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vendredi 19 juillet 2019

Touna el-Gebel, avec Jean Leclant, Jean-Philippe Lauer et Arpag Mekhitarian

Touna el-Gebel Tomb of Petosiris - source "Famous Pharaohs"

“L'édifice le plus important de la nécropole de Tounah est le tombeau de Pétosiris, construction imitant le pronaos des temples de Basse Époque. Dans la cour, un autel carré de type non-égyptien. La façade est faite de quatre colonnes à chapiteaux floraux, reliées entre elles par des murs d'entre-colonnement. Le vestibule est consacré à Pétosiris lui-même, grand prêtre de Thot à Hermopolis ; la chapelle, à son père et à son frère Djed-Thotefankh. Le puits menant au caveau est fermé, le cercueil de Pétosiris ayant été transféré au musée du Caire.
Les bas-reliefs ornant les parois sont d’un extrême intérêt : sculptés vers 300 av. J.-C., ils sont typiques de cet art gréco-égyptien, où les thèmes traités demeurent traditionnellement du répertoire pharaonique ; mais ils sont conçus dans un style “grécisant”. Voici, sans entrer dans les détails, une description sommaire des principaux tableaux représentés :
Sur les entre-colonnements de la façade, côté extérieur : Pétosiris adorant des divinités hermopolitaines ; côté intérieur : scènes artisanales. Mur du fond du vestibule (paroi S.), des deux côtés de l’entrée de la chapelle : scènes d’offrandes et de sacrifices de style hellénistique. Paroi E. du vestibule (mur gauche) scènes agricoles ; paroi O. (mur droit) : bétail, vendange et pressoir. Dans la chapelle, paroi N., côté E. de l'entrée : déesse du Sycomore, Pétosiris adorant son père, passage du gué ; côté O.: Pétosiris et son frère attablés. Paroi O. (mur droit) : adoration de divinités infernales et d’Osiris par Djed-Thoteïankn ; au registre inférieur, porteurs d’offrandes. Paroi S. (mur du fond) : adoration de divinités diverses - Ré, Osiris, Isis, etc. ; au registre inférieur, à droite, des marais avec des hippopotames et un crocodile. Paroi E. (mur gauche) : funérailles et processions de porteurs d’offrandes ; à droite, purification de la momie de Nes-Shou.
Autant que ces scènes, les inscriptions qui les accompagnent sont d'une grande importance par la haute tenue morale qu’elles révèlent et par un aspect, quasi mystique, de la religion personnelle dont rarement les Égyptiens nous ont laissé, comme ici, le témoignage.
Derrière le tombeau de Pétosiris, il y a toute une cité des morts, comme un véritable village avec des rues et des maisons, de type mi-égyptien mi-hellénistique, où les survivants se réunissaient périodiquement, à certains anniversaires, comme le faisaient déjà les Égyptiens de haute époque et comme le font encore leurs lointains descendants dans les cimetières musulmans.
Ces tombes-maisons, dont quelques-unes sont à deux étages, comprennent plusieurs chambres dont l’une contient un lit de parade où l’on exposait le mort avant de le descendre dans le caveau souterrain. Leurs parois sont recouvertes de stuc et peintes soit de scènes funéraires égyptiennes, soit, le plus souvent, d’imitations de bois et de marbres à la manière aleandrine ou pompéienne. Elles datent, pour la plupart, de l’époque gréco-romaine (du IIIe av. J.-C. au IIe s. de notre ère). Les plus importantes d’entre elles sont celle d’Isidora, une jeune fille morte noyée en 120 av. J.-C. et celle de Neith, du Ier s. av. J.-C., qui est décorée de tableaux rappelant les vignettes du Livre des Morts.”
(extrait du Guide Nagel “Égypte”, 1969)

Récemment (janvier-février 2019), plus de quarante momies très bien conservées d’hommes, de femmes, d’enfants et d’animaux ont été trouvées sur le site. Selon le ministère égyptien des antiquités, ces hommes et ces femmes, Ces momies, découvertes dans un tombeau familial, ont été identifiées comme appartenant à la “petite bourgeoisie” de l’époque ptolémaïque.

