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mardi 14 novembre 2023

"L'architecture égyptienne parvenue à son plus haut degré de perfection" (Jules Lacroix de Marlès - XIXe s. - à propos de Dendérah)

Lithographie de Völkergalerie b. Goedsche, vers 1840

"À peine arrivés à Denderâh, nos voyageurs se dirigèrent vers les ruines, laissant leurs équipages à la garde des deux affranchis de Mohammed et de leurs propres serviteurs. Ils remarquèrent d'abord une très grande porte, formée de blocs énormes, tout chargés d'hiéroglyphes. À travers cette porte, ils aperçurent le temple fameux qui ne le cédait en grandeur qu'à celui de Thèbes, et qui le surpassait de beaucoup par la pureté du style, la beauté des proportions et la délicatesse du travail. Cet édifice, le mieux conservé de l'Égypte, a un caractère majestueux qui d'abord étonne, ensuite plaît et attache.
"C'est ici, s'écria M. Roland avec une sorte d'enthousiasme, que nous devons chercher le véritable type de l'architecture égyptienne parvenue à son plus haut degré de perfection. C'est un genre simple et grave où toutes les parties, dirigées vers un but unique, sont disposées de manière à concourir à la beauté du monument. Toutefois, les ornements n'y sont pas épargnés, et les bas-reliefs forment eux-mêmes des chefs-d'œuvre particuliers ; mais comme, vus d'un peu loin, ils sont presque imperceptibles, ils ne nuisent pas à l'ensemble : leur effet se fond, pour ainsi dire, avec l'effet général que l'aspect du monument doit produire. Il paraît, au surplus, que les anciens Égyptiens avaient adopté des règles de convention suivant lesquelles une figure exprimait, par sa pose et son attitude plus que par sa physionomie toujours muette, l'idée de l'architecte et 
la nature du monument. Il semble que le sculpteur devait se renfermer dans un cercle déterminé, et donner à sa statue quelque attitude convenue, capable de rendre l'idée attachée à cette attitude.
Ces figures sont toutes entourées d'hiéroglyphes, formant probablement des explications ; d'autres hiéroglyphes couvrent les murailles et les plafonds, et servaient d'inscriptions aux peintures.
Ces tableaux représentent des cérémonies religieuses, des usages nationaux, des procédés mécaniques, des scènes d'agriculture. Les plafonds offrent principalement des représentations de corps célestes. Toutes les peintures sont distribuées avec goût et le plus souvent accompagnées de gracieuses arabesques. Le grand zodiaque, transporté à Paris en 1821 et acheté par le roi, était attaché au plafond d'une grande salle bâtie sur le comble du temple. Ce zodiaque est actuellement déposé à la bibliothèque royale."

extrait de Firmin, ou Le jeune voyageur en Égypte, par Jules Lacroix de Marlès (17.-1850?), écrivain catholique et historien français du XIXe siècle. Il est l'un des principaux rédacteurs de l'Encyclopédie Catholique.

vendredi 31 juillet 2020

"Le plus beau pays de l'Égypte et notamment du Delta, entre les deux principales branches du Nil", par Jules Lacroix de Marlès

