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dimanche 16 février 2020

Les "monuments les plus dignes de la curiosité de ceux qui voyagent en Égypte ; j'entends les pyramides", par Frédéric Louis Norden

illustration extraite de l'ouvrage de Norden

"Avant que de quitter le Caire et ses environs, je ne saurais me dispenser de parler des monuments les plus dignes de la curiosité de ceux qui voyagent en Égypte ; j'entends les pyramides, qu'on a mises autrefois au nombre des sept merveilles du monde, et qu'on admire encore aujourd'hui depuis le Caire jusqu'à Maidoun.
Les pyramides ne sont point fondées dans des plaines, mais sur le roc, au pied des hautes montagnes qui accompagnent le Nil dans son cours, et qui font la séparation entre l'Égypte et la Libye.
Elles ont toutes été élevées dans la même intention, c'est-à-dire pour servir de sépulture ; mais leur architecture, tant intérieure qu'extérieure, est bien différente, soit pour la distribution, soit pour la matiÈre, soit pour la grandeur.
Quelques-unes sont ouvertes, d'autres sont ruinées ; et la plus grande partie est fermée ; mais il n'y en a point qui n'ait été, plus ou moins, endommagée.
On conçoit aisément qu'elles n'ont pu être élevées dans le même temps. La prodigieuse quantité de matériaux nécessaires, en fait sentir l'impossibilité. La perfection avec laquelle les dernières sont fabriquées le témoigne également ; car elles surpassent de beaucoup les premières en grandeur et en magnificence. Tout ce qu'on peut avancer de plus positif, c'est que leur fabrique est de l'antiquité la plus reculée et qu'elle remonte même au-delà des temps des plus anciens historiens dont les écrits nous aient été transmis.
Il me paraît probable que l'origine des pyramides a précédé celle des hiéroglyphes ; et comme on n'avait plus la connaissance de ces caractères dans le temps que les Perses firent la conquête de l'Égypte, il faut absolument faire remonter la premiÈre époque des pyramides à des temps si reculés dans l'antiquité que la chronologie vulgaire ait peine à en fixer les années.
Si je suppose que les pyramides, même les dernières, ont été élevées avant que l'on eût l'usage des hiéroglyphes, je ne l'avance pas sans fondement. Qui pourrait se persuader que les Égyptiens eussent laissé ces superbes monuments sans la moindre inscription hiéroglyphique, eux qui, comme on le voit partout, prodiguaient les hiéroglyphes sur tous les édifices de quelque importance ? Or, on n'en aperçoit aucun, ni au dehors, ni au dedans des pyramides, pas même sur les ruines des temples de la seconde et de la troisième pyramide : n'est-ce pas une preuve que l'origine des pyramides précède celle des hiéroglyphes, que l'on regarde néanmoins comme les premiers caractères dont on se soit servi en Égypte ?"



extrait de Voyage d'Égypte et de Nubie, par Frédéric Louis Norden (1708-1742), voyageur danois, "capitaine des vaisseaux du roi". Texte publié par la Bibliothèque portative des voyages, traduit de l'anglais par MM. Henri et Breton, tome X, 1817.

jeudi 18 octobre 2018

Une règle que l'on doit suivre dans toute l'Égypte : "Ne jamais faire creuser au pied de quelque antiquité, ni rompre aucun morceau de pierre de quelque monument que ce soit" (Frédéric Louis Norden)

