mardi 26 avril 2022

La règle sacrée de l'art égyptien ancien : "Employer peu de moyens pour exprimer beaucoup d'idées" (Jacques-Nicolas Paillot de Montabert - XVIIIe-XIXe s.)

ostracon figuré, époque ramesside 
Musée du Louvre / Christian Décamps

"Pour bien juger l'art des Égyptiens, il faut avoir examiné, non un grand nombre de figures, mais les meilleures, non un grand nombre de signes, tout mystiques et insignifiants pour l'art, mais les figures où l'art est le plus remarquable.
Les qualités qu'on doit distinguer dans la peinture des Égyptiens, sont donc par-dessus tout, une simplicité qui les a souvent élevés jusqu'à la grandeur esthétique et pittoresque ; une certaine clarté, forte dans les pantomimes, clarté qui appartient autant à l'art qu'à la nature, qualité précieuse dont les Grecs semblent avoir reconnu tout le prix ; de plus un ordre optique dans la disposition, ordre qui chez eux tient trop, il est vrai, de la symétrique régularité, mais que les Grecs surent varier plus tard délicatement, tout en le conservant. On doit remarquer aussi dans les meilleurs monuments égyptiens qu'ils étaient loin de négliger la pondération, sur laquelle ils avaient même des idées très exactes, ainsi que sur tout ce qui tient à la géométrie et à la statique en général ; 
ils observèrent donc scrupuleusement la correspondance des angles, et ils surent en mesurer rigoureusement les degrés.
Cette qualité les conduisit à donner du mouvement à leurs figures, et ils n'avaient plus qu'un pas à faire pour devenir de bons dessinateurs ; mais il paraît qu'ils se contentèrent d'employer ce qu'il fallait seulement pour le geste et la proportion de leurs personnages. Enfin je pense que l'on parviendrait à réhabiliter le crédit de l'art égyptien, si l'on rassemblait avec intelligence d'exacts dessins de tout ce qu'il a produit de plus recommandable. On y reconnaîtrait du génie et de la fécondité, un goût grand et sévère, des draperies fort pittoresques et très variées, et par-dessus tout une règle sacrée, bien méconnue aujourd'hui, je veux dire celle qui commande d'employer peu de moyens pour exprimer beaucoup d'idées ; méthode sage et vraiment noble, source du véritable goût dans les arts, méthode bien préférable à celle qui conduit d'abord aux finesses et aux recherches moelleuses de l'art, pour ne produire que des riens sans caractère.
On désirerait peut-être voir ajouter de plus ici quelques aperçus au sujet de leur coloris (...). Faisons observer seulement que, s'il est vrai qu'on prescrivait aux peintres l'emploi de couleurs vives et entières, nous ne devons pas en conclure qu'ils ne pratiquaient que l'enluminure et la peinture sans dégradation aérienne.
"

extrait de Traité complet de la peinture, T. 2,  
par Jacques-Nicolas Paillot de Montabert (1771-1849), peintre et historien de l'art français.

vendredi 8 avril 2022

"La haute Égypte, la Thébaïde des anciens, charme l'oeil par la richesse de ses ruines, par les souvenirs qu'elle évoque" (Olympe Audouard - XIXe s.)

Vue des ruines de Louxor depuis le Nil, par David Roberts (1796 - 1864)

"L'Égypte est, comme on le sait, divisée en basse Égypte, moyenne et haute Égypte. Chacune de ces provinces a son cachet spécial.
La haute Égypte, la Thébaïde des anciens, charme l'oeil par la richesse de ses ruines, par les souvenirs qu'elle évoque. À chaque pas l'on rencontre les restes de ces grands monuments, 
chefs-d'œuvre d'architecture, avec leur caractère imposant et leurs sculptures emblématiques.
Thèbes, cette ancienne et superbe cité, bâtie elle-même sur des ruines si anciennes qu'elles remontent à... qui jamais pourra le dire ? peut-être un jour quelques débris de monuments, quelques pierres sorties du sable, l'indiqueront-elles à nos savants.
Thèbes, chantée par Homère, et qui après vingt-quatre siècles de désolation conserve encore des ruines si grandiosement belles que l'on s'arrête devant elles saisi d'une admiration et d'une émotion indéfinissables.
Elle était la capitale religieuse et politique de l'Égypte, et aussi la ville commerciale la plus riche du royaume. C'est dans cette toute royale cité, dit Homère, qu'étaient entassées toutes les richesses de l'Orient.
Aussi rien n'égalait sa splendeur. Diodore de Sicile, qui l'avait visitée l'an 67 avant Jésus-Christ, nous dit que les fondateurs de Thèbes en avaient fait la ville la plus grande du monde entier ; que ses temples aussi bien que ses autres monuments étaient magnifiques, que les maisons des particuliers s'élevaient 
jusqu'à quatre et cinq étages, que rien n'égalait la beauté des statues en or, en argent, en ivoire, que l'on y voyait, ainsi que celle des obélisques monolithes que l'on y remarquait, et que quatre temples se faisaient admirer surtout par leur magnificence, en premier celui de Karnak, qui n'avait pas moins de treize stades de pourtour.
Puis il nous parle du fameux tombeau du roi Asymandgas, qui était une merveille.

C'est aussi Thèbes la superbe qui avait ces deux colosses monolithes dont l'un était cette fameuse statue parlante qui, aux premiers rayons du soleil, rendait un son doux et plaintif, statue dont on aperçoit encore aujourd'hui les débris.
Rien ne peut exprimer, la plume est impuissante à peindre, le coup d'œil que le regard charme embrasse du haut de cette colline d'Abd-el-Kournah, qui se trouve près de Louksor. À ses pieds, l'on voit l'immense plaine où sont amoncelées les ruines de cette Thèbes aux cents portes, qui n'avait pas moins, nous dit Diodore de Sicile, de 140 stades (24 kilomètres) de circonférence. On aperçoit le Nil qui, comme un large ruban argenté, coule du sud-ouest au nord-est, et qui, partagé en plusieurs canaux par quatre îles vertes et coquettes, est du plus joli effet.
Une double chaîne de hauteurs enveloppe la plaine à droite et à gauche et lui fait comme un rempart naturel.
On reste là, ému et impressionné, à considérer ce qui reste de cette splendeur passée, et l'on se complaît à rebâtir par ce grand architecte, l'imagination, Thèbes telle qu'elle était.
Je le répète, la haute Égypte a un charme, un attrait tout particuliers, à cause des vrais chefs-d'oeuvre que l'on rencontre à chaque pas.
Elle vit sur son passé. Sa gloire a été si grande que pendant bien des siècles encore elle rejaillira sur elle, quoique à présent elle ne soit plus qu'une misérable bourgade."


extrait de Les mystères de l'Égypte dévoilés, par Olympe Audouard (1832-1890), écrivaine voyageuse féministe française