Le Musée occupe aujourd'hui un immense palais, admirablement situé et dont la construction vient seulement d'être achevée.
On y trouve des merveilles sans nombre, que la pioche des savants égyptologues a arrachées aux mystérieuses cachettes où elles avaient dormi paisiblement pendant des siècles. Il y a là, entassée dans les vastes salles et remontant à des milliers d'années avant Jésus-Christ, toute l'histoire de la civilisation de l'Égypte. Ses rois et ses reines, ses princes et ses princesses, ses soldats et ses prêtres, ses guerres et ses conquêtes, ses deuils et ses fêtes, ses arts et ses jeux - tout cela est là sous forme de momies aux masques d'or, de statues de pierre, de granit, de bronze, de bas-reliefs admirablement sculptés, de tablettes commémoratives, d'animaux, de fleurs, de meubles, d'ustensiles de toute espèce.
Je ne connais rien de plus émouvant que ces temples du passé, où sont réunis tout ce qui a été la vie et, hélas ! la mort de peuples grands et puissants - tout ce qui a fait la gloire, le bonheur et les tristesses de ceux qui, il y a trente, quarante, cinquante siècles, jouissaient, tout comme nous le faisons aujourd'hui, de ce beau soleil vivifiant et de la vie qui conduit au néant !
Les statues, les vases, les autels, les pierres à sacrifices, les sarcophages, les bas-reliefs, tout cela, le confesserai-je, me laisse bien indifférent, mais je suis attiré par un attrait invincible vers toutes les vitrines qui contiennent les bibelots que touchaient chaque jour, il y a des milliers d'armées, les mains souples et nerveuses alors, raidies et desséchées aujourd'hui, de ces formes humaines qui dorment ici même, dans des boîtes à momie, le sommeil qu'est venu brutalement interrompre notre civilisation chercheuse, farfouilleuse et irrespectueuse des morts. Ici ce sont des objets de toilette, là de délicieux bijoux, prouvant quels fins orfèvres vivaient trois ou quatre mille ans avant notre ère. Des bagues, des boucles d'oreilles, des chaînes, des couronnes, des diadèmes, des pendants, des pièces exquises en or finement ciselé et incrusté de pierreries, qui ont orné des princesses et des femmes belles, puissantes, aimées. Ah ! parlez donc de l'art nouveau et des horreurs qu'on fait aujourd'hui en son nom, et je vous crierai : "Venez, venez voir ce que les vieux Égyptiens faisaient et quel goût sûr et exquis ils déployaient !"
Et mon émotion augmente encore quand mes yeux étonnés s'arrêtent sur des fleurs desséchées et admirablement conservées, des fleurs qui, par une matinée ensoleillée, sortirent de terre il y a des milliers d'années, furent cueillies par une main alerte et heureuse de vivre, des fleurs auxquelles des lèvres amoureuses confièrent peut-être des paroles de tendresse et d'espoir !
Ah ! Seigneur, se peut-il que tout cela, qui fut l'essence de la vie d'un peuple, soit venu jusqu'à nous, pour nous rappeler à travers les siècles passés toute la vanité des espoirs terrestres !
Amen ! me crierez-vous. Soit, n'en parlons plus. Laissons les morts à M. Maspéro et à ses savants collaborateurs, et filons vers l'air, la lumière, le mouvement, la vie."
extrait de La nouvelle Égypte, ce qu'on dit, ce qu'on voit du Caire à Fashoda, par Amédée Baillot de Guerville (1868-1913). Né en France, il émigra aux États-Unis en 1887, où il effectua toute sa carrière de journaliste et agent commercial.