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dimanche 15 mars 2020

"Ce sont les mosquées, les délicieuses mosquées du Caire, qui se chargent de mieux révéler les splendeurs de l'art arabe" (Lucie Félix Faure)

mosquée de Sultan Hassan
aquarelle de Max Herz (1856 - 1919), architecte hongrois, directeur du musée arabe et historien de l’architecture



"Le musée arabe a de beaux moucharabiehs, d'exquises lampes en verre émaillé qui furent des lampes de mosquées, de superbes reliures et de magnifiques boîtes dont la destination primitive était de renfermer le Coran. Mais il ne donne encore qu’une assez faible idée de l'art arabe, et ce sont les mosquées, les délicieuses mosquées du Caire, qui se chargent de mieux vous en révéler les splendeurs.
Ah ! les jolies mosquées et les jolis coins de rêve, d’où l’on voit les fins minarets roses s’élancer dans le ciel bleu tendre, au milieu d'un vol de colombes ! Les fins minarets que le soleil pénètre au point de les transformer en lumières roses, sous la grande lumière bleue du firmament !
L'art arabe, c’est le triomphe du caprice, l'amusement de l’imprévu, la danse échevelée des arabesques, des folles, délicates et charmantes arabesques qui se suivent et se croisent en mille festons, s’ajoutant à des maximes très sages que nos yeux éblouis ne savent pas déchiffrer. Les Arabes, grâce à leurs caractères et à d'autres ornements, ont pu retenir, en se passant de la figure humaine, un ingénieux principe de décoration. Chez eux, rien de symétrique : tout est livré à l'impulsion de la fantaisie. Faut-il les évoquer, les mosquées aux nobles portes, aux cours silencieuses, où verdoie un frais palmier, où s'argente l'eau qui dort dans une vasque sous la fontaine ; où, dans un imperceptible frôlement, passe l'essaim frémissant des colombes ; où les préceptes du Coran s'inscrivent en dentelle sur la pierre rosée ; où la nacre et l'ivoire enchevêtrent des floraisons fantastiques aux plafonds de bois peint ?
Celle du Sultan Hasan, par exemple, une des plus fameuses et des plus belles, avec ses frises, ses corniches, ses voûtes à stalactites, ses marbres, ses mosaïques, et ses quatre grandes ogives encadrant l'ombre fraîche et le recul mystérieux des salles ; d'autres, plus petites, moins connues, telles que les deux mosquées construites chacune par un officier de Kaït-Bey, par deux rivaux qui se mesurèrent en cette occasion, rivalisant ainsi de luxe et d'élégance. Les exquis plafonds de bois peint incrustés d'or, de nacre et d'ivoire, semblent parfois représenter des dessins de reliure ou de tapis ; on dirait des étoiles merveilleuses tendues sur nos têtes. Dans un coin monte un drôle de petit escalier ogival qui ne ressemble à rien de ce que nous connaissons.
Les vitraux, en mosaïques de verre coloré enchâssées de plâtre, ont ces douces et ravissantes harmonies assourdies, fondues, tamisées par le procédé. Il est une troisième petite mosquée plus charmante encore que les deux autres : celle de Bourdeini, qui mériterait d'être serrée dans un écrin comme un bijou précieux. Frises d’arabesques, incrustations de nacre, d'ivoire et d’or, vitraux en mosaïque que l’on prendrait pour des pierreries un peu éteintes, c’est toujours le même principe ; mais ici la richesse de l’ensemble et la finesse du détail dépassent ce que nous attendions.
La chaire et le mihrab semblent des œuvres de fée. Pour compléter le tout, il faut les beaux tapis orientaux ; il faudrait aussi les lampes de verre émaillé que l'on a transportées au musée, afin de les préserver, et que l'on à remplacées par des lampes ordinaires."


