photo datée de 1898 - auteur non mentionné |
Pour le voyageur qui a parcouru avec toutes ses aises la Suisse et l'Italie, un voyage en Égypte se présente sous l'aspect d'une série d'excursions faites sous un ciel toujours bleu, à l'ombre de forêts de palmiers ; au milieu de peuplades aux mœurs empreintes d'un caractère original qui donne du piquant au paysage. Amère déception, quand il a vu de près le peuple qu'il avait rêvé (...)
Alors, passant d'un extrême à l'autre, il n'aspire qu'à quitter cette terre mensongère ; les beaux rêves s'évanouissent, et il prend presque en haine l'objet de son amour passé : pour lui, ce ciel d'une pureté lumineuse a perdu son mérite ; ces bruits étranges et mystérieux du soir cessent de toucher son cœur, et les monuments mêmes perdent à ses yeux le caractère sacré qu'il leur avait prêté ; ce soleil qu'il avait rêvé, ces antiquités qu'il brûlait de contempler, ce peuple au milieu duquel il voulait vivre, ne lui inspirent plus que du dégoût : il veut s'en éloigner à tout prix, son voyage est manqué.
D'autres voyageurs, au contraire, se passionnent avec une facilité désespérante. Enthousiastes de la couleur locale, ils poussent son amour jusqu'à l'exagération ; pour eux l'Égypte est tout : "Qui n'a pas vu l'Égypte est indigne de vivre !" Ils tombent en extase devant la moindre pierre et s'inclinent respectueusement devant un hiéroglyphe. Dieu vous préserve d'un semblable compagnon de voyage ! À chaque instant il vous assassinera d'observations banales, il voudra vous imposer ses idées, vous reprochera votre froideur et votre absence de goût, enfin deviendra pour vous un importun moustique, qui vous harcèlera de ses piqûres et gâtera le charme de votre voyage.
Il ne sait pas un mot de turc ou d'arabe, et s'empresse d'adopter le costume du pays, espérant sans doute qu'avec la robe et les babouches, il s'assimilera la langue ; il se modèle sur les gens du pays, imite leurs coutumes, et, malgré la gêne qu'il éprouve, il ne veut plus que s'accroupir ; non content du chibouk, il lui faudra le narguileh, dût-il s'époumoner à le fumer ; un peu plus il renoncerait à toutes les coutumes d'Europe pour n'être qu'un musulman mauvais teint, raillé de ceux qu'il veut imiter, insupportable à ses compatriotes.
Dieu merci ! je n'appartiens ni à l'une ni à l'autre classe de ces voyageurs : j'avais peut-être, en arrivant en Égypte, des illusions que je n'ai plus ; mais, à mon avis, elle ne mérite ni cet excès d'honneur, ni cette indignité.
Au demeurant, je ne croyais pas trouver la terre promise et je ne regretterai pas les fatigues que j'ai éprouvées pour visiter les belles choses que j'ai vues."
extrait de La Cange : voyage en Égypte, 1861, par Louis Pascal
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