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Comment, dès lors, s'étonner que le soleil marque d'un radieux sceau tant de monuments égyptiens ? Le Nil crée la terre noire ; le soleil l’éclaire, la réchauffe, la féconde, la protège enfin en "dissipant la tempête, en chassant la pluie, en dispersant les nuages". Aussi, le soleil physique, l'astre du jour apparut-il toujours aux Égyptiens comme le roi du monde, dispensateur d’une lumière à la fois redoutable et bienfaisante, mais dont tout être, même le plus humble, a équitablement sa part ; forme visible et splendide d’une puissance supérieure à la terre, qui régit notre vie matérielle et morale, gouverne l'univers avec régularité, ordre et justice. La gratitude qui s'élève dans l’âme de tout Égyptien à la vue de son bienfaiteur s’est exprimée avec un bonheur singulier dans la littérature égyptienne, en particulier dans les hymnes au disque solaire, dieu Aton, composés par Aménophis IV-Ikhounaton.
Voici l’un de ces poèmes, qui, rédigé et gravé à la fin de la XVIIIe dynastie, vers 1370, nous a conservé l'accent, les images, la poésie de chants populaires qui remontent certainement beaucoup plus haut dans le passé :
"Tu te lèves bellement, Ô Aton vivant, seigneur de l'éternité ! Tu es rayonnant, tu es beau, tu es fort ! Grand et large est ton amour : tes rayons brillent pour les yeux de toutes tes créatures ; ta figure s’illumine pour faire vivre les cœurs.
Tu as rempli les Deux-Terres de tes amours, Ô beau seigneur qui s'est bâti lui-même, qui crée toute terre et engendre ce qui existe sur celle-ci, les hommes, tous les animaux, tous les arbres qui croissent sur le sol.
Ils vivent quand tu te lèves pour eux, car tu es une mère et un père pour tes créatures. Leurs yeux, quand tu te lèves, regardent vers toi. Les rayons illuminent la terre entière ; tout cœur s’exalte de te voir, quand tu apparais comme leur Seigneur. (Mais), quand tu te reposes dans l'horizon occidental du ciel, ils se couchent, tels que des morts ; leurs têtes sont couvertes, leurs narines bouchées, jusqu’à ce que se (renouvelle) ton resplendissement, au matin, dans l’horizon oriental du ciel.
Alors, leurs bras adorent ton Ka, tu vivifies les cœurs par tes beautés, et l'on vit ! Quand tu donnes tes rayons, toute la terre est en fête ! on chante, on fait de la musique, on crie d’allégresse dans la cour du château de l'Obélisque, ton temple dans Ikhoutaton, la grande place où tu te complais, où te sont offerts vivres et aliments...
C’est toi Aton (le disque solaire), tu vis éternellement... Tu as créé le Ciel lointain pour te lever en lui et voir (d’en haut) tout ce que tu as créé. Tu es (là-haut) tout seul, et (cependant) des millions (d'êtres) vivent par toi, et reçoivent (de toi) des souffles de vie pour leurs narines. À voir tes rayons, toutes les fleurs vivent, elles qui poussent sur le sol et prospèrent par ton apparition ; elles s’enivrent de ta face. Tous les animaux sautent sur leurs pieds ; les oiseaux, qui étaient dans leurs nids, volent joyeusement ; leurs ailes, qui étaient repliées, s'ouvrent pour adorer Aton vivant..."
Un autre hymme, du même roi, ajoute ceci :
"Tu crées le Nil dans le monde inférieur, et tu l’amènes (sur terre), où tu veux, pour nourrir les hommes (d'Égypte) ; toi, le Seigneur de la terre."
Ainsi, le Nil lui-même, le créateur de la terre noire, est l’œuvre du Soleil, auteur suprême de l'Univers, qui donne la vie à tout être, à toute chose. Le Nil exige des Égyptiens qu'ils coordonnent leurs efforts : le Soleil leur révèle qu’un pouvoir unique régit le monde."
extrait de Le Nil et la civilisation égyptienne, par Alexandre Moret (1868-1938), égyptologue français, titulaire de la chaire d'égyptologie au Collège de France à partir de 1923, président de la Société française d'égyptologie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études et directeur honoraire du musée Guimet.
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