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samedi 24 avril 2021

Description du vieux Caire, par Paul Lucas (XVIIe - XVIIIe s.)

Carte du vieux Caire - 1736 - par Richard Pococke

"Pendant que je restai dans cette ville je fus au vieux Caire visiter le lieu où l'on dit que Notre Seigneur, la sainte Vierge et saint Joseph ont demeuré. 
Le vieux Caire est loin du nouveau environ d'un mille et demi. L'on passe dessous un grand aqueduc qui conduit l'eau du Nil dans le château, et ensuite devant les greniers que Joseph fit bâtir pour mettre le blé. Les Turcs en font encore aujourd'hui le même usage ; et je crois que c'est le seul de tous les bâtiments antiques qu'ils ont soin de réparer. 
Le vieux Caire est tout plein de ruines : tous les habitants en sont Coptes et Grecs, et ces deux sectes y ont chacune une église. Celle des Grecs est en manière de dôme, et n'a rien de particulier : elle est dédiée à saint George. Il y a un couvent de filles grecques attaché à cette église ; elles sont toujours au nombre de cent, et n'y sont point reçues qu'elles n'aient près de cinquante ans.
L'église des Coptes est assez belle, et bâtie au-dessus de la chambre qui a servi d'habitation à Jésus-Christ et à la sainte Vierge. C'est dans cette église à côté du choeur que l'on va par une allée à la chambre de la sainte Famille. Il faut descendre quelques degrés d'environ deux pieds de large, et l'on se trouve sous une voûte de vingt pieds de long, et dix de large. C'est donc en ce petit lieu, qui est tout simple, que l'on dit que Jésus, la Vierge et Joseph ont demeuré pendant deux années. Cette petite voûte ne reçoit de jour d'aucun endroit. À main gauche en entrant l'on voit une pierre, où l'on dit que la sainte Vierge lavait les linges de l'enfant Jésus ; et devant il y a comme une espèce de petit four, et une avance qui sert d'autel. En se retournant dans un coin, entre la voûte et la pierre du mur, il y a un gros morceau de bois que les Coptes croient être de l'arche de Noé. Après que j'eus fait mes prières dans ce saint lieu, je remontai à l'église de dessus.
L'on me fit remarquer que dans la nef de cette église il y avait plusieurs Francs enterrés. Quand il en meurt quelques-uns au Caire, on les y apporte à la pointe du jour sur un brancard sans grande cérémonie. Tout le reste de la nation se rend au bout d'une heure à l'église, et l'on fait les funérailles du défunt. Les Coptes prennent deux piastres pour la place de la fosse. 
Nous sortîmes de cette église, dont la porte comme toutes celles des autres Chrétiens en Orient est très basse. Cet usage n'est, à ce qu'on me dit, que pour empêcher les Turcs d'y entrer à cheval, ce que les Chrétiens même observent dans leurs maisons particulières.
Un jour j'accompagnai M. le Consul à l'audience du Pacha ; le Consul va à cheval, et six janissaires mitrés marchent devant lui. Il y a six grands valets en habits uniformes, qui marchent trois de chaque côté. Toute la nation va ensuite montée sur des bourriques, car il n'est permis qu'au Consul d'aller à cheval ; encore les gens murmurent-ils quand ils le voient passer. J'entendis dire à un marchand qui était à la porte quand nous passions : Ah ! pauvre cheval, quel péché as-tu commis pour avoir mérité la peine de porter un infidèle ? car dans toute la Turquie ils traitent ainsi tous les Chrétiens de jiaours, qui veut dire infidèles." 


extrait de Voyage du sieur Paul Lucas au Levant, 1731

Paul Lucas (1664 - 1737), marchand, naturaliste, médecin et antiquaire normand, effectua son voyage au Levant de juin 1699 à juillet 1703. Ses observations "sont à la fois le résultat d'une interprétation personnelle souvent très fantaisiste et d'une compilation d'ouvrages contemporains ou antérieurs. (...) Paul Lucas est loin d'être un guide absolument sûr. Mais il est le premier vulgarisateur." (Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, 1956)

L'orthographe de certains mots a été rétablie selon sa forme actuelle.