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mercredi 18 mars 2020

Abou Simbel, "la montagne transformée en sanctuaire" (Samuel Manning)

illustration extraite de l'ouvrage de Samuel Manning

"Un nouveau parcours de cent kilomètres, entre des collines arides ou des falaises hardies, nous met en présence d'un rocher imposant, dans lequel sont sculptées des figures colossales, qui deviennent plus distinctes à mesure que nous nous rapprochons. Elles sont tellement énormes qu'elles semblent plutôt des caprices de la nature que l'ouvrage de créatures chétives. Nous avons devant nous Abou-Simbel, l'un des temples élevés par le grand Ramsès, le digne pendant des monuments de Thèbes et de Gizèh. Partout ailleurs, les grands constructeurs ont élevé leurs édifices sur le sol. Ici, on a transformé la montagne en sanctuaire et taillé dans le rocher un monument impérissable de la gloire du Pharaon.
Le plus petit des deux temples est creusé à une profondeur de quarante mètres. Il est dédié à Hathor. La façade, qui a quatre-vingt-dix mètres de largeur, représente Ramsès debout parmi les dieux, comme leur égal en dignité et en puissance.
À l'intérieur, la figure douce et gracieuse de la déesse apparaît sur les murs entourée des divinités associées, tandis que le monarque raconte ses conquêtes embrassant le monde alors connu.
Partout ailleurs, ce temple attirerait l'attention ; ici, il est éclipsé par son voisin. Quatre statues de granit, taillées dans le roc vif, gardent l'entrée du grand temple, assises depuis près de quatre mille ans dans leur majesté solennelle. Impossible de donner une idée approchante de leur grandeur. (...) La base des statues est ensevelie sous le sable ; mais elles s'élèvent encore si haut au-dessus de la masse amoncelée, que ce n'est grand'peine que l'on grimpe sur leurs genoux.
La beauté des figures est encore plus remarquable que leurs énormes proportions. Nous attachons, en général, l'idée d'imperfection aux œuvres de grandes dimensions. La délicatesse et l'expression des traits frappent tous ceux qui ont le privilège d'admirer ces colosses. Les uns s'extasient sur "le doux sourire de ces figures calmes et pensives", sur "leur expression paisible et sereine, empreinte d'élévation morale", sur "la dignité et la quiétude, la compassion calme, la sérénité surhumaine" qu'elles expriment. Un autre déclare qu'elles "sont uniques dans l'art",  et que "les chefs-d'œuvre de la Grèce, malgré leur incontestable supériorité, n'ont rien de comparable à la beauté mystique de ces statues". Ces appréciations sont évidemment exagérées. On ne peut cependant pas mettre en doute l'expression majestueuse de ces colosses. (...)
La montagne à laquelle sont adossées ces figures gigantesques, est creusée à une profondeur de plus de deux cent cinquante mètres. Les excavations comprennent un grand vestibule avec huit chapelles latérales, un second vestibule plus petit, une galerie et un adytum avec l'autel. Les murs sont couverts de peintures et de sculptures. Dans le grand vestibule se dressent huit colosses énormes à tête d'Osiris. Ils ont six mètres de haut et sont adossés à autant de piliers carrés. Ils sont tous identiques et ont la même expression solennelle que que ceux de la façade. Chacun d'eux est coiffé du pschent, orné du serpent uraeus, et tient dans ses mains, croisées sur la poitrine, le sceptre et le fouet, emblèmes du pouvoir divin. Ils sont revêtus de la tunique collante dont on parait les momies. Un pagne entoure les reins et retombe en plis sur le devant. Le cartouche de Ramsès II est sculpté sur les épaules. (...)
L'entrée du temple est étroite ; elle ne laisse passer qu'une faible clarté. Les salles sont plongées dans une obscurité complète, que les bougies et les torches ne dissipent qu'imparfaitement. Mais comme l'entrée regarde l'orient, il y a des moments, dans l'année, où les rayons du soleil levant ou de la lune pénètrent dans le temple. Cela n'a lieu que lorsque ces astres se lèvent juste en face de l'entrée, c'est-à-dire deux fois par an pour le soleil, une fois par mois pour la lune. Alors, pendant quelques minutes, un rayon lumineux entre par l'étroite ouverture, traverse la grande salle et se glisse jusqu'à l'adytum, répandant sur les figures une clarté magique. Le temple était dédié au soleil, dont les emblèmes décorent l'autel. Il avait été, sans doute, disposé de manière à ce qu'aux grandes fêtes ce remarquable phénomène se produisît."


