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lundi 27 novembre 2023

Les Égyptiens "furent des artistes au sens le plus complet du terme" (Alfred Leroy, XXe s.)


Le "courant hiératique" de la sculpture égyptienne - photo Marie Grillot

"Les Égyptiens aimèrent les œuvres faites pour l'éternité, durables, susceptibles de défier le temps et les hommes, ils ne négligèrent rien pour en augmenter la solidité.
Avec passion, ils recherchèrent un sentiment de grandeur harmonieuse, de beauté et de sérénité ; leurs plus anciens monuments attestent déjà cette passion que reflètent l'architecture, la peinture et la sculpture pendant des siècles.
Ils obéirent aux disciplines, aux conventions, aux lois esthétiques dictées par des croyances religieuses et funéraires. Ils adoptèrent certains canons demeurés semblables depuis l'époque memphite jusqu'à la conquête romaine.
Ils eurent au plus haut degré l'amour de la perfection en tous les domaines, ils allièrent une imagination vive, une inspiration spontanée, une observation réaliste à l'exécution prodigieusement belle dont nous remarquons les résultats sur tant de chefs-d'œuvre insignes.
Ils apportèrent les mêmes soins en toute chose ; ils furent des artistes au sens le plus complet du terme. (...)
À [un] art minutieux, délicat et charmant s'opposent les conceptions gigantesques où excellèrent les architectes et les sculpteurs égyptiens. Ils ne reculèrent point devant les problèmes les plus hardis, ils élevèrent des temples immenses, des statues colossales, ils creusèrent dans le roc des édifices funéraires ou dressèrent des pyramides demeurées en place. (...)
L'art égyptien offre une variété, une richesse, une diversité faite de contrastes qui ne nuisent point à sa profonde unité.
Si nous le voyons établi sur de puissantes assises depuis les temps les plus lointains, s'il se présente à nous au début de l'histoire avec une majesté qui déconcerte, s'il évolue lentement, ne change point en ses aspects essentiels, il n'offre aucune monotonie. Jamais il ne répète des poncifs intangibles, ne s'enveloppe dans un hiératisme figé et conventionnel. Au cours de son existence, il se transforme au sein d'un cadre rigide, reflète des courants multiples, reçoit des influences extérieures, accède à des possibilités créatrices nouvelles. La sculpture révèle deux courants - un courant réaliste et populaire qui engage les artistes vers l'étude de la nature, de la vie, vers une compréhension remarquable des spectacles familiers et quotidiens - un courant hiératique, qui maintient un idéal propre à la figuration des dieux, des Pharaons et des héros. (...)
L'art égyptien, essentiellement créateur, se renouvelle en tirant de lui-même des ressources infinies. Il assimile et filtre l'apport extérieur sans jamais diminuer son originalité. Rien ne pourra entamer sa cohésion, son unité, sa puissance ; ni les exemples de l'Asie Mineure et de la Grèce, ni la domination romaine ; il s'éteindra en une longue vieillesse qui débute avec Ptolémée Evergète (245 av. J.-C.) pour se terminer avec les Antonins.
Vieillesse survenue après des milliers et des milliers d'années de magnificence et d'activité ; vieillesse qui ressemble à un beau soir paisible et doux.
L'Égypte s'endort au sein d'un archaïsme volontaire, d'une stylisation bientôt funeste, elle s'endort sur un passé prodigieux, parmi des chefs-d'œuvre innombrables. Sous des maîtres étrangers, elle voit se dresser les bas-reliefs d'Esneh et de Kom-Ombo où se lisent les noms de Macrin et de Décius. Elle regarde avec indulgence et pitié les peuples envahisseurs auxquels elle ne doit rien. Elle se replie sur elle-même avant de renaître, grâce aux trésors de l'art copte et musulman."

extrait de Évolution de l'art antique - Égypte, Asie occidentale, Grèce, Rome, 1945, par Alfred Leroy (1897-19..), historien d'art

dimanche 3 juillet 2022

"Il y eut à travers l'histoire de l'art égyptien une infinité de créateurs éminents qui s'inscrivent parmi les gloires de l'art universel" (Alfred Leroy)

Deir El-Bahari - photo Daniel Fafard (domaine public)