photo extraite de L'Égypte et la Nubie : Grand album monumental, historique, architectural : Reproduction par les procédés inaltérables de la phototypie de cent cinquante vues photographiques par M. Béchard, artiste photographe (1844-18..?)
"M. Roland avait eu d'abord l'intention de remonter le Nil par sa rive gauche ; M. Dupré l'avait déterminé à prendre d'abord la rive droite, afin de revenir par la chaîne libyque ; mais la rencontre du Mamlouk Mohammed l'avait ramené à son premier plan, tant son ancienne connaissance l'avait pressé de se rendre à Fayoûm, où , disait-il, il ferait préparer d'avance tout ce qui lui serait nécessaire pour faire son voyage avec sûreté, commodité et agrément. M. Roland céda d'autant plus aisément, que ce changement, approuvé d'ailleurs par M. Dupré , s'accordait avec ses premières idées ; et l'homme le moins attaché à son opinion, on le sait, n'est jamais fâché de la voir adopter par les autres ; seulement il fut convenu qu'on mettrait à profit les jours qui restaient du mois de décembre pour visiter toutes les villes du Delta. Dès le lendemain, nos trois voyageurs prirent la route de Damiette. 
- Nous voici, dit M. Roland, après deux ou trois heures de marche, dans le plus beau pays de l'Égypte et notamment du Delta, entre les deux principales branches du Nil. Vous voyez devant vous et autour de vous un pays plat sans montagnes, coupé en tous sens de canaux qui répandent la fertilité sur leurs rives ; cette végétation si active, qui dans le court espace de quatre mois doit produire trois récoltes, est un vrai prodige qui tous les ans se renouvelle. Quelles délicieuses campagnes, quels jardins d'Armide ne ferait-on pas en France, en Angleterre avec ce terrain, ce climat et ce fleuve ! Au reste , il n'en est pas de même dans le Delta extérieur, c'est-à-dire au delà des deux branches du Nil, à l'orient et à l'occident ; car des deux côtés l'Égypte est gardée par des déserts.
- Je conçois maintenant, dit Firmin, ce que vous m'avez un jour expliqué : comment il a pu se faire que le Delta ait été produit par le dépôt successif des limons du Nil et la retraite des eaux de la mer.
- Ah ! s'écria Edmond , c'est une plaisanterie que vous voulez me faire. Quoi, ce pays sur lequel
je vois tant de villes modernes et tant de ruines de villes anciennes, ce pays aurait été couvert autrefois par les eaux de la mer !
- Je crois, répliqua M. Roland, qu'on n'en saurait douter, quand on compare tous les témoignages. L'ancienne Heptanomides, c'est-à-dire le Vostani ou moyenne Égypte, offre de frappants vestiges du séjour de la mer ; dans les vallées de la Thébaïde ou Saïd, on remarque, à la hauteur de plusieurs coudées, d'immenses lits de coquillages marins ; ces coquillages forment aussi la base de plusieurs montagnes de la chaîne libyque ; d'un autre côté, le Nil dépose tous les ans sur le sol qu'il inonde une couche épaisse de limon ; son lit, vers ses embouchures, perd sensiblement de sa profondeur ; les terres qu'il charrie, refoulées par les vagues, forment entre Rosette et Damiette des barres qui interceptent l'entrée du fleuve et le passage des navires : toutes ces considérations, réunies aux récits des anciens historiens, semblent prouver jusqu'à l'évidence que le sol, élevé progressivement par les terres que le fleuve dépose, a vu peu à peu les eaux de la mer se retirer.
Hérodote dit formellement que le terrain de l'Égypte est un présent du Nil ; la mer, suivant lui, s'étendait originairement jusqu'à Memphis. Il a vu des coquillages incrustés dans les rochers voisins de cette ville. Il a vu aussi, scellés aux
murailles, des anneaux auxquels on amarrait les vaisseaux. Aristote s'exprime d'une manière non moins positive ; Homère assure que de son temps l'île de Pharos, que les Lagides joignirent au continent par une chaussée, était séparée de l'Égypte de tout l'intervalle qu'un vaisseau peut franchir en un jour. Les historiens arabes prétendent que les premiers Pharaons régnaient à Syène, dont la mer baignait les murailles ; ils ajoutent que la mer s'étant insensiblement retirée, les terrains qu'elle laissa découverts se chargèrent des limons du Nil, ce qui les fertilisa en les exhaussant. Or nous savons que les Arabes n'écrivaient guère l'histoire que sur les traditions locales, et parmi les traditions de l'Orient, l'une des plus répandues se rapporte à la retraite successive des eaux de la mer et à l'établissement des premières peuplades égyptiennes sur les hauteurs de la Thébaïde.
Les Coptes ne doutent pas que le Delta ne fût un bas-fond, que les limons du Nil ont peu à peu comblé. Ils attribuent à Joseph le dessèchement de cette contrée au moyen des canaux qu'il creusa et des digues par lesquelles il contint les eaux du fleuve. Les prêtres d'Héliopolis, malgré leurs pré-tentions à une antiquité sans limites, apprirent à Hérodote, qu'au temps du roi Mœris, tout le Delta était couvert par le Nil dès que la crue était de huit coudées ; et, comme à l'époque où l'historien grec se trouvait en Égypte la crue devait être de
quinze coudées, il en conclut que, dans les neuf siècles qui s'étaient écoulés depuis le roi Mœris, le sol s'était élevé de sept coudées. L'existence de débris marins aux environs de l'ancienne Memphis est encore un fait avéré.
Je pourrais ajouter beaucoup de preuves, beaucoup de raisonnements à ce que je ne fais qu'énoncer ; mais ce n'est pas ici le lieu : non erat hic locus, et je n'oublie pas le précepte de Plaute ; je me contente de dire que je regarde comme un point constant que l'Égypte, et principalement le Delta, ont été couverts par les eaux dans les premiers âges, et que le Nil profitant pour s'étendre de leur retraite progressive, en a exhaussé le sol par le dépôt périodique des sables et des terres qu'il entraîne dans les débordements."



extrait de Firmin, ou Le jeune voyageur en Égypte, par Jules Lacroix de Marlès (17..-1850?), écrivain catholique et historien français du XIXe siècle. Il est l'un des principaux rédacteurs de l'Encyclopédie Catholique.