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mardi 2 février 2021

"Les monuments pharaoniques sont le patrimoine de l'humanité tout entière" (Victor Schoelcher)

temple de Khnoum - Esna. Photo MC

"Les monuments pharaoniques attestent la puissance à laquelle le génie de l'homme était parvenu aux temps les plus reculés de l'histoire ; à ce titre, ils n'appartiennent pas seulement à l’Égypte : ils sont, on peut dire, le patrimoine de l'humanité tout entière. (...) 
On doit d'autant plus regretter l'anéantissement de ces mémorables restes du passé, que l'historien et l'artiste peuvent y puiser comme à une mine pleine de richesse. Les sculptures des temples et des tombeaux étaient bien moins encore des décorations que des pages historiques. Elles disaient les souvenirs du pays, et chacun pouvait les lire, les consulter d'autant plus facilement que des légendes hiéroglyphiques en expliquaient sommairement le sens. Elles nous fournissent donc des détails authentiques sur l'histoire et la religion de ce peuple extraordinaire, et tous les jours la science, en se perfectionnant, en acquiert une intelligence plus complète. (...)
Sous le rapport de l'art, ces monuments ne commandent pas l'attention à un moins haut degré. L'architecture égyptienne n'est pas belle seulement par ses dimensions colossales : le style en est simple, noble, grand, toujours calme et fort. Il n'est pas un voyageur qui reste insensible à l'extraordinaire majesté de ces prodigieuses colonnades. Les fûts ont une finesse de ligne sans pareille. Les chapiteaux, soit qu'ils s'épanouissent ainsi que la fleur de lotus ouverte qui en a donné le modèle, soit qu'ils se resserrent en se renflant à la base comme la même fleur fermée, ont toujours un galbe d'une pureté exquise et sévère. Ces masses ne sont jamais lourdes, elles ne vous écrasent pas ; il semble au contraire qu'on y respire plus librement. Un des signes distinctifs de l'architecture égyptienne est de ne pas faire porter la frise directement sur le chapiteau, mais sur un de carré sortant du chapiteau. Cette disposition, bien que les Grecs, qui ont tout pris ici, ne l'aient point adoptée, donne incontestablement à la région supérieure des édifices plus d'air et de légèreté qu'on ne l'observe dans l'ordre architectural que nous avons imité des Athéniens.
Toutes les parties des monuments égyptiens, obélisques, pylônes, murs d'enceintes, ont toujours une légère inclinaison calculée du bas en haut ; leurs colonnes diminuent de même régulièrement de la base au sommet. La durée de ces édifices, prolongée au delà de celle des constructions grecques et romaines, répond que c'est là une condition de solidité scientifiquement observée. Il est bien reconnu que la forme pyramidale, admirablement observée, du reste, au Parthénon, est, de toutes, celle qui résiste le mieux à la destruction. Que de siècles d'études et d'expérience n'attestent pas de pareilles connaissances chez ceux qui les avaient il y a 3700 ans ? Et jusqu'où l'imagination ne remonte-t-elle pas dans le passé intellectuel de la société humaine, lorsqu'on vient à considérer que ces connaissances, les Égyptiens les tenaient eux-mêmes des Éthiopiens, comme nous avons eu lieu de l'établir (...) ?
On a longtemps discuté pour savoir si les Égyptiens possédaient l'art de construire des voûtes avec plusieurs pierres cunéiformes, et, comme on ne retrouve pas de voûtes dans leur architecture, on a conclu pour la négative. Il est hors de doute pour nous que, s'ils n'ont pas fait d'arcs cintrés de cette nature, c'est parce qu'ils n'ont pas voulu en faire. D'abord, M. Hoskins a démontré avec preuves que les Éthiopiens pratiquaient le système de cintrage dans toute sa perfection ; pourquoi serait-il resté caché aux Égyptiens ? Ensuite, on trouve des plafonds creusés en berceau dans les hypogées de Syout, de Beny-Hassan et aussi dans le tombeau de Psamméticus. Ce qu'il est rationnel de croire, c'est que le goût naturellement gigantesque des architectes pharaoniques, leur ayant fait tirer de leurs carrières de grès et de granit des monolithes de 33 mètres, ils ont jugé plus monumental de les employer que de construire des courbes quelconques. La voûte à forme cintrée est née de la pénurie des matériaux ; c'est une découverte issue, comme tant d'autres, de la nécessité. Les Grecs, à leur plus belle époque, placés près des immenses carrières du Pentélique, ont également dédaigné la voûte. Le Parthénon, le temple de Thésée, leurs plus magnifiques monuments, sont là pour le certifier."


extrait de L'Égypte en 1845, par Victor Schoelcher (1804-1893), homme politique français, connu pour son combat pour l'abolition définitive de l'esclavage.

jeudi 11 octobre 2018

"On est forcé d'admirer le degré de perfection où les sculpteurs égyptiens avaient déjà porté leur art tant de siècles avant les maîtres immortels enfantés par la Grèce" (Victor Schoelcher)

Esna : le temple de Khnoum
"Quant à la sculpture égyptienne, elle demande, pour être bien jugée, à être prise telle qu'elle est, à son point de vue propre. On ne doit pas l'oublier : c'était un art religieux ; il y avait une forme dogmatique dont il n'était pas permis de s'écarter. Pour en être mieux convaincu, il suffit de se rappeler que les Grecs et les Romains, qui élevèrent des monuments aux divinités de l'Égypte, se conformèrent au style local, quoique assurément ils eussent pu le perfectionner, s'ils l'avaient voulu. 
Toutes les théocraties voient la stabilité dans l'immutabilité. (...) Il est difficile de ne pas croire que des idées analogues attachèrent les Égyptiens au mode primitif adopté pour représenter les dieux et les choses religieuses, et les empêchèrent d'innover dans la forme. Cette forme, au surplus, ils la tenaient traditionnellement, comme le reste, des Éthiopiens. On la retrouve, en effet, dans les monuments de Méroé, antérieurs à ceux de Thèbes (...).
La moindre attention portée sur les édifices de Thèbes ne laisse aucun doute à cet égard. Ainsi, les Égyptiens n'ignoraient certainement pas la science de la perspective ; on s'en peut assurer en examinant les sujets des frises creusés avec une profondeur graduée, ou sculptés en raccourci, pour produire leur effet vrai, vus d'en bas. Cependant, l'absence presque totale de perspective dans ces antiques sculptures blesse l'homme moderne le plus ignorant. Tout y est sur le même plan, et la taille surnaturelle prêtée aux princes pour symboliser leur grandeur forme, avec le reste des personnages, un contraste choquant.
Mais, une fois qu'on a accepté ces défauts sacramentels, on est forcé d'admirer le degré de perfection où les sculpteurs égyptiens avaient déjà porté leur art tant de siècles avant les maîtres immortels enfantés par la Grèce. On est surpris de la belle et constante simplicité de leur style, du caractère svelte et gracieux qu'ils surent prêter à des figures dont la raideur était commandée par la loi ecclésiastique et surtout de leur incomparable adresse d'exécution. Malgré les moyens restreints laissés à leur disposition, ils disent toujours ce qu'ils veulent dire, et leur pensée est traduite avec tant de précision, qu'il est impossible de ne la pas retrouver."

extrait de L'Égypte en 1845 par Victor Schoelcher (1804-1893), homme politique français, connu pour son combat pour l'abolition définitive de l'esclavage