 
"Description de l'Égypte" : l'une des Aiguilles de Cléopâtre à Alexandrie, dessin de 1798
"J'ajouterai une règle que l'on doit déjà suivre à Alexandrie, et qui doit être exactement observée dans toute l'Égypte, c'est de ne jamais faire creuser au pied de quelque antiquité, ni rompre aucun morceau de pierre de quelque monument que ce soit. Il faut se contenter de voir ce qui est exposé à la vue, et les endroits où l'on peut grimper ou auxquels on peut parvenir en rampant. 
Quelque plaisir qu'il pût y avoir à considérer un monument antique dans son entier, il faut y renoncer ; les suites en seraient trop dangereuses. Un consul de France essaya de faire creuser auprès de l'obélisque de Cléopâtre à Alexandrie afin d'en avoir les justes dimensions. Il avait eu soin d'en demander la permission, qu'il n'avait obtenue qu'avec bien de la difficulté. Malgré cela il ne lui fut pas possible de venir à bout de son dessein ; à mesure qu'il faisait creuser le jour, on fermait la nuit le trou qu'il avait fait faire. 
Cette opposition opiniâtre vient de ce que tout le peuple, tant grands que petits, est persuadé que tous les monuments antiques renferment quelques trésors cachés. Ils ne sauraient s'imaginer qu'une pure curiosité engage les Européens à passer en Égypte uniquement pour y creuser la terre : au contraire ils sont si persuadés de notre avarice qu'ils ne nous permettent point de fouiller nulle part. Si on s'avise de le faire en cachette, et qu'ils viennent à s'en apercevoir, ils nous regardent comme des voleurs ; ils soutiennent qu'on s'est emparé du trésor qu'ils supposent être dans cet endroit ; et, afin d'avoir meilleure prise sur ceux qui ont fouillé la terre, ils font monter ce prétendu trésor à un prix excessif.
Il semble que les grands du pays, infatués de cette opinion, ne devraient jamais cesser de fouiller dans la terre et de détruire tous les restes d'antiquités. C'est en effet à quoi plusieurs d'entre eux se sont appliqués, et divers précieux restes de monuments antiques sont péris par-là. Mais comme ils n'ont rien trouvé, ils se sont à la fin lassés de la dépense. Ils ne se sont pas pour cela défaits de leur folle imagination ; au contraire ils y ont joint une autre idée encore plus insensée, en supposant que tous ces trésors sont enchantés, qu'à mesure qu'on en approche ils s'enfoncent de plus en plus dans la terre, et qu'il n'y a que les Francs qui soient capables de lever ces charmes ; car ils passent généralement en Égypte pour être de grands magiciens. 
Une autre raison encore a détourné de ces sortes de recherches. Deux de ceux qui s'étaient rendus fameux par cette entreprise de creuser la terre pour y chercher des trésors tombèrent entre les mains de leurs supérieurs, qui ne les épargnèrent pas, et ne voulurent jamais croire que ces hommes-là n'avaient rien découvert. Ils les accusèrent d'avoir trouvé des trésors, et de le nier pour ne les pas partager avec eux. On leur faisait tous les jours de nouvelles avanies sous des prétextes frivoles ; et enfin on leur fit payer les profits d'une recherche dont ils n'avaient jamais tiré aucun avantage. Ce qui se trouve d'antiquités à Alexandrie, tant en médailles qu'en pierres gravées et en autres choses semblables, se découvre, comme je l'ai déjà remarqué ci-dessus, sans creuser et seulement quand les terres sont lavées par la pluie. Si dans quelques occasions on remue la terre, on le fait sous d'autres prétextes, comme pour tirer des pierres quand on veut bâtir, etc. ; mais cela se fait sans toucher en aucune façon à ces pièces antiques qui sont debout (...)."



extrait de Voyage d'Égypte et de Nubie, par Frédéric Louis Norden (1708-1742), voyageur danois, "capitaine des vaisseaux du roi"

"Il n'y a guère de pays où la terre ait un plus grand besoin de culture qu'en Égypte" (Frédéric Louis Norden)


