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dimanche 26 mai 2019

Les arts mineurs au cours du Nouvel Empire, par Étienne Drioton et Jacques Vandier

Cuillère à fard du type à la nageuse
Photo (C) RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski
Musée du Louvre
"On a vu que le luxe s'était considérablement développé en Égypte, au cours du Nouvel Empire. Ce fut évidemment dans les arts mineurs que cette tendance nouvelle se fit tout particulièrement sentir. S'il est difficile de se rendre compte des progrès réalisés dans des habitations civiles, il est aisé, en revanche, de porter un jugement sur l'évolution des arts mineurs, au cours de cette époque. Notre documentation est constituée, soit par les représentations des tombes thébaines, soit par les innombrables objets trouvés au cours des fouilles, et actuellement conservés dans les différentes collections égyptologiques. Enfin, la découverte de la tombe, à peu près intacte, de Toutânkhamon nous a apporté un ensemble unique qui a certainement ajouté beaucoup à notre connaissance des arts mineurs au Nouvel Empire.

Les peintures des tombes égyptiennes de cette époque nous apportent de précieux 
renseignements sur le costume civil. La mode s'était beaucoup compliquée depuis le Moyen Empire : l’humble pagne, qui n'était plus porté que par les paysans et par les ouvriers, avait fait place à un costume d’apparat, qui se composait d'une jupe, bouffante par devant, et d’une tunique, dont les plis, soigneusement étudiés, tombaient avec art : les pieds étaient chaussés de sandales élégantes, dont la pointe était parfois relevée à la poulaine. La coiffure, enfin, particulièrement celle des femmes, était très soignée : on aimait les lourdes perruques frisées, retombant en deux grosses masses, de chaque côté du visage, et égayées de bandeaux de perles et de fleurs. Les femmes étaient vêtues de longues tuniques plissées, ornées de manches très amples, qui laissaient les bras à découvert. Les anciens bijoux, colliers, bracelets et périscélides, constitués par l'assemblage de perles de faïence polychromes, continuaient à être à la mode. (...)
Les objets de toilette, étuis à styles, pots à kohol, ont été traités avec un rare bonheur par les artistes de cette époque, mais c'est dans la fabrication des cuillers à parfums que les arts industriels du Nouvel Empire ont excellé. Dans ces modestes objets de toilette, les artistes ont fait preuve d’imagination, de mesure et de goût dans le choix des motifs, et, dans la manière dont ils ont su les traiter, d’une liberté et d'une grâce qui, même lorsqu'elles touchent à la mièvrerie, donnent à l’objet un grand charme. Le manche est souvent formé par le corps nu et délicatement modelé d’une fillette qui, au milieu d’un fourré de papyrus, dont le rôle est purement décoratif, joue du luth, cueille ou respire une fleur, ou encore s’avance, chargée de gibier d’eau et de fleurs. Plus massives et plus réalistes sont les cuillers dont le manche est formé par le corps puissant d’un nègre qui paraît succomber sous le poids d’un grand vase qui sert de cuilleron, et qu'il soutient dans un geste plein de vérité. On ne saurait citer tous les motifs que les artistes de cette époque utilisaient, et qu'ils se plaisaient à varier, mais on doit au moins mentionner le type dit "à la nageuse", qui eut une grande fortune au Nouvel Empire : une fillette nue semble pousser devant elle, à la nage, soit un simple bassin de forme généralement rectangulaire, soit un canard dont le corps évidé sert de cuilleron et dont les ailes mobiles jouent le rôle de couvercle. C’est ainsi que les artistes ont su créer, sous un gracieux, des objets utilitaires d’un charme extrême."

Extrait de Les peuples de l'Orient méditerranées - II - L'Égypte, par Étienne Drioton et Jacques Vandier, PUF, 1938

jeudi 4 octobre 2018

Comment aborder les Pyramides et le Sphinx de Giza, par Étienne Drioton

photo de P. Sébah
"Telles qu’elles apparaissent aujourd'hui, les Pyramides de Giza sont appréciées par le visiteur plutôt comme un élément du paysage que comme des chefs-d'œuvre de l'art de bâtir.
Leur forme élémentaire, leur isolement sur une falaise de désert, leur énormité et leur dégradation superficielle qui laisse à nu, après l'arrachement d’un revêtement soigneusement appareillé, un gros blocage de calcaire que le temps érode à la façon de rochers, les apparente aux œuvres de la nature. Il leur faut, comme aux montagnes, pour être appréciées, le recul dans l’espace et les jeux de la lumière. À aucun moment on n’en saisit mieux la beauté singulière que le matin lorsque, dominant la brume légère qui s'attarde dans la vallée, elles découpent sur le ciel des formes pures que l'aurore anime d’un rose si ardent, à peine estompé d'ombre violacée, qu’on les croirait volontiers diaphanes et irréelles.