extrait de Méditerranée - L'Égypte, la Terre Sainte, l'Italie, 1903, par Lucie-Rose-Séraphine-Élise Faure (1866-1913), fille de Félix Faure (1841-1899), président de la République, et épouse (à partir de 1903) de Georges Goyau (1869-1939), auteure d'ouvrages d'inspiration religieuse

samedi 14 mars 2020

"La Pyramide, le sphinx et le désert, c'est-à-dire la mort, le passé, la solitude : voilà bien un digne symbole de la vieille Égypte" (Lucie Félix Faure)

photo d'Antonio Beato (né vers 1825, mort en 1905)

"Enfin le voici, le grand Sphinx accroupi tendant son visage mutilé vers l'horizon désert, et regardant toujours de ses  yeux abîmés le même point, invariable depuis un nombre incalculable de siècles. Vu de dos, il affecte la forme d’un gigantesque champignon. Il faut tourner autour de lui pour constater les variations de sa physionomie qui change selon l'endroit où se place le spectateur, et qui s'altère par le jeu des ombres sur cette face colossale. Le soleil s'abaisse, et l'ombre portée dessine vigoureusement la silhouette du monstre. 
Immense, immobile et muet, il regarde... Dans la mutilation de son visage, il conserve une formidable intensité d'expression. On y lit tour à tour la sérénité, le dédain, l'impassibilité, le sarcasme, comme si l'âme humaine s'amusait à projeter ses reflets sur le colosse inerte. Son regard passe sur nous pour aller vers l'au-delà, ce grand regard sérieux qui me rappelle, je ne sais pourquoi, ces mots des sirènes dans l'Odyssée : "Sachant plus de choses." Sait-il réellement plus de choses ? Parmi les sentiments qu’il exprime, parmi les nuances qu'il réfléchit, on ne distingue aucune lueur d'amour ni de pitié.
Le sphinx, énorme, taillé dans un bloc de rocher, se trouve, - quand on le regarde de face, - exactement dans l'axe de la Pyramide, et ce fond lui convient mieux que tout autre ; la Pyramide, le sphinx et le désert, c'est-à-dire la mort, le passé, la solitude : voilà bien un digne symbole de la vieille Égypte. 
Ensuite, nous nous asseyons sur la terrasse de l'hôtel pour prendre le thé, confortablement et prosaïquement. On se croirait dans une ville d'eaux quelconque, si, tout prés, ne se dessinait la masse imposante de la grande Pyramide, sillonnée de touristes qui en font l'ascension. Poussés, tiraillés, bousculés par les indigènes, grâce auxquels ils peuvent tenter cette expérience, les pauvres voyageurs doivent avoir un piteux aspect ; ils escaladent les pierres mises en saillie par la disparition de l’ancien revêtement ; d'ici, nous apercevons seulement un grouillement multicolore, et les hommes nous apparaissent sous la forme de petits insectes assez laids.
Le soleil couchant enveloppe les sables de longues traînées d'or qui se foncent dans les replis ; c’est l’heure où le désert a ses teintes les plus glorieuses et les plus belles ; du ciel il descend comme une douceur et une tendresse sur le fauve paysage qui va s'éteindre. Bientôt, le Sphinx gigantesque contemplera la nuit posée sur la nature.
Combien de fois l’a-t-il vue ainsi monter des horizons lointains ? Et toujours il regarde vers l'au delà, de ses yeux "sachant plus de choses", en sachant moins aussi, mais connaissant de nos aïeux des secrets que nous ignorons ; il regarde, serein, dédaigneux, impassible, comme il regardait aux jours oubliés où le berger Philitis paissait ses troupeaux dans ses parages, comme il regardait quand il put voir un homme, une femme, un enfant du pays de Palestine, qui fuyaient devant la tyrannie d'Hérode, alors que l'Orient s'embrasait d'une lumière nouvelle : une lumière d'amour.
Il reste immobile et muet... En somme, ses pauvres yeux de pierre ne voient peut-être rien."

extrait de Méditerranée - L'Égypte, la Terre Sainte, l'Italie, 1903, par Lucie-Rose-Séraphine-Élise Faure (1866-1913), fille de Félix Faure (1841-1899), président de la République, et épouse (à partir de 1903) de Georges Goyau (1869-1939), auteure d'ouvrages d'inspiration religieuse