"L'art égyptien, créateur de beauté, s'élève au-dessus de tous les éloges, il est un des patrimoines les plus fantastiques du monde moderne, un trésor illimité, une source jaillissante de plaisirs et de joie, un exemple et une leçon.
Par ses caractères essentiels, il montre l'art au service des idéaux les plus sublimes ; l'art au service de la religion, l'art au service des croyances en l'immortalité de l'âme, dégagé de tout matérialisme. Il montre l'art plongeant dans la vie, en contact avec elle, recevant d'elle une sève qui le préserve longtemps de tout affaiblissement.
Il montre l'art s'intégrant à tous les actes de l'existence, ayant sa place en toutes choses, embellissant les moindres objets usuels, ne reculant devant aucune audace, accédant à des cimes qui nous laissent (...) admiratifs et émus.
Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile ne se lassent point de célébrer les caractères de l'art égyptien. Ils ne peuvent cacher leur étonnement en face de ces temples grandioses, bâtis pour l'éternité, pleins de richesses incalculables, étincelants d'or, d'argent et de métaux précieux, revêtus de peintures vives, d'une somptuosité légendaire.
Et cependant, ils appartiennent à des pays où les arts atteignent une perfection rare, ils connaissent les plus illustres réalisations du génie hellène, les statues de Phidias, de Polyclète et de Praxitèle ; ils connaissent les monuments de l'Acropole d'Athènes, des villes grecques d'Asie Mineure et d'Italie, néanmoins, ils n'ont rien vu de pareil à ce qu'ils voient en Égypte. Ils pénètrent dans un monde étrange, fascinateur, ils en ressentent une émotion intense, un enthousiasme extraordinaire traduits en pages immortelles, maintes fois citées.
Pour un Grec, quel spectacle surprenant que ces colosses taillés à même le rocher, tel celui de Ramsès II au fond de la première cour du Ramesseum. La statue du Pharaon victorieux, du conquérant magnifique s'élève à une hauteur de dix-sept mètres cinquante, elle pèse onze cents tonnes, elle repose sur un monolithe de onze mètres soixante-dix sur six mètres, elle est faite d'un seul bloc de granit rose qui avait été extrait des carrières d'Assouan et avait parcouru deux cent vingt kilomètres avant de se dresser devant l'entrée du temple.
De même, les Grecs furent séduits par la polychromie qui embellissait toute création égyptienne, par ces teintes harmonieuses, ces marbres variés, cette profusion de peinture, de dorure, de métaux employés avec infiniment de goût et de subtilité. Ils furent séduits par cette fantaisie dont ils avaient bénéficié grâce à des influences nombreuses (...)
Les Égyptiens, soucieux de construire pour l'éternité, écartaient les matériaux périssables.
Ils connurent la voûte dès la plus haute époque, ils excellèrent à utiliser les briques crues, mais ils n'utilisèrent que la pierre et proscrivirent la voûte quand il il s'agit d'édifier des monuments religieux. Ils craignirent les poussées de la voûte sur ses points d'appui, ils redoutèrent la fragilité des briques crues.
Il serait faux de croire les artistes égyptiens confondus dans un anonymat absolu ; beaucoup exercèrent un rôle personnel, léguèrent leur nom à la postérité, surtout les architectes, maîtres d'œuvre, dont certains demeurent aujourd'hui célèbres. Nous possédons des inscriptions où se lisent les noms de Penré et de Semnout. Le premier est l'un des architectes du Ramesseum, temple édifié à Thèbes, sous la XIXe dynastie, par Ramsès II, il devait s'égaler aux plus grands maîtres de la Grèce antique.
Le second est l'architecte de la reine Hatshepsout, le constructeur de Deir-el-Bahari, l'un des génies les plus originaux qui soit.
Il y eut à travers l'histoire de l'art égyptien une infinité de créateurs éminents qui s'inscrivent parmi les gloires de l'art universel. Si la majorité reste enveloppée de mystère, si nous ne pouvons percer l'obscurité qui les cache à nos yeux, leurs œuvres révèlent des tempéraments d'une singulière puissance, des esprits doués de hautes qualités, vibrant aux sensations diverses qu'ils enregistrent et traduisent, inquiets de perfection, accédant à des hauteurs que les civilisations suivantes ignorèrent.
Les maîtres auxquels nous sommes redevables des temples et monuments funéraires de Thèbes, de Karnak, de Louxor, de la Vallée des Rois, de Memphis et autres lieux possédèrent une science prodigieuse. Ils possédèrent un sens artistique inouï ; ils utilisèrent leurs collaborateurs avec une opportunité rare ; ils servirent un idéal politique et religieux vraiment grandiose.
En parcourant l'immensité de l'art égyptien, depuis les colosses d'Abu-Simbel jusqu'aux bijoux de Dahchour, ou du Ramesseum, une même admiration jaillit en nous ; les caractères de cet art apparaissent en toute leur variété et leur unité."


extrait de Évolution de l'art antique - Égypte, Asie occidentale, Grèce, Rome, 1945, par Alfred Leroy (1897-19...), historien d'art