De près, avouons-le, l’enchantement est rompu. Il faut un effort à qui s'en approche pour mettre en rapport leur masse écrasante avec les vestiges insignifiants des édifices qui les entourent et qui, dans l'esprit de leurs constructeurs, les reliaient au monde à notre taille et leur donnaient leur signification.
Du reste la façon dont on les abordait jusqu'à ces derniers temps, sans se plier aux exigences de leur antique introduction, n’aidait en rien à les faire comprendre. Pour pratique et confortable qu'elle soit, la route asphaltée menait trop droit à ce qui ne devait être que l'aboutissement d'un pèlerinage gradué. Désorienté par ce contact brutal et sans commentaires avec l'objet dernier de sa visite, c'est à peine si le voyageur pouvait prêter attention, en les considérant à rebours, aux éléments qui auraient dû, en même temps que ses pas, guider son esprit vers le grand œuvre qu'il venait contempler. Le Sphinx lui-même, surpris de dos, ne parvenait jamais à retrouver pour lui sa pleine majesté. Tout ensemble architectural de véritable grandeur est un décor étudié, d'un effet puissant et subtil. Qui prétendrait en jouir, s'il entre par la coulisse et examine à l'envers chacune des pièces qui le composent ?
Le Service des Antiquités vient d'inaugurer une autre voie d'accès qui permettra enfin d'aborder les Pyramides comme elles le doivent, et comme faisaient les visiteurs qui, dans l'antiquité, arrivaient de Memphis située plus au sud, à l'emplacement de la palmeraie de Mit-Rahineh. La route désormais consacrée pour la visite normale se détache de la grand'route un peu avant les abords du désert. Elle longe un canal, qu'elle traverse pour rejoindre le village de Kafr es-Samman. À la sortie du bourg, et de plain-pied avec la vallée, elle débouche à l'orée d’un ouady rocheux qui monte vers le Sphinx, au-dessus duquel se profilent les grandes Pyramides.

Au centre du tableau désertique qui s'offre alors aux regards, le Sphinx, puissamment accroupi, domine de son buste altier les ruines, en gros blocage, d'un temple immédiatement placé devant lui. À droite, une falaise rocheuse percée de tombeaux, sert de piédestal à la masse imposante de la Pyramide de Chéops, posée en retrait. La Pyramide de Chéphren sert d'arrière-plan au Sphinx. Celle de Mycérinus est hors de l'horizon. On saisit ainsi pourquoi, sur une petite stèle de la XVIIIe dynastie récemment découverte aux abords du Sphinx, deux pyramides seulement sont figurées derrière l'image du dieu. Le panorama sacré des pèlerins antiques n'en comportait pas d'autres.
Mais ce que ce point de vue montre, comme on ne peut le voir de nulle part ailleurs, c’est l’ensemble architectural dont les Pyramides faisaient partie. À côté, et immédiatement au sud, du temple ruiné situé en avant du Sphinx, un édifice moins détruit retient l'attention. On a pris l'habitude de l'appeler, à cause de son voisinage, le "Temple du Sphinx".
En fait c'est le temple d’accueil de la seconde Pyramide, en quelque sorte sa porterie au niveau de la vallée du Nil. Une chaussée droite s'en détache à l'arrière et se dirige, en escaladant le plateau en oblique, vers la Pyramide de Chéphren.
On en suit facilement le tracé aplani, vierge aujourd'hui de toute superstructure. Cette voie ascendante se perd dans un massif de ruines, celles du temple funéraire adossé à la pyramide. Cette dernière met le terme à l'ensemble par sa gigantesque masse triangulaire.

Tel est, pour toutes les pyramides de l'Ancien Empire, le complexe architectural dont elles sont l'aboutissement. Elles n'étaient donc pas, comme on se l'imagine trop communément, des blocs erratiques posés sur le désert. Mais, au dessus d'un temple ouvert au culte des vivants, à l'extrémité d’une longue montée qui traversait le champ des morts, après un temple d'en-haut où les rites les plus saints étaient célébrés, elles se présentaient comme la montagne éternelle qui conservait jalousement, et protégeait par sa masse pour les siècles des siècles, le corps du dieu qu'était le pharaon, aux abords de cette immensité insondable du désert occidental où le soleil se couchait chaque soir."


extrait de "Le Sphinx et les Pyramides de Giza", par Étienne Drioton (1889-1961), égyptologue français, nommé en1936 par le gouvernement égyptien directeur des Antiquités de l'Égypte en remplacement de Pierre Lacau