photo : MC |
Et voilà, Messieurs, l'origine de ces édifices gigantesques sur la destination desquels on a tant discuté. La pyramide n'est qu'un tombeau destiné à protéger une momie contre les profanateurs, ou contre la main plus terrible du temps. Hérodote rapporte que la mémoire de Chéops et Chefren, les constructeurs des deux grandes pyramides, était en horreur aux Égyptiens ; on les maudissait comme des despotes et des oppresseurs. Je le crois sans peine, et c'est peut-être le sentiment qu'ils avaient été odieux à leurs sujets qui les poussa à entourer leur cadavre d'une aussi impénétrable défense.
Dans une construction comme la grande pyramide, il
me semble reconnaître non seulement le besoin de conservation inhérent
à tout Égyptien, mais la crainte du roi qu'un peuple irrité ne vînt faire
expier à son cadavre les crimes de sa vie, et l'anéantir ainsi pour
jamais.
Ce sentiment de l'immortalité, voilà ce qui domine
dans les monuments égyptiens ; je dirai même que cela vous poursuit. Il
en résultait toute une série d'idées morales qui avaient une influence
directe sur la vie et la conduite de chacun. Car il suppose la liberté
de l'homme, le droit de choisir entre le bien et le mal. Suivant la voie
qu'on avait suivie, cette vie à venir devait être heureuse ou ne pas
l'être ; le mal devait y être puni ; le criminel ne s'en irait pas avec
les bienheureux cultiver les champs de l'Aour ; il faudrait subir un
jugement, paraître devant Osiris siégeant dans une salle à colonnes,
assisté de 42 jurés ; il faudrait rendre compte de sa vie passée et se
justifier des péchés capitaux. Il faudrait voir peser son cœur dans une
balance dont l'autre plateau contient la déesse de la justice ; il
faudrait entendre l'accusateur, le jugement du dieu et voir le scribe
divin enregistrer l'arrêt. Si la justification n'était pas suffisante,
si la balance n'était pas vide de crimes, il faudrait peut-être
retourner sur la terre sous la forme d'un animal impur que des singes
armés de baguettes chassent devant eux. Toutes ces pensées faisaient peur, et cette crainte des terribles conséquences de la responsabilité humaine se retrouve dans tous les tombeaux. Et quand nous considérons l'idéal de l'Égyptien pour cette vie future, et ce qui était son Élysée, n'oublions pas les circonstances particulières où il était placé, et la nature toute spéciale qu'il avait sous les yeux. La nature égyptienne est bien plus simple que la nôtre ; les phénomènes en sont bien moins nombreux, mais peut-être plus frappants : point de froid, point de pluie, point de nos montagnes neigeuses et de nos vallées fertiles ; point de bois et point de prés verts ; le soleil, un grand fleuve et le désert sans fin, voilà toute l'Égypte."
extrait de "La littérature de l'ancienne Égypte : Séance donnée à l'Athénée le 14 mars 1871", par Édouard Naville (1844-1926), égyptologue suisse
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