Tell el-Amarna, avec Jean Leclant, Jean-Philippe Lauer et Arpag Mekhitarian


“Tell el-Amarna est un nom artificiel dérivé du village d’at-Till où est venue s'installer, au début du XVIIIe siècle, une tribu bédouine, les Bani ’Amrân. Cette appellation, réservée d’abord au site archéologique, a été définitivement consacrée, vers les années 1930, par la création d’une station de chemin de fer du même nom sur la rive gauche. Les archéologues l’abrègent encore en Amârna et parlent même d'art amarnien pour désigner le style de l'époque d’Aménophis IV-Akhenaton. Lorsque celui-ci se brouilla avec le clergé d’Amon et quitta l’antique Thèbes, il chercha à installer sa nouvelle capitale dans une région qui n’appartînt jusque-là à aucun dieu ni à aucune déesse.
Il choisit ce cirque de montagnes formant comme un arc de cercle, de près de 25 km. de longueur, qui touche au Nil par ses deux extrémités. Entre Cheikh Sa’îd au N.. et le village de Haouata au S.. il y a une douzaine de km. C'est sur les bords du fleuve que la cité, avec ses temples, ses palais, ses maisons et ses bureaux administratifs, fut bâtie en briques crues et en bois. Quant aux tombes, elles furent, comme dans la nécropole thébaine, creusées dans la montagne : elles sont groupées au N. et au S. d’un ouâdi (le Darb el-Malik) qui part vers l’E. conduisant à la tombe de la famille royale (aujourd’hui fermée au public). Deux autres ouâdis, el-Gebel l’un au N., l’autre au S., mènent à des carrières de calcaire et d’albâtre : celles du N., dites carrières de la reine Tiy, sont facilement accessibles ; celles du S.. exploitées dès le règne de Khéops et connues sous le nom de Hatnoub, sont situées au bout d’une vallée de 11 km. de longueur.
Le domaine qu'Aménophis IV-Akhenaton consacra au disque solaire, Aton, se trouvait en fait dans le nome d'Hermopolis. Le roi en délimita les frontières en gravant sur les rochers quatorze stèles dont onze se trouvent à Tell el- Amârna même et trois autres près de Tounah el-Gebel. Plusieurs de ces stèles, les plus belles, furent mutilées entre 1930 et 1934 dans un esprit de vengeance contre un des gardiens du site !
Akhetaton ou “Horizon du Disque”, nom égyptien de la ville du roi “hérétique”, eut une existence éphémère, une douzaine d’années : la hâte avec laquelle elle fut construite se manifeste un peu partout ; mais abandonnée presque aussitôt après la mort d’Aménophis IV-Akhenaton, elle nous est parvenue intacte et nous apporte ainsi l’unique témoignage d’envergure de l’urbanisme au temps des pharaons. Certes, pour le touriste, la visite de ruines en briques, ne dépassant pas un mètre de hauteur et souvent recouvertes de sable, est plutôt décevante ; mais, l’imagination aidant, il pourra se figurer l’animation qui régnait dans la cité au moment de sa splendeur : il sera aidé en cela par les représentations murales des tombes, dont l’iconographie anti-conventionnelle révèle le non-conformisme de Ia vie à Akhetaton. Rompant avec la tradition de rigidité de ses prédécesseurs, Akhenaton voulut, en effet, “démocratiser” les institutions, le culte religieux, les cérémonies royales et jusqu’à la langue officielle qu'il remplaça par le langage parlé. Le fameux hymne au soleil qu’il rédigea dans cette langue moderne, et dont plusieurs versions ont été gravées dans les tombes des nobles, est une des pages les plus lyriques de la littérature universelle.”
(extrait du Guide Nagel “Égypte”, 1969)

jeudi 7 février 2019

"L'Égypte est le pays du Nil et du soleil " (Jean Leclant)

 
par Charles-Théodore Frère (1814 - 1888)
"Peu de civilisations ont été plus directement conditionnées par leur milieu naturel : l'Égypte est le pays du Nil et du soleil. À ces maîtres souverains d'une régularité implacable, elle doit sans doute l'ordre préassigné qui préside à son art. Les formes sont celles qu'impose une lumière exemplaire ; terre de contrastes absolus : le charme exubérant de la vallée s'oppose à la rigueur des falaises brûlées de sécheresse qui la limitent ; à l'abondance que nourrit le fleuve s'allie sans transition l'immensité grandiose du désert. De cet ordre immuable procède l'affirmation de permanence, mieux peut-être : de perpétuel recommencement, qui domine l'univers égyptien.
L'Égypte "présent du fleuve" : cette définition des prêtres égyptiens que rapporte Hérodote à propos du Delta est d'une profonde justesse. Père de la géographie autant que de l'histoire, Hérodote donne ailleurs une définition plus précise encore: "L'Égypte est le pays que le Nil arrose en le recouvrant ; sont Égyptiens ceux qui, habitant au-dessous de la ville d'Éléphantine, boivent l'eau de ce fleuve." C'est au Nil qu'on doit le paradoxe constitutif de l'Égypte : en plein cœur de la zone désertique la plus rigoureuse du globe, cette bande de verdure, d'une merveilleuse fertilité, troue l'immensité de déserts terribles dont écharpe s'étend du Sahara jusqu'au fond de l'Asie. Il faut au Nil, issu des massifs pluvieux du centre et de l'Est africain, une extraordinaire puissance pour apporter l'eau et la vie jusqu'en Égypte, sur plus de 6000 kilomètres, l'un des plus longs parcours fluviaux du monde. Assuré par le Nil Blanc de l'apport constant des grands lacs équatoriaux, recevant du Nil Bleu les remous fougueux de la crue lors de la fonte des neiges en Éthiopie, le fleuve, après le confluent de ses deux bras à Khartoum, n’a plus qu’un seul tributaire, l'Atbara, torrent abyssin irrégulier. Désormais, sur des centaines de kilomètres, il doit affronter les solitudes les plus rigoureuses du monde : pas de confrontation plus grandiose que celle du Nil et du Sahara, à travers Soudan et Nubie ; malgré l’évaporation, les infiltrations, il roule ses eaux, puissant et solitaire. (...)