"J'observerai que, comme il ne pleut que rarement en Égypte, l'auteur de la nature a disposé si sagement les choses, que ce manque de pluie est heureusement remplacé par l'inondation régulière qui s'y fait, et qui y revient tous les ans. Rien n'est plus connu que cette inondation, mais aussi rien sur quoi on se méprenne davantage que sur la manière dont elle se fait, et sur la façon dont on cultive après cela la terre. Les auteurs qui ont entrepris de donner des descriptions de l'Égypte ont cru ces deux articles si généralement connus qu'ils ne sont presque entrés dans aucunes particularités : contents d'avoir dit que la fertilité du pays dérive uniquement de cette inondation annuelle du Nil, ils s'en sont tenus là ; et ce silence a donné occasion de croire que l'Égypte est un paradis terrestre où on n'a besoin ni de labourer la terre ni de la semer, tout étant produit comme de soi-même après l'écoulement des eaux du Nil. On s'y trompe bien ; et j'oserais avancer, sur ce que j'en ai vu de mes propres yeux, qu'il n'y a guère de pays où la terre ait un plus grand besoin de culture qu'en Égypte. C'est la raison qui m'a engagé à donner dans mes dessins, non seulement les diverses machines hydrauliques dont on se sert pour arroser la terre, mais encore le dessin d'une charrue dont on est obligé de faire usage pour labourer les terres aux environs de Gamase (Ghamâzah), dans la haute Égypte.
À la vérité dans le Delta, qui est plus fréquenté et plus cultivé, la mécanique y devient un peu plus facile que quand on remonte plus haut. On s'y sert, pour élever l'eau, de divers moulins qui la répandent dans une infinité de canaux, qu'on appelle communément en français canaux d'arrosage. Outre cela le Delta a encore un avantage du côté de la nature, c'est que le terrain s'y trouve plus bas et peut d'autant mieux être inondé. Au-dessus du Caire on se sert quelquefois de vases de cuir peur verser l'eau dans les canaux. On y fait aussi un grand usage de roues à chapelets que des bœufs font mouvoir ; et quoique ces machines ne soient pas absolument de la meilleure construction, elles sont néanmoins capables de fournir l'eau dont on a besoin pour arroser la terre. (...) J'ai principalement observé ces deux manières d'arroser les terres, depuis le Caire jusqu'à Derri. Tout cela ne serait pas encore suffisant. La sécheresse est si grande que le terrain n'a pas seulement besoin d'une inondation générale, il demande encore que, quand les eaux du Nil commencent à baisser, on ne les laisse pas s'écouler trop promptement, il faut donner le temps aux terres de s'en imbiber et de s'en abreuver. Cette nécessité a depuis longtemps fait chercher les moyens de pouvoir retenir l'eau et de la conserver pour l'arrosement des terres. Les anciens y avaient réussi à merveille, et de leur temps on voyait tout le terrain dans une beauté florissante jusqu'au pied des montagnes : mais le cours du temps et les diverses désolations dont le royaume a été affligé ont tout fait tomber dans une telle décadence que, si une extrême nécessité n'obligeait les Arabes à travailler, dans moins d'un siècle l'Égypte se trouverait réduite à un aussi triste état que la petite Barbarie, au voisinage des cataractes, où on ne laboure et ne cultive guère que l'espace de vingt à trente pas de terrain au bord du fleuve. Ces moyens consistent en des digues et en des calischs (khalidje) ou canaux, que l'on coupe ou creuse dans les endroits où le bord du Nil est bas. On les conduit jusqu'aux montagnes, au travers des provinces entières ; de sorte que, quand le Nil croît, ses eaux entrent dans ces calischs (khalidje), qui les introduisent au dedans du pays à proportion de la hauteur du fleuve. Quand il est crû à son point et qu'il a répandu ses eaux sur la surface de la terre, c'est alors qu'on pense à les retenir durant quelque temps afin que les terres aient le loisir de s'abreuver suffisamment. Pour cet effet on pratique des digues appelées gisser (djisr), qui empêchent que l'eau ne s'écoule, et l'arrêtent autant de temps qu'on le juge à propos. Enfin, quand la terre est assez arrosée, on coupe le gisser (djisr) pour faciliter l'écoulement des eaux.
Tout le bonheur et le bien d'une province dépendent de la bonne direction des calischs (khalidje): mais comme un chacun cherche à en tirer du profit, jusques-là que le bey de Gize (Djyzah) en retire actuellement plus de 5oo bourses par an, les calischs (khalidje) tombent çà et là dans une grande décadence, ce qui est cause que la fertilité de la terre diminue à proportion."


extrait de Voyage d'Égypte et de Nubie, par Frédéric Louis Norden (1708-1742), voyageur danois, "capitaine des vaisseaux du roi"