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mardi 14 juin 2022

"Le plus beau morceau qui soit resté du nouvel empire est la statue de Ramsès II qui se trouve au Musée de Turin" (Henri Motte - XIXe s.)


Ramsès II - Museo Egizio de Turin

"Les plus belles productions de la sculpture égyptienne appartiennent au nouvel empire, si nous admettons que la beauté dans cet art soit proportionnelle à la grandeur des œuvres. La sculpture égyptienne est toute monumentale.
Nous ne saurions trop admirer les colosses de cette époque si nous songeons aux difficultés qu'a dû présenter la mise en œuvre d'un bloc de calcaire comme celui où est taillé Ramsès.
Cette statue colossale mesurait 13 mètres ; elle était placée à l'entrée du temple de Pthah et devait produire une impression profonde sur les visiteurs du temple.
L'emplacement en avait été bien choisi : évitant les erreurs des modernes, les Égyptiens avaient placé le colosse dans un endroit limité où l'on ne pouvait découvrir de toutes parts la figure, ce qui forçait le spectateur à en saisir immédiatement la grandeur. Aujourd'hui dans des espaces sans limites on place un colosse ; on le voit de très loin mais c'est lui seul qu'on voit ; de telle sorte que son aspect à distance ne produit que l'effet d'un homme de grandeur normale. Les objets n'ont de grandeur que par comparaison avec les personnes ou les objets réels. Le colossal n'a de caractère que par son rapprochement avec l'homme. Dans une disposition comme celle où se trouve Ramsès, près d'une porte où passe continuellement la foule, et à côté d'un monument où se trouvent des bas-reliefs de grandeur humaine avec des pierres de dimensions normales, l'échelle s'indique d'une façon très saisissante.
Le plus beau morceau qui soit resté du nouvel empire est la statue de Ramsès II qui se trouve au Musée de Turin ; c'est la sculpture la plus délicate, celle où le ciseau s'est montré le plus habile. On peut trouver plus de souplesse dans le modèle de cette période, mais, en somme, c'est toujours le même art raide comme attitude et peu ingénieux dans la composition.
On s'est demandé avec raison comment les artisans égyptiens étaient venus à bout de la taille des pierres dures qu'ils avaient à travailler, car ils ne possédaient pas le marbre statuaire qui offre tant d'avantage au sculpteur. On est arrivé à conclure que leurs instruments étaient d'abord de bronze mou, mais qu'ils ont dans la suite connu la trempe. La pierre dure était taillée à la pointe puis écrasée au marteau ; cet instrument avait une frappe carrée à pointes de diamant comme celui des paveurs.
Le modelé s'obtenait par un polissage au grès en poudre, qu'on frottait avec une planche trouée afin de pouvoir arroser. Quand on taillait le calcaire, on le dégrossissait au ciseau ; mais cet instrument s'émoussait sur la pierre dure. Hérodote, en parlant de l'embaumement, nous raconte qu'on ouvrait les corps avec des pierres tranchantes : ces pierres ont dû servir pour le travail des calcaires, qui devait être long et pénible.
L'emploi de la pierre dure a peut-être eu une influence sur le style de la sculpture égyptienne, et l'on peut attribuer à la difficulté du travail l'attitude toujours engoncée des statues dont les bras et les jambes ne sont jamais détachés du bloc. La tête elle-même ne repose pas sur le cou complètement nu, car celui-ci eût paru trop mince ; elle est reliée au corps par une perruque ou une coiffure, et par la barbe elle-même, qui l'attache aux pectoraux.
La production de la sculpture en Égypte a dû être considérable ; chez aucun peuple on n'en a fait autant usage, et l'artiste reste stupéfait devant les découvertes faites dans un seul temple : 572 statues en granit noir de la déesse Setchet à tête de lion, ayant toutes la même attitude. Quelle éducation artistique avaient pu recevoir les 572 sculpteurs qui ont consenti à se livrer à ce travail ! L'imagination devait leur faire totalement défaut, et on peut arriver à cette conclusion qu'une seule de ces statues était l'œuvre d'un artiste, et que les 571 autres ont été exécutées par de tailleurs de pierre d'une habileté surprenante.
En outre, les lois du pays et les rites religieux devaient interdire les recherches des variantes ; celui qui était pris du désir d'inventer était probablement exposé à des peines terribles."


Extrait de Petite histoire de l'art, 1896, par Henri Motte (1846-1922), peintre, architecte, illustrateur notamment, avec vingt-quatre grandes compositions, de l'Iliade, de Homère (traduction par Émile Pessonneaux).