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samedi 1 février 2020

Le Nil, ce fleuve "qui vient en Égypte du paradis terrestre", par Jean de Joinville, biographe de saint Louis

Le Nil, par Wilhelm Gentz (1822 - 1890)
"Il nous faut tout d'abord parler du fleuve qui vient en Égypte du paradis terrestre ; et je vous raconte ces choses pour vous faire comprendre certains faits qui touchent à mon sujet. Ce fleuve est différent de toutes les autres rivières, car plus les autres rivières descendent leur cours, plus s'y jettent de petites rivières et de petits ruisseaux. Et dans ce fleuve il ne s'en jette aucune ; au contraire il se produit ceci, qu'il arrive par un seul chenal jusqu'en Égypte, et alors il se divise en sept bras, qui se répandent à travers l'Égypte.
Et quand la Saint-Remi est passée, les sept rivières se répandent dans le pays et recouvrent le plat pays ; et quand elles se retirent, les paysans vont chacun labourer leurs terres avec une charrue sans roues, avec laquelle ils sèment dans la terre le froment, l'orge, le cumin, le riz ; et ces semences viennent si bien que nul ne saurait mieux faire. Et l'on ne sait d'où vient cette crue, sinon de la volonté de Dieu ; et si ce phénomène ne se produisait pas, rien ne viendrait dans ce pays à cause de la grande chaleur du soleil qui brûlerait tout, parce qu'il ne pleut jamais dans le pays. Le fleuve est toujours trouble ; aussi les gens du pays qui veulent en boire en puisent le soir, et y écrasent quatre amandes ou quatre fèves ; et le lendemain elle est si bonne à boire qu'elle ne laisse rien à désirer.
Avant que le fleuve entre en Égypte, les gens dont c'est la coutume jettent le soir leurs filets déployés dans le fleuve ; et quand on vient au matin, ils trouvent dans leurs filets ces denrées qui se vendent au poids que l'on apporte dans ce pays, à savoir le gingembre, le rhubarbe, le bois d'aloès, la cannelle. Et l'on dit que ces produits viennent du paradis terrestre, car le vent les abat des arbres qui sont dans le paradis, comme le vent abat dans la forêt, en notre pays, le bois sec ; et ce qui tombe de bois sec dans le fleuve, les marchands nous le vendent dans ce pays. L'eau du fleuve est de telle nature que, lorsque nous la suspendions, dans des pots de terre blancs que l'on fait dans le pays, aux cordes de nos tentes, l'eau devenait, à la chaleur du jour, aussi fraîche que de l'eau de source.

On disait dans le pays que le sultan du Caire avait tenté maintes fois de savoir d'où venait le fleuve ; et il y envoyait des gens qui emportaient une sorte de pain que l'on appelle biscuits, parce qu'ils sont cuits deux fois ; et ils vivaient de ce pain jusqu'à leur retour auprès du sultan. Et ils rapportaient qu'ils avaient exploré le fleuve et qu'ils étaient arrivés à un grand massif de roches à pic, où personne n'avait la possibilité de monter ; le fleuve tombait de ce massif, et il leur semblait qu'il y avait une grande quantité d'arbres en haut dans la montagne ; et ils disaient qu'ils avaient trouvé des merveilles, diverses bêtes sauvages et de diverses façons, lions, serpents, éléphants, qui venaient les regarder sur le bord de l'eau quand ils allaient en amont."
(transcription proposée par le site pédagogique de la Bibliothèque nationale de France)

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Texte original

"Il nous couvient premierement parler dou flum qui vient par Egypte et de Paradis terrestre ; et ces choses vous ramentois-je pour vous faire entendant aucunes choses qui affièrent à ma matière. Cis fleuves est divers de toutes autres rivières ; car quant plus viennent les autres rivières aval, et plus y chiéent de petites rivières et de petiz ruissiaus ; et en ce flum n'en chiet nulles : ainçois avient ainsi que il vient touz en un chanel jusques en Egypte, et lors giete de li sept branches qui s'espandent parmi Egypte. Et quant ce vient après la saint-Remy, les sept rivières s'espandent par le païs et cuevrent les terres pleinnes ; et quant elles se retraient, li gaaingnour vont chascuns labourer en sa terre à une charue sanz rouelles ; de quoy il tornent dedens la terre les fourmens, les orges, les comminz, le ris, et viennent si bien que nulz n'i sauroit qu'amender ; ne ne sait l'on dont celle creue vient, mais que de la volentei Dieu ; et, se ce n'estoit, nul bien ne venroient ou païs, pour la grant chalour dou soleil qui arderoit tout, pour ce que il ne pluet nulle foiz ou pays. Li fluns est touzjours troubles, dont cil dou païs, qui boire en vuelent, vers le soir le prennent et esquachent quatre amendes ou quatre fèves; et l'endemain est si bone à boire que riens n'i faut. Avant que li fluns entre en Egypte, les gens qui ont acoustumei à ce faire, gietent lour roys desliées parmi le flum, au soir; et, quant ce vient au matin, si treuvent en lour royz cel avoir de poiz que l'on aporte en ceste terre, c'est à savoir gingimbre, rubarbe, lignaloecy et eanele; et dit l'on que ces choses viennent de Paradis terrestre, que li venz abat des arbres qui sont en Paradis, aussi comme li venz abat en la forest en cest païs le bois see; et ce qui chiet dou bois sec ou flum, nous vendent li marcheant en ce païz. L'yaue dou flum est de tel nature, que quant nous la pendiens en poz de terre blans que l'en fait ou païs, aus cordes de nos paveillons, l'yaue devenoit ou chaut dou jour aussi froide comme de fonteinne. Il disoient ou païs que li soudans de Babiloine avoit mainte foiz essaié dont li fluns venoit, et y envoioit gens qui portoient une manière de pains que l'on appelle becuis, pour ce que il sont cuit par dous foiz, et de ce pain vivoient tant que il revenoient arières au soudanc; et raportoient que il avoient cerchié le flum, et que il estoient venu à un grant tertre de roches taillies, là où nulz n'avoit pooir de monter. De ce tertre chéoit li fluns, et lour sembloit que il y eust grant foison d'arbres en la montaigne en haut ; et disoient que il avoient trouvei merveilles de diverses bestes sauvaiges et de diverses façons, lyons, serpens, oliphans, qui les venoient regarder dessus la rivière de l'yaue, aussi comme il aloient amont."

Jean, sire de Joinville, présentant son Histoire de Saint-Louis à Louix X, 1309

extrait de la Vie de saint Louis, par Jean de Joinville (v. 1224 - 24 décembre 1317). É
galement connu sous le nom de Sire de Joinville, il est le biographe de saint Louis, qu'il accompagne, en se joignant aux chevaliers chrétiens, lors de la septième croisade en Égypte, en 1244. Lors de cette croisade, Joinville se met au service du roi, et il devient son conseiller et son confident.