mardi 9 octobre 2018

Dans l'Égypte ancienne, la pensée de la mort " (incitait) l'épicurien à de nouvelles jouissances, le sage à de nouvelles vertus" (Jules Baillet)

La Vallée des Rois - photo H. Béchard
" (Dans l'Égypte antique), mieux que tout, la méditation de la mort instruit l'homme sur sa destinée et l'incite à rechercher les moyens de l'accomplir. C'est pourquoi l'on appelle la tombe ou le cercueil "maître" ou "maîtresse de la vie" et pourquoi le sage Ani invite à songer aux fins dernières pour mener une vie vertueuse et se préparer à la mort ; car "La mort ne surprend point le sage", ou, comme Ani s'exprimait, bien avant La Fontaine : "Il n'y a point de surprise pour celui qui agit bien.
D'un bout à l'autre de la vallée du Nil, on ne perd point de vue la double montagne où s'enfoncent les nécropoles : la pensée de la mort ne quitte guère davantage les Égyptiens pendant leur vie ; mais elle ne l'assombrit point. Chez eux, elle incite l'épicurien à de nouvelles jouissances, le sage à de nouvelles vertus. Longtemps d'avance, ils s'occupent de leur tombe ; mais ils la décorent de sujets attrayants. Ils voient dans la vie autre chose et mieux qu'une préparation à la mort ; mais ils s'efforcent de s'assurer dans la mort une image et une continuation de la vie. Nous pouvons affirmer qu'ils regardent la vie comme le bien suprême, mais à condition que la vie humaine se complète en se perpétuant par la participation à la vie des dieux immortels. Se plaçant aux antipodes de la pensée bouddhique, c'est "la mort seconde", c'est la disparition définitive, c'est l'anéantissement, qu'ils tiennent pour le mal suprême et le plus épouvantable châtiment. Ils se prémunirent à l'encontre par la momification et les rites magiques ; mais pour accroître l'efficacité de ces remèdes, ils recoururent aux garanties de la morale. 
En effet, si les vertus trouvaient, sur terre et pendant la vie, des sanctions très appréciées dans les faveurs du roi, par exemple, l'estime et l'affection des contemporains, la stabilité de la fortune, la prolongation même de la vie, on en espérait d'autres encore. Une bonne sépulture et la perpétuité du nom prolongeaient sur terre le même ordre de sanctions. La protection des dieux, qu'on voyait déjà s'exercer pendant la vie, produisait tous ses effets au-delà de la mort. 
Sans doute, le spectacle de la vie et de la mort provoquait les objections du sceptique, non seulement sur la solidité des grandeurs humaines et la perpétuité des plaisirs, mais encore sur la réalité des vertus, sur la providence divine et sur l'attente des rémunérations futures. Toutefois ces doutes absolus, exprimés dans les Chants du harpiste ou par le Chacal koufi, soulevèrent peu d'échos. Presque sans exception, les Égyptiens partagèrent leurs croyances et leurs espoirs entre les divers paradis et les diverses destinées bienheureuses que leur promettaient leurs ancêtres et leurs sages. Or sur ce sujet, leur imagination se déploya avec fécondité."


extrait de Introduction à l'étude des idées morales dans l'Égypte antique, par Jules Baillet, ancien élève de l'École Normale Supérieure, ancien membre de la Mission archéologique du Caire

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