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vendredi 1 juillet 2022

Lorsque "les fouilleurs de tombeaux, les directeurs de musées et les amateurs d'antiquités (auront) à répondre de leurs œuvres", par Mme H. D. -XIXe s.

photo Abdullah Frères

"Une partie de la matinée du 16 fut consacrée au musée d'antiquité qui se trouve provisoirement à Boulaq, le port du Caire. Dans les diverses, salles et vestibules de ce vieux bâtiment, nous sommes de nouveau transportés à plusieurs milliers d'années en arrière, entourés de souvenirs des antiques monarchies égyptiennes. (...)
Devant les traits desséchés d'une jeune femme, je m'arrêtai en me demandant : "Était-elle par hasard une beauté, il y a six mille ans ? Faisait-elle le bonheur d'un mari ? Quel fut son roman ? Ces lèvres ont souri, cette bouche a parlé, ces bras ont peut-être serré un petit enfant sur son cœur !" 
La voix de mon compagnon de voyage vint me distraire de ma rêverie en me criant du fond de la salle : "Viens donc, ne t'arrête pas si longtemps devant chaque momie, ce n'est pas pour la première fois que tu en vois, je pense ; elles sont toutes la même chose !"
Et moi qui les trouvais toutes différentes ; elles exerçaient sur moi une étrange fascination, et tous les autres objets du musée n'avaient à mes yeux qu'un intérêt très secondaire. J'avais pitié de ces pauvres gens, exposés aux regards indiscrets de l'univers entier, eux qui avaient tant désiré rester cachés jusqu'au jour de la résurrection.
Souvent depuis lors, je songe combien ces mêmes corps, si un jour leur âme vient les ranimer, seraient étonnés, en se réveillant de leur long sommeil, de se trouver dans les froids musées de l'Europe, loin de leur pays natal. C'est alors que les fouilleurs de tombeaux, les directeurs de musées et les amateurs d'antiquités auraient à répondre de leurs œuvres !
Nos divinités, nos amulettes, nos bijoux, où sont-ils ? s'écrieront ensemble toutes les momies.
Tel corps, dans le musée britannique de Londres, réclamera son bras, qui se trouve à Paris dans la vitrine d'un antiquaire ; tel autre ne pourra marcher, ses pieds faisant en Allemagne la joie d'un collectionneur, et l'on verra peut-être le désespoir d'un corps dont le crâne est une des curiosités d'un musée bien connu. Il y aura de pauvres âmes qui, après la terrible scène du jugement, ayant été déclarées pures, viendront chercher leurs corps pour s'unir de nouveau à eux ; après de longues recherches, elles finiront par les trouver, mais elles chercheront en vain à les ranimer du souffle de la vie car le scarabée qui leur tenait lieu de cœur a disparu, et fait l'ornement principal du collier d'une grande dame.
Quelles scènes déchirantes il y aura !
Malgré la ferme croyance des Égyptiens à une résurrection en chair et en os, en vue de laquelle ils se sont donné tant de peine pour conserver et pour cacher leurs corps, espérons pour les uns et les autres qu'elle n'aura pas lieu d'une manière aussi matérielle.
À Boulaq, les momies n'ayant plus l'attrait de la nouveauté, je ne fais que les saluer comme de vieilles amies pour porter toute mon attention sur les autres objets de l'antique civilisation égyptienne, qui, depuis notre excursion à Saqqarah, ont pour nous un double intérêt."

extrait de Six semaines bien employées. Souvenir d'un voyage en Orient, 1879, par Madame H. D. (aucune information disponible sur cette auteure)