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lundi 28 janvier 2019

"Quel chef-d’œuvre que cette chambre intérieure de la grande pyramide !" (Ernest Renan)

photo extraite de kheops-project.com
"La pyramide n’est autre chose que la "maison éternelle" des rois ou des personnes de la famille royale. Toutes les particularités en apparence bizarres et parfois encore inexpliquées de ces dernières constructions n’ont qu’un but, dissimuler soigneusement la place du cadavre, créer une chambre introuvable où le corps attende en repos le jour de la résurrection. De là ces entrées habilement bouchées et qu’on a soin de ne jamais placer au milieu des faces du monument, de là ces couloirs intérieurs remplis de blocs, ces ruses, ces efforts pour dépister le profanateur et l’éloigner de la cellule royale, ces échappées en forme de puits, ménagées afin de faire sortir les ouvriers qui avaient travaillé au dedans à combler les couloirs. 
Les précautions étaient si bien prises, que, pour la grande pyramide, la chambre de Chéops n’a été trouvée que sous le kalife Mamoun. Chéops y a donc reposé en paix, selon son désir, plus de cinq mille ans. Tout ici respire en effet la haute antiquité, tout est simple, fort, naïf, exagéré quant au choix des moyens, scrupuleux dans l’exécution. 
Quel chef-d’œuvre que cette chambre intérieure de la grande pyramide ! Le poli et le jointoiement des blocs de granit rose qui lui servent de revêtement ne le cèdent en rien aux ouvrages les plus parfaits de l’antiquité. Malgré l’épouvantable poids que porte cette chambre, elle n’a pas fléchi d’un millimètre ; le fil à plomb n’y accuse pas la moindre déviation. Pas un ornement ; la beauté n’est demandée qu’à la seule perfection de l’exécution. 
Sincérité absolue ; nul ne devait entrer dans cette chambre ; tout le soin qu’on a pris de la construction est uniquement par respect pour le mort. Au milieu de la chambre est le sarcophage en granit, colossal, sans aucun ornement. La partie conservée du revêtement de la seconde pyramide porte également le cachet d’un art primitif, ne donnant rien à l’ostentation ni à l’apparence, supposant un sérieux parfait, ne trichant ni avec Dieu ni avec les morts."

extrait de "Les Antiquités égyptiennes et les Fouilles de M. Mariette, souvenirs de mon voyage en Égypte", par Ernest Renan (1823 - 1892), écrivain, philologue, philosophe et historien français, in Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 56, 1865

mercredi 19 septembre 2018

L'Égypte "forme à elle seule le premier livre de toute philosophie de l'histoire" (Ernest Renan)

photo de Zangaki
"Voilà la signification de l'Égypte dans le développement de l'humanité. Elle forme à elle seule le premier livre de toute philosophie de l'histoire. (...) L'Égypte reste donc, dans l'antiquité, comme un grand tronçon historique isolé, comme une sorte de Nil sans affluents, sans bassin, sans vallées adjacentes, coulant seul au milieu du désert. Essentiellement original, surtout par ce qui lui manqua, ce premier essai de société constitue une expérience d'un prix sans égal. (...)
Ce que nous avons dit de l'état d'isolement où vécut l'Égypte depuis Ménès jusqu'au triomphe du christianisme signifie-t-il que, durant cet immense espace de temps, elle n'ait rien donné au reste du monde, ni rien reçu de lui ? Nullement. Dans sa longue carrière de nation, l'Égypte reçut peu, il est vrai, mais donna beaucoup. C'est le sort de tous les pays profondément pénétrés de l'idée de leur supériorité. La base de la civilisation égyptienne, comme celle de la civilisation chinoise, était l'opinion enracinée que le reste du monde était barbare, ou, en d'autres termes, qu'on était barbare quand on n'avait pas les manières et les idées regardées dans le pays comme celles d'un homme bien élevé. Ces sortes de civilisations exclusives ne supportent pas d'être touchées. Elles résistent longtemps ; elles croulent dès qu'on veut les réformer.
L'Égypte en particulier se défendit avec une opiniâtreté sans égale. Les Grecs et les Romains, si forts à s'imposer, les premiers par la séduction de leur génie, les autres par la puissance de leur gouvernement, ne l'entamèrent pas. Sous les Ptolémées, sous les Romains, l'Égypte garda son style en architecture et en sculpture. Hors d'Alexandrie, il n'y eut guère de monuments grecs ou gréco-romains. L'écriture hiéroglyphique se conserva jusqu'au IIIe siècle de notre ère ; du moins le dernier cartouche d'empereur que l'on connaisse est celui de Dèce.
Mais, si l'Égypte fit peu d'emprunts aux civilisations étrangères, on ne peut nier que ces civilisations, à l'inverse, ne lui doivent des éléments considérables.”

extrait de Mélanges d'histoire et de voyages,
par Ernest Renan (1823-1892), écrivain, philologue, philosophe et historien français