Esna : le temple de Khnoum |
"Quant à la sculpture égyptienne, elle demande, pour être bien jugée, à être prise telle qu'elle est, à son point de vue propre. On ne doit pas l'oublier : c'était un art religieux ; il y avait une forme dogmatique dont il n'était pas permis de s'écarter. Pour en être mieux convaincu, il suffit de se rappeler que les Grecs et les Romains, qui élevèrent des monuments aux divinités de l'Égypte, se conformèrent au style local, quoique assurément ils eussent pu le perfectionner, s'ils l'avaient voulu.
Toutes les théocraties voient la stabilité dans l'immutabilité. (...) Il est difficile de ne pas croire que des idées analogues attachèrent les Égyptiens au mode primitif adopté pour représenter les dieux et les choses religieuses, et les empêchèrent d'innover dans la forme. Cette forme, au surplus, ils la tenaient traditionnellement, comme le reste, des Éthiopiens. On la retrouve, en effet, dans les monuments de Méroé, antérieurs à ceux de Thèbes (...).
La moindre attention portée sur les édifices de Thèbes ne laisse aucun doute à cet égard. Ainsi, les Égyptiens n'ignoraient certainement pas la science de la perspective ; on s'en peut assurer en examinant les sujets
des frises creusés avec une profondeur graduée, ou sculptés en
raccourci, pour produire leur effet vrai, vus d'en bas. Cependant,
l'absence presque totale de perspective dans ces antiques sculptures blesse l'homme moderne le plus ignorant. Tout y est sur le même plan, et la taille surnaturelle prêtée aux princes pour symboliser leur grandeur forme, avec le reste des personnages, un contraste choquant.
Mais, une fois qu'on a accepté ces défauts sacramentels, on est forcé d'admirer le degré de perfection où les sculpteurs égyptiens avaient déjà porté leur art tant de siècles avant les maîtres immortels enfantés par la Grèce. On est surpris de la belle et constante simplicité de leur style, du caractère svelte et gracieux qu'ils surent prêter à des figures dont la raideur était commandée par la loi ecclésiastique et surtout de leur incomparable adresse d'exécution. Malgré les moyens restreints laissés à leur disposition, ils disent toujours ce qu'ils veulent dire, et leur pensée est traduite avec tant de précision, qu'il est impossible de ne la pas retrouver."
extrait de L'Égypte en 1845 par Victor Schoelcher (1804-1893), homme politique français, connu pour son combat pour l'abolition définitive de l'esclavage
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