extrait de La terre des Pharaons : Égypte et Sinaï, 1890, par Samuel Manning (1822-1881), ministre baptiste ; traduit librement de l'anglais par E. Dadre

jeudi 23 janvier 2020

"Regarder défiler les rives comme dans un rêve" (Samuel Manning, voyageant vers la Haute-Égypte en dahabiyeh)

illustration extraite de l'ouvrage de Samuel Manning

"Les phénomènes atmosphériques sont aussi très variés et très remarquables. Il n'y a cependant pas de temps dans la vallée du Nil. Au début du voyage, nous disons encore par habitude : "Belle matinée, soirée splendide !", mais peu à peu, nous nous apercevons qu'en Égypte les jours se suivent et se ressemblent. Les remarques intéressantes et originales sur le temps, qui, en Europe, forment si souvent le thème des conversations, seraient ridicules et déplacées en ce pays où la pluie est presque un prodige. Au commencement du printemps, l'apparition désagréable du khamsin pourrait, à la rigueur, fournir un sujet d'entretien. C'est un vent brûlant, desséchant, chargé de fines parcelles d'une poussière qui pénètre partout, remplit les yeux et les oreilles, irrite la peau et donne une impression de malaise extrême. On n'aperçoit les objets qu'à travers un brouillard livide. Les sables du désert se soulèvent en tourbillons qui courent à la surface du sol, puis se dissipent. Sur le fleuve, le khamsin n'est que désagréable ; dans le désert, il devient dangereux. On assure que des caravanes entières ont péri sous le sable amoncelé. À part ce changement atmosphérique, les jours se ressemblent.
Mais quelles variations dans la même journée ! Les matinées sont délicieuses, d'une pureté, d'une fraîcheur et d'une transparence sans égales ; vers midi, toutes les couleurs disparaissent : le paysage est inondé d'une lumière blanche, aveuglante. Même alors, il est doux d'être étendu sur le pont, à l'ombre du tendelet, et livré à la plus délicieuse indolence, d'écouter le clapotement de l'eau le long de la dahabiyèh, de regarder défiler les rives comme dans un rêve. Le soir vient : les couleurs reparaissent et étincellent dans l'embrasement du soleil couchant. Les montagnes se teintent de reflets pourprés. Les rouges et les gris des grès, des granits et des calcaires des berges contrastent admirablement avec le jaune foncé du désert, le vert des rives et le bleu du fleuve, et forment des combinaisons et des oppositions de couleurs merveilleuses. Un crépuscule grisâtre suit immédiatement le coucher du soleil.
Quelques minutes s'écoulent, et un reflet rose tendre envahit la terre et le ciel. Je n'ai jamais vu d'effet de couleur plus féerique. Au lever et au coucher du soleil, les cimes neigeuses des Alpes se colorent d'un rose semblable ; mais l'Égypte a ceci de particulier, que la lumière et la coloration reparaissent après un intervalle de gris pâle, comme lorsque la vie revient dans un corps , et que le phénomène est commun à tout le pays. Je n'ai vu nulle part l'explication de ce splendide phénomène ; je l'attribue, dans mon ignorance, à la réflexion et à la réfraction des rayons du soleil couchant par les sables du désert libyque. Puis la nuit tombe ; et quelle nuit ! Les étoiles brillent avec une intensité inouïe telle que j'ai vu une ombre distincte formée par la planète Jupiter, et que j'ai pu apercevoir ses satellites avec des jumelles ordinaires. Orion étincelait splendidement. Je ne puis dire dans laquelle de ses phases la lune était la plus belle.
Une étroite bande de végétation, de quelques kilomètres de large, borde le fleuve ; au delà, c'est le désert. Les montagnes se retirent quelquefois à de grandes distances ; d'autres fois elles descendent jusqu'au fleuve, formant des falaises hardies souvent couronnées par un couvent copte."


extrait de La terre des Pharaons : Égypte et Sinaï, 1890, par Samuel Manning (1822-1881), ministre baptiste ; traduit librement de l'anglais par E. Dadre

samedi 3 novembre 2018

"On aurait beau réunir les ruines de tout âge dont s’enorgueillit l'Europe, elles n’égaleraient, ni en étendue ni en grandeur, celles de cette seule ville d'Égypte" (Samuel Manning, à propos de Thèbes)

illustration extraite de l'ouvrage de S. Manning
 "Nous approchons maintenant de Thèbes, la capitale de l'ancienne Égypte, le centre de sa splendeur et de sa magnificence.
Pendant les douze siècles de sa suprématie, les Pharaons ont consacré à son embellissement leurs richesses, et employé à la construction de ses temples et de ses palais les peuples vaincus et asservis. Chaque génération a ajouté quelque chose à sa beauté. Ses édifices gigantesques témoignent de la grandeur du peuple qui les a élevés.
La plaine de Thèbes offrait l'emplacement convenable à une telle cité. Les chaînes arabique et libyque, qui bornent à l'est et à l’ouest la vallée du Nil, revêtent ici des formes grandioses qu’elles n'ont plus dans leur partie septentrionale et forment on s'écartant du fleuve, un vaste amphithéâtre où s’élevaient ces immenses édifices, dont les ruines étonnent et effrayent le voyageur. 

Des avenues de statues et de sphinx, de plusieurs kilomètres, s’allongent sur la plaine, conduisant à des propylônes de trente mètres de haut, par où les rois, les guerriers, les prêtres et les courtisans se rendaient aux temples et aux palais. Au-dessus de tout cela s’élevaient les statues colossales des Pharaons, surveillant, comme de gigantesques gardiens, la ville et la plaine immense. 
On aurait beau réunir les ruines de tout âge dont s’enorgueillit l'Europe, elles n’égaleraient, ni en étendue ni en grandeur, celles de cette seule ville d'Égypte."


extrait de La terre des Pharaons : Égypte et Sinaï, 1890, par Samuel Manning
(1822-1881), ministre baptiste ; traduit librement de l'anglais par E. Dadre