Spectacle magnifique que celui du Nil au moment où il avait envahi les campagnes : le sol de la plaine était ennoyé, les bourgs dépassant comme des îlots ; dans cette mer intérieure, aucune communication n'était possible, sinon en bateau. D'où la vision égyptienne de la création du monde : une butte émergeant du primordial, tout comme dans le fleuve paraissent de longues traînées de sable et de limon tout de suite envahies de végétation et de vie, lorsque s'amorce la décrue.
Pour les anciens Égyptiens cependant, chose étonnante, Hapy - le Nil ou la crue - n'est pas à proprement parler une divinité. On l'appelle parfois "le père des dieux". Mais le personnage pansu, à la mamelle pendante, au pagne noué comme les pêcheurs des marais, couronné de plantes aquatiques, n'est qu'un comparse ; il ne reçoit pas l'adoration ; au long des parois des temples il s'avance portant une table d'offrandes chargée de victuailles, de bottes de fleurs et de gerbes : préposé à la médiation des richesses en ce monde, il les retourne en hommage aux dieux après les avoir dispensées aux hommes, selon les ordres divins.
En revanche, se tournant vers le ciel d'une sérénité exemplaire, l'Égyptien y adorait un autre rythme, tout aussi régulier et inéluctable que la crue : celui du soleil. Chaque jour voit sa naissance subite et éclatante à l'orient du ciel ; son apogée dominatrice avec l'extraordinaire luminosité du jour ; son brusque coucher le soir, d'une rapidité dramatique. Comment ne se serait-il pas formé, dès l'époque préhistorique, une doctrine héliopolitaine à la gloire du dieu Soleil ? Comment les souverains de la IVe dynastie, qui dressèrent les grandes pyramides sous l'inspiration d'une symbolique solaire, n'auraient-ils pas introduit Rê dans leur nom ?"


extraits du Prologue, par Jean Leclant  (orientaliste et égyptologue français - 1920 - 2011), de l'ouvrage collectif Le Temps des Pyramides - De la Préhistoire aux Hyksos (1560 av. J.-C.), Gallimard, 1978
 

mardi 18 septembre 2018

La part "capitale" de Champollion dans le déchiffrement de l'ancien égyptien, par Jean Leclant

