ce n'est pas plus difficile que ça ! 
Émerveillé, je regarde cet homme qui, depuis dix ans, combine les métiers de maçon, d'ingénieur, de charpentier, d'architecte, de savant, puis mes yeux se portent tout là-haut vers les énormes blocs de pierre, et je demande quelle puissance a pu les porter à cette hauteur.
- Mais ça aussi c'est très facile, et cependant nous ne nous servons d'aucun moyen mécanique, d'aucune force motrice. Nous faisons ce que très vraisemblablement les Égyptiens faisaient eux-mêmes... nous nous servons de terre.
- ?...
- Mais oui, de terre. À mesure que la colonne ou le mur monte, nous faisons également monter le sol qui l'entoure. On apporte de la terre, encore de la terre et toujours de la terre, et on arrive ainsi tout là-haut avec un plan doucement incliné, sur lequel il suffit simplement de cordes solides et de nombreux bras pour faire monter les pierres les plus énormes. Nous remuons des blocs pesant 5o.ooo kilogrammes, sans avoir jamais eu à déplorer le moindre accident. Quant à la terre... eh bien ! cet immense temple hypostyle a été rempli et vidé trois fois depuis l'année dernière."


extrait de La nouvelle Égypte (1905), par Amédée Baillot de Guerville (1868-1913). Né en France, il émigra aux États-Unis en 1887, où il effectua toute sa carrière de journaliste et agent commercial.