"Je tiens l'affaire" (Champollion)
"... sans doute est-il temps de nous tourner vers Champollion et de mettre en valeur sa part, capitale, dans le déchiffrement de l'ancien égyptien. Enfant prodige dont les jeux se font en hébreu ou en grec, en arabe ou en syriaque, adolescent enthousiaste qui sait que le copte lui donnera le chemin vers l'égyptien ancien, on nous l’a présenté à seize ans déjà membre de l'Académie de Grenoble. Grâce à son frère, infatigable collectionneur de grimoires, en quête d'insolite, il dispose d’une étonnante documentation.
"Les matériaux précieux, écrit ce dernier en juin 1811, que mon frère a entre ses mains et qui sont le fruit de nos recherches, de mes voyages et de sacrifices pécuniaires très considérables, ces matériaux entre lesquels sont 14 manuscrits égyptiens inédits, alphabétiques ou hiéroglyphiques, et dont quelques alphabétiques sont la traduction de quelques autres hiéroglyphiques, lui donnent beaucoup d'avantages sur qui que ce soit et lui laissent espérer de faire au moins un ouvrage curieux, s’il ne fixe point définitivement l'opinion du monde savant relativement à l'Égypte des Pharaons." 
En 1812, Jean-François Champollion peut écrire du copte : "J'ai tellement analysé cette langue que je me fais fort d'apprendre la grammaire à quelqu'un en un seul jour. J'en ai suivi les chaînes les plus perceptibles. Cette analyse complète de la langue égyptienne donne le fond du système hiéroglyphique et je le prouverai. Mais chut..." Il fallut attendre dix ans cette démonstration (...)
Encore qu’il demeure assez difficile de suivre en détail le cheminement de la pensée de Champollion, il semble bien qu’il ait hésité longtemps sur le principe même de l'écriture égyptienne. À travers ses publications, ses lettres, ses papiers, on note d’étonnantes oscillations, marques sans doute de la surtension intellectuelle dans laquelle il vit. (...) Champollion est convaincu de l'unité du système graphique égyptien ; les trois écritures dérivent l'une de l’autre et dans cet ordre : hiéroglyphique, hiératique et enfin démotique.
En 1821, des troubles éclatent à Grenoble et J.-Fr. Champollion y participe ; sa chaire à l’Université est supprimée. Il vient s'installer à Paris auprès de son frère, 28, rue Mazarine. ll y connaît le calme.
Il peut aussi profiter de matériaux en abondance. L’attention de Champollion s’est fixée entre-temps sur l'analyse du nom de Ptolémée, tant en démotique qu’en hiéroglyphique. Il choisit de vérifier ses hypothèses sur le nom de Cléopâtre. La forme démotique de ce dernier nom lui est bientôt offerte par un manuscrit de la bibliothèque royale rapporté d'Égypte par le voyageur Casati ; ce contrat de l'an 36 de Ptolémée Philométor était un nouveau bilingue en démotique et en grec. Les progrès de Champollion en démotique avaient été rapides, suscitant l'admiration de Silvestre de Sacy.
Sur le texte démotique de la pierre de Rosette, Champollion présente, devant l’Académie, le 26 juillet 1822, un mémoire resté inédit ; il lit un nouveau mémoire sur le démotique au cours des séances des 23 et 30 août, puis du 20 septembre 1822.
Manquait la forme hiéroglyphique du nom de Cléopâtre que la pierre de Rosette, incomplète, ne fournissait pas ; elle fut donnée à Champollion, en janvier 1822, par l'obélisque de Philae. Le monument, de dimensions modestes, objet des convoitises des consuls qui se partageaient alors l'exploitation des antiquités, parvint en 1821 à Kingston Hall, en Angleterre, dans la propriété de Bankes.
Celui-ci publia alors une plaquette illustrée de trois planches, d'ailleurs de petites proportions. Dans son essai d'interprétation, Champollion eut quelque chance ; c'est en fait un pseudo-bilingue : les inscriptions grecques du piédestal, dont la plus longue avait été relevée dès 1816 par Cailliaud, sont des copies de lettres échangées entre les prêtres et Ptolémée VIII Évergète II, ce monstre de cruauté et de vices que les Alexandrins surnommèrent Physcon, 'le bouffi', tandis que sur l’obélisque il s’agit seulement de protocoles royaux traditionnels et d’épithètes divines. Mais le nom de Cléopâtre était là ; l’essai de comparaison entre les signes notant le nom de Ptolémée et ceux de Cléopâtre s’avéra concluant. Si Bankes avait pu supposer que le nom de Cléopâtre figurait sur son monument, il n’a, pas plus que Thomas Young, jamais rien publié à ce sujet ; tous deux auraient été incapables d'en faire la démonstration. Aussi ne saurait-on d'aucune façon s’associer à l’indignation ultérieure de Thomas Young qui alla jusqu'à écrire à San Quintino : "Ergo opera illius mea sunt", "ses résultats sont mes miens."

Encouragé, Champollion s'applique aux cartouches des autres souverains tardifs d’origine étrangère. Il pouvait en trouver les exemples nombreux, tout comme d’ailleurs ceux des glorieux Pharaons indigènes, sur les planches de la Description de l'Égypte, combien précieuses si même elles ne sont pas toujours exactes - et Champollion ne se priva pas de le faire remarquer à maintes reprises, à la grande ire de Jomard. C'est cependant sur des cartouches reçus de Nicolas Huyot, l’un des grands découvreurs des monuments d'Égypte et de Nubie, que le 14 septembre 1822, soudain,  Champollion lut les noms de Thoutmosis et de Ramsès.
"Je tiens l'affaire", s’écria-t-il et, selon la légende, il tomba dans une sorte de léthargie."


extraits de : Leclant Jean, "Champollion, la pierre de Rosette et le déchiffrement des hiéroglyphes", in : Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 116ᵉ année, N. 3, 1972. pp. 557